L’effronté. Hitler voyait en lui la personnification de l’art décadent. Il souffre aujourd’hui d’une réputation d’enquiquineur. A tort. 1995, l’année du centenaire de sa naissance, n’aura pas infirmé la fâcheuse tendance : Hindemith fait bien partie de ces auteurs majeurs qui, en France, se voient décerner le seul honneur de passer régulièrement à la trappe. […]
L’effronté. Hitler voyait en lui la personnification de l’art décadent. Il souffre aujourd’hui d’une réputation d’enquiquineur. A tort.
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1995, l’année du centenaire de sa naissance, n’aura pas infirmé la fâcheuse tendance : Hindemith fait bien partie de ces auteurs majeurs qui, en France, se voient décerner le seul honneur de passer régulièrement à la trappe. Souffrant, avec Max Reger, de l’image peu reluisante de compositeur soporifique, il suscite les réactions négatives d’une grande partie des producteurs, fermement persuadés qu’aucune opération de marketing ne saurait en redorer le blason.
N’ayons pas peur des mots, Hindemith est à la musique, à la pratique et à la vie musicale l’équivalent d’un Leonard de Vinci du xxe siècle : une figure universelle malgré l’abstraction parfois sèche de son écriture qui créa un immense répertoire tenant à la fois du laboratoire expérimental et de la création sublimée, un artisan qui noircit son papier réglé pour tous les usages, dirigea les plus grands festivals et se mobilisa pour la pédagogie. On allait oublier qu’il fut le virtuose sans pareil d’une bonne demi-douzaine d’instruments. Il est aussi à l’origine d’un répertoire que seuls les amateurs ont pu apprécier en concert puisqu’il fut joué sans compter jusqu’en 1933, mais jamais depuis.
Le plus intéressant chez lui est le rapport à la tradition. En 1921, l’année où George Grosz doit répondre devant le tribunal de ses farces dadaïstes obscènes et outrageantes envers l’armée, le jeune trublion se joint au défoulement ambiant. Sa Kammermusik 1 inaugure un nouveau type de musique de chambre en rassemblant des instruments considérés jusqu’ici comme hétéroclites, comme les cordes et l’accordéon. Elle évolue vers la rupture dans une frénésie du tournoiement et un hurlement de sirène. Le genre a totalement éclaté. Reste le miroir grimaçant des figurations baroques.
Grâce à une articulation infaillible, Claudio Abbado livre une interprétation étonnamment efficace de ce mouvement perpétuel aux racines bartokiennes qui interpelle l’auditeur par les plus criardes des sonorités. Mais ces œuvres n’ont pas uniquement un profil iconoclaste ; elles tiennent aussi des Concertos brandebourgeois et poursuivent la tradition germanique du nocturne et de la musique utilitaire.
La désopilante version de l’ouverture du Vaisseau fantôme, « jouée à vue par un orchestre thermal sur le coup de 7 h du matin », que nous offre de son côté le Kocian Quartet, remet d’ailleurs les idées en place au sujet de la parodie. Si les dissonances et les raclements ont dû écorcher les oreilles des vieilles rombières en mal de distractions, le propos n’est pas ici d’épater le bourgeois. Hindemith veut au contraire montrer l’extraordinaire vitalité de cette musique et renouer avec la tradition du plein air. Parodie oui, mais dans son sens positif, dans la célébration d’un répertoire devenu patrimoine public. Qu’admirer le plus dans la formation tchèque : la maîtrise du geste et des tempi, la superbe sonorité, l’ampleur beethovénienne ? Sûrement tout à la fois. Il se dégage de l’interprétation des quatuors tardifs un rayonnement qui conduit la plus rigoureuse de toutes les formes musicales au-delà d’un pur jeu abstrait de lignes. Hindemith, un compositeur ennuyeux ? Loin s’en faut.
Paul Hindemith, Kammermusik 1, 4 et 5. Orchestre Philharmonique de Berlin, direction Claudio Abbado (EMI classics). Quatuors à cordes. Ouverture du Vaisseau fantôme. Militärminimax. Kocian Quartet (PRAGA)
Pascal Huynh
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