Le rappeur originaire du Kremlin-Bicêtre sort en septembre son quatrième album « Le coeur ne ment pas ». Rencontre avec un rappeur qui n’a pas sa langue dans sa poche. Ce qui a pu lui valoir quelques soucis par le passé.
Ton quatrième album s’intitule « Le coeur ne ment pas », pourquoi ce titre ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Kamelancien: En observant les rappeurs actuels, je me suis aperçu que leurs textes correspondaient rarement à leurs parcours. Dans la vie, on peut faire illusion mais le cœur, lui, ne ment pas.
Tu as des exemples ?
Je n’ai pas envie de citer d’exemples. Aujourd’hui la plupart des têtes d’affiche du rap jouent aux gangsters, s’inventent un vécu. Mais on sait pertinemment que c’est faux.
Dans « Le charme de la tristesse » (2007) tu annonçais ta retraite artistique (« Bientôt le rap c’est fini, bientôt je m’enfuis ») alors que sur ta page Facebook, tu viens d’annoncer ton retour.
Quand j’ai commencé le rap avec d’autres jeunes de mon quartier en 1993, je me suis dis que ça n’allait pas durer longtemps. J’étais sincère quand je déclarais ça à l’époque, je ne pensais pas que l’aventure allait encore continuer durant plusieurs années.
Tu écoutais quoi comme musique au moment de te lancer dans le rap ?
Beaucoup de variété française: Renaud, Alain Souchon ou Laurent Voulzy sont des artistes que j’affectionne depuis très longtemps. C’est vraiment un style de musique qui me plaisait. J’ai grandi en banlieue et la première musique qu’on nous propose là-bas c’est le hip-hop (rires). J’en suis aussi tombé amoureux lorsque j’ai commencé à écouter ce qui se faisait aux Etats-Unis. J’y ai trouvé beaucoup d’inspiration et je me suis dis que j’allais mixer les deux. Ecrire façon variété et poser façon rap.
C’est le flow, la musicalité qui t’attirait dans le rap américain ?
Exactement, je ne comprenais pas forcément les paroles mais j’étais très attiré par la façon de rapper et les instrumentales américaines. Ils étaient très en avance sur les Français.
Pour la sortie de cet album, tu as expliqué vouloir « ramener un rap qu’on entend presque plus », qu’entends-tu par là ?
J’ai dit ça car si tu regards la scène hip-hop actuelle, on ne retrouve plus de thèmes, on n’a plus d’artistes qui nous touchent comme IAM ou NTM, Oxmo Puccino ou la Fonky Family qui ramenaient des thèmes, et des textes sociaux qui nous aidaient à comprendre ce qui se passe en France et à l’intérieur de nos quartiers. C’était une véritable aide, un accompagnement par la musique. Bien plus qu’un divertissement. Aujourd’hui, ça s’est transformé en un message de show business, fait de belles voitures et de pseudos délinquants qui rappent. Je ne trouve pas que ce soit une bonne image pour les jeunes des quartiers.
Tu es toujours proche des jeunes de ton quartier ?
Bien sûr, j’habite toujours mon quartier du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), je n’arrive pas à le quitter. J’y ai toute ma famille, tous mes amis. Comme partout il y a de la délinquance, mais il ne faut pas s’arrêter à cela. Je fais partie de plusieurs associations qui viennent en aide aux jeunes, pour les aider à explorer d’autres horizons.
Ton dernier clip « Précieux », qui fonctionne bien, a été tourné au quartier ?
On l’a lancé sans l’annoncer, en le jetant deux jours avant la sortie officielle sur internet. On voulait prendre la température. Dans ce clip, j’ai voulu mettre en avant les petits de mon quartier. Ce sont « ces choses-là » qui sont précieuses à mes yeux. Voir des enfants rigoler et s’amuser plutôt que de faire un clip où tu me verras au volant d’un Bentley. C’était ce que je voulais.
Tu as aussi dit que la discrimination dont tu as été victime venait de ta pratique religieuse.
Quand je vois certains commentaires postés sur internet me concernant, je me rends compte que beaucoup de gens m’insultent par rapport à certaines positions que j’ai pu prendre comme sur la Palestine lors des manifestations pro-Gaza et les soucis qui s’en sont suivis avec la Ligue de défense juive (LDJ) notamment. J’ai été largement insulté, même par des personnes qui se réclament de ma communauté. Beaucoup de gens pensent représenter l’islam alors qu’ils n’en sont que l’ennemi. Ce sont ces gens-là, qui m’insultent copieusement, qui sont les vrais ennemis de l’Islam. Ils n’ont rien compris.
Il y a une référence à Nicolas Anelka dans « Précieux » : « Je fais ce que je veux, je dis ce que je veux ». Pourquoi te référer à lui ?
J’ai toujours trouvé que c’était un type intéressant car il a toujours dit tout ce qu’il pensait et je pense que ça a beaucoup joué sur sa carrière. Comme ses propos en interviews ou lors de la Coupe du monde, il est dans le franc-parler. Il dit des choses qui vont jouer contre lui, mais il reste sincère.
Tu penses que ton coté « grande gueule » a pu te causer des problèmes ?
Des problèmes apparents, je ne crois pas. En tout cas je ne l’ai pas remarqué. Mais je pense que ça a pu me valoir quelques boycotts.
En tant que vétéran du rap français, tu penses quoi de la nouvelle génération émergente ? Nekfeu par exemple dont les chiffres de vente sont très bons ?
Je n’ai pas encore écouté son album mais tout le monde m’en parle. Je suis content qu’ils vendent. Après cette musique ne me parle pas, je ne m’identifie pas du tout à ce genre d’artistes. C’est un autre rap pour moi, un monde différent. Mais il en faut pour tout le monde et ces gens-là ont mon respect.
A part le rap, tu as d’autres activités ?
J’ai ouvert ma salle de sport au Kremlin-Bicêtre, ça marche très bien. Mon petit frère l’a reprise depuis. Là je suis impliqué à 100 % dans mon rap et mon futur album. Je travaille dessus depuis un an.
Comment se passe la réalisation de ton album ? Tu as des techniques particulières pour écrire ? Et pour les sons ?
J’écris tout le temps, sans forcément écouter de musique. Je gratte beaucoup de textes. Je peux te gratter vingt pages d’un coup. Pas forcément des rimes mais des idées. L’endroit préféré pour écrire reste ma chambre, au calme. Je peux sortir deux ou trois morceaux par jour. Avec des instrus, c’est encore mieux.
Ton album aborde de nombreux thèmes, est-ce une façon pour toi de montrer qu’on peut venir de la banlieue et ne pas être cantonné à un seul style ?
Bien sûr, ce n’est pas parce que je viens d’un quartier comme le mien que je vais m’interdire de faire un morceau sur l’amour, les sentiments ou la société dans laquelle je vis. J’ai fait cet album pour qu’il soit autant accessible à un « mec de Paris » qu’à un « mec de quartier ». Je voulais qu’on enlève les cités, etc. J’aurais pu l’appeler « Le coeur du quartier » mais non. Cet album est pour tout le monde. Et ce n’est pas parce que tu viens du XVIe arrondissement que tu ne peux pas parler du « quartier ». Tout le monde peut rendre hommage ou donner son point de vue.
Tu as pu en souffrir dans ta jeunesse de cette comparaison ?
Non, je ne me suis pas arrêté à ce genre de discours. Un exemple léger : j’étais un des premiers au collège à écouter de la chanson française. On se foutait de ma gueule. 10 ans plus tard, ces mêmes personnes écoutent Sardou ou Aznavour. C’est peut-être grâce à moi, j’avais une culture musicale très avancée à l’époque. J’étais curieux, j’écoutais plein de trucs différents. Il y a des morceaux de Cabrel que je connais par coeur, aujourd’hui encore !
Lesquels ?
Il y en a plein, Petite Marie de Cabrel, Rive gauche à Paris de Souchon est un morceau qui m’a choqué ! En terme d’écriture et de la façon dont il a posé sur le morceau, c’est incroyable, je suis fan.
Sur ton Floyd Mayweather, tu montres ton soutien à Dieudonné. Pour quelles raisons ?
J’ai toujours été un fan de Dieudonné, avant même qu’il s’attaque à la communauté juive ou israélienne. J’aime son humour et quand j’ai vu qu’il a commencé à être boycotté par des médias, j’ai eu envie de le soutenir. Même si ça va causer des problèmes, même si des gens vont dire « Kamel, va trop loin à le soutenir ». Je suis désolé mais tout le monde va trop loin dans l’humour. Lors du dernier festival du Rire à Marrakech, Alban Ivanov a bien fait un sketch sur les musulmans et les barbus, et bien je l’ai pris à la rigolade ! C’est pour rire ! On se pose souvent la question en France, « Peut-on rire de tout ? » Si on ne le peut pas, posez des règles qui conviendront à tous !
Beaucoup estiment aujourd’hui qu’il a dépassé le registre de l’humour pour faire de la politique. Que penses-tu par exemple que son collègue Alain Soral réalise une quenelle au mémorial de la Shoah de Berlin ?
Ca c’est très grave. Un proverbe dit : « Use mais n’abuse pas. » On se doit de respecter la foi des autres. Et quand on a commencé à voir ce geste détourné, Dieudonné aurait dû dire quelque chose. Il ne sait pas s’arrêter. Si le message porté par ma musique était détourné par quelqu’un, je le condamnerais. Dieudonné a une fierté surdimensionné.
Tu le connais personnellement ?
Je suis allé à plusieurs de ces spectacles puis j’ai dû arrêter pour des raisons personnelles. Pour ma sécurité notamment.
Sur ta page Facebook, on t’a aussi toute de suite vu réagir aux événements survenus en Isère. Non sans ironie d’ailleurs…
Il y a de l’ironie car je me demande comment une personne comme Yacine Sahli, quand on écoute sa femme en direct sur Europe 1, peut avoir été immédiatement traité comme « un terroriste ». J’avais l’impression que les journalistes prenaient un malin plaisir à lui annoncer la nouvelle. Je l’ai ressenti comme ça et je ne suis pas le seul.
Tu as le sentiment que les amalgames frappent davantage la communauté musulmane ?
Je suis quelqu’un de juste. Il ne faut pas oublier que beaucoup de pseudo-musulmans ont donné cette image-là. Il ne faut pas en vouloir directement aux gens. Mais il faut savoir faire la part des choses et discuter avec ce que j’appellerais les « vrais musulmans ». La personne inculpée en Isère, si elle se revendique vraiment de Daech ou d’un autre groupe, il faut la différencier absolument de l’Islam. Ca n’a rien à voir avec ma religion.
Les événements du 7 et 9 janvier n’ont pas aidé à changer cette image malheureusement…
C’est encore pire. Les responsables de ces atrocités sont des gens malades. Qui ont probablement rencontré à un moment de leur vie des mauvaises personnes, des idéologues. Et comme par hasard, ces personnes qui endoctrinent les autres, ne vont jamais au clash eux. Pourquoi ?
Tu en as déjà rencontré dans ton quartier ?
J’ai rencontré des gens faciles à endoctriner et des personnes dangereuses, plusieurs. C’est pour ça que dans la plupart des mosquées, il y a des divisions. Mais l’immense majorité des gens ne cautionnent pas ces individus. J’en ai rencontré car j’aime aller vers eux pour leur parler. Ces gens sont malades, ils ont besoin d’être repositionnés dans la société. Je leur conseille de voyager, de s’ouvrir ou d’aller voir un psy. Ils sont H-24 dans leur quartier à regarder BFM TV. Ils parlent avec des gens qui n’ont que la méchanceté dans la bouche, au nom de la vengeance. Mais la vengeance de quoi ? Ils ont besoin d’ouvrir leur esprit, de relire le Coran, car ce n’est pas ça qui nous est enseigné.
Ton rap est engagé. A quand remonte cet engagement ?
Il y a eu un élément déclencheur, c’est l’impact que pouvaient avoir mes morceaux sur la jeunesse. Les gens m’interpellaient dans la rue en me disant : « Ton texte m’a beaucoup aidé. » J’ai vu des gens pleurer pour certaines textes ! En rentrant chez moi je me suis dit « merde, j’ai une responsabilité, un rôle très important ».
En 2003, tu sors « Rap de Ben Laden »…
Une métaphore oui. C’était une façon de dire : « J’arrive dans le rap comme lui arrive dans le monde« / C’est à dire en mode : « Je fais parler de moi« . Sans jamais cautionner évidemment.
Tu dis dans ce morceau : « Toujours un Glock prêt à te prendre en otage, la rime sort du block »…
C’est du rap métaphorique…
Tu redirais ça aujourd’hui ?
Non jamais, j’ai pris conscience que ça pouvait heurter. Quand on a sorti ça à l’époque, il y avait tout un contexte derrière, c’était de la vantardise. Mais en prenant de l’âge, je n’ai plus envie de justifier et je ne veux pas que mon public prenne mal certaines de mes phrases. C’est comme ce morceau ragga Al Qaeda qui cartonne dans le monde entier, je ne crois pas qu’ils s’en revendiquent ! Et puis, je suis désormais dans une phase de rap égotrip, je n’ai plus besoin de me faire connaître.
Tu as fait partie victimes du hacker Ulcan. Que s’est-il passé ?
L’été dernier, suite à des manifestations en faveur de la Palestine. Comme je l’ai indiqué dans une vidéo d’Islam info, il a vu mes tweets au sujet de cet événement et l’engouement suscité sur internet. Peu de personnalités publiques avaient pris parti à ce moment-là. Il est entré en conflit avec moi, on dialoguait sur Twitter. J’ai reçu beaucoup d’insultes de sa part en messages privés. Moi je ne suis pas rentré dans ce jeu, je n’insulte pas. Il m’a dit : « Je vais te pourrir la vie. » C’est ce qui s’est passé, ça a duré quelques jours. Notamment un soir où j’étais chez mes parents, on reçoit un coup de fil en provenance de mon appartement. Sachant que j’étais là et que je vivais seul, j’ai évidemment trouvé ça bizarre. C’est finalement un policier qui me dit que je dois rentrer car on recherche un cadavre chez moi. Sur place, ils ont été très calme. Ils se sont tout de suite rendu compte que c’était un coup monté et ne m’ont pas mis les menottes. La police a été super avec moi, très compréhensive. J’ai quand même dû passer régulièrement au commissariat. Cet harcèlement a duré un mois.
C’est lié à tes soucis avec la LDJ tu penses ?
Il y a eu des tentatives d’intimidation de leur part, des menaces de mort.
Avant ou après ?
Ca avait commencé quelques temps avant les manifestations déjà et ça doit être suite à mes prises de positions sur Twitter concernant Israël. J’ai dit ce que je pensais et c’est là que ça a commencé. Je recevais des centaines de tweets haineux par jour. Ca me faisait peur. J’en reçois encore aujourd’hui.
Tu vis normalement aujourd’hui ? Tu as une protection ?
Jamais non. La police me l’a proposé. Ils ont vu que ce n’était que des prises de positions de ma part, pas de la haine. Je n’ai jamais marché avec des gardes du corps du corps. Quand je vais à Paris, je marche seul. Ce serait leur donner raison. Ce n’est pas une vie que je souhaite. Si des gens me cherchent ils savent où me trouver de toute façon. J’ai ouvert une chicha à Paris, ils le savent. Ils sont venus plusieurs fois devant en scooter pour m’intimider.
Ca se passe comment ?
Ils passent et ils m’insultent. Mes potes veulent se lever mais je leur dis de laisser faire. Ca n’ira pas plus loin. Et ça continue encore, je continue de ressentir la haine dans le regards de certains. Mais pas tous heureusement, j’ai des amis juifs dans mon quartier avec qui je m’entends très bien.
Tu penses que c’est ta présence à cette manifestation qui a engendré tout ça ? Ca paraît parfois disproportionné…
Je pense que ça a aussi fait du buzz par rapport à mon association qui avait rapporté pas mal d’argent pour les Palestiniens. J’avais reçu des messages où l’on me demandait pourquoi je faisais ça, on me disait que j’étais un terroriste comme eux. Et à chaque fois je répondais sur Twitter, en leur disant que je faisais ce que je voulais et que ça ne les regardait pas. J’ai une grande gueule, je ne me laisse pas faire.
Tu as parlé de ça avec des associations ou organisations juives ?
Jamais. je le regrette énormément. Je ne suis pas un homme de télé mais c’est dommage qu’on ne m’ait jamais invité pour en débattre. J’ai des choses à dire. Tout le monde est au courant de bribes de cette histoire mais on ne m’a jamais laissé la chance de m’exprimer.
Derrière cette manifestation, il y a le problème du conflit israélo-palestinien qui divise le rap français. Notamment le conflit qui a éclaté entre Booba et Tariq Ramadan. Tu en penses quoi ?
Je pense que ce conflit a donné une certain directive à un moment dans le rap. Certains ont changé leur façon d’écrire, ça leur tenait à coeur. Je pense ensuite que Tariq Ramadan n’aurait pas dû demander aux artistes de se positionner. Il aurait dû rester à sa place et je pense qu’il a dû le regretter. Booba pareil, il n’aurait pas dû le clasher. Ca ne sert à rien, c’est de la haine pour de la haine. Qu’ils se voient, se parlent, prennent une photo et la publient sur Facebook. On veut la paix, pas de la guerre ou de la vengeance. On veut deux peuples qui arrivent à vivre en harmonie. La haine doit cesser et l’amour du prochain doit prendre le dessus.
Un dernier mot concernant ton album qui sort à la mi-septembre ?
Ce n’est pas mon dernier album mais c’est sans doute le plus important de ma carrière. Il arrive à un moment donné où je me retrouve à la croisée des chemins. Est-ce que les gens vont encore vouloir de moi ? J’ai envie de relever ce défi.
{"type":"Banniere-Basse"}