Trois mois après la sortie de son premier album « Isolation », l’Américano-Colombienne de 25 ans est aujourd’hui considérée comme l’une des artistes les plus prometteuses du moment. Une ascension méritée, sur laquelle la chanteuse, qui travaille déjà sur son prochain disque, revient aujourd’hui pour nous.
Malgré les 30 degrés qui réchauffent Paris, Kali Uchis est encapuchonnée dans un ensemble Fenty Puma aux couleurs rouge-orangées. « J’aimerais beaucoup faire une collaboration avec Puma », lance-t-elle, soulignant son irrépressible désir d’exploration. Chanteuse mais aussi vidéaste, poète, saxophoniste de formation et designer à ses heures perdues, cette native de Virginie est parvenue à créer, depuis ses débuts en 2012, un monde à son image : ambitieux, ensorcelant, bercé d’innombrables influences. Un univers singulier, cristallisé par la sortie de son premier album Isolation le 6 avril dernier.
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Le jour de notre rencontre, elle découvre d’ailleurs l’édition vinyle de ce disque, de ce « bébé » dont elle se dit « si fière ». Et pour cause : ce projet au casting XXL, qui mêle aussi bien R’n’B que funk ou raggaeton, a été encensé par la critique, considéré par Pitchfork comme « un monde à part entière », grâce auquel la jeune femme « pourrait bien devenir une nouvelle force gravitationnelle dans la pop ». Une posture forte, que Kali Uchis compte bien réaffirmer avec la venue d’un second album.
Le succès d’Isolation réside entre autres dans sa capacité à avoir su parler à des gens d’horizons totalement différents. L’album est d’ailleurs porté par artistes aussi variés que Bootsy Collins, Jorja Smith, Tyler, the Creator ou Damon Albarn. Comment expliques-tu cela ?
Kali Uchis – Je crois que cela s’explique par le fait que j’ai grandi dans un milieu bercé d’influences et de cultures très différentes, issus des quatre coins du monde, qui ont nourri ma musique tout au long des années. Et puis, je n’ai jamais eu envie que ma musique soit attachée à un genre musical en particulier, donc c’est facile pour moi de naviguer entre différents mondes. Je me sens libre de faire ce que je veux, musicalement parlant.
Cet album est une ode à la liberté, à l’acceptation de soi. Quel était le message que tu souhaitais envoyer à travers lui ?
C’est tout à fait ça ! Les morceaux qui composent cet album ont été écrits à des moments très différents de ma vie. « Killer » a été écrit quand j’étais beaucoup plus jeune par exemple, contrairement à “After the Storm”, qui est plus récent. Quand j’ai décidé de me lancer dans la conception de ce premier album, j’essayais de trouver un moyen d’inclure tous ces morceaux dans un ordre précis, pour créer une trame cohérente.
J’ai cru que ça allait être difficile au début, mais j’ai rapidement réalisé que cet ensemble de morceaux était cohérents, dans la mesure où ils étaient… moi ! Peu importe les expériences que j’ai traversées durant la période où je les ai écrits : je suis restée moi-même, avec cet état d’esprit de persévérance, avec ce désir de rester concentrer sur mes objectifs, en arrêtant de chercher une validation extérieure. Donc le message que j’ai voulu envoyer au monde avec cet album, c’est celui-ci : restez concentrés, et croyez en vous.
Est-ce que le fait de concrétiser cet album t’a aidée à croire davantage en toi ?
Oui, totalement, je crois plus que jamais en moi aujourd’hui. Le fait d’être capable de subvenir à mes besoins et de toucher les gens à travers ma musique tout en restant moi-même, je trouve ça très puissant. La première fois que j’ai réalisé que j’avais ce pouvoir, c’était au moment de la sortie de ma première mixtape [Drunken Babble, en 2012, ndlr], pour laquelle j’ai créé 17 morceaux en une nuit – ce qui explique pourquoi je l’ai supprimée quelque temps plus tard [rires], je n’assumais plus !
Quand j’ai vu que les gens commençaient à la partager… je me suis dit : « Ok, donc mes idées brutes, mal produites, non mixées, mal chantées… les gens y adhèrent ! » Ça a même fini par arriver aux oreilles d’artistes super établis [Snoop Dogg l’a repérée en 2014, ndlr]. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je pouvais peut-être, à travers ma musique, parler et inspirer d’autres personnes, y compris des gens qui savent vraiment de quoi ils parlent niveau musique. Ça m’a encouragée à prendre ça au sérieux, et à sortir un vrai premier projet.
https://www.youtube.com/watch?v=bUANL9WoB90
C’est à ce moment-là que tu as commencé à travailler sur Por Vida, ton premier EP ?
Oui. J’étais encore en train de me chercher à ce moment-là, musicalement parlant… J’avais l’impression d’essayer de rattraper mon retard, parce que je n’avais pas grandi avec l’idée que je deviendrai une chanteuse, donc j’essayais encore de trouver ma voie, de comprendre qui j’étais, artistiquement. Mais je me suis lancée, j’ai écrit plusieurs chansons que j’ai enregistrées dans mon coin, et j’ai sorti Por Vida en 2015 de façon indépendante.
Après ça, je me suis dit qu’il était temps de sortir un vrai premier album. J’ai commencé à prendre des cours pour apprendre à utiliser ma voix le mieux possible, à travailler en studio aux côtés de vrais musiciens, des violonistes et guitaristes établis, des gens qui pouvait m’aider à élever ma musique. J’ai passé trois ans, de 2015 à 2018, à créer de la musique, constamment, à expérimenter différents sons et différents genres, et à voyager aussi. Je suis allée à Londres pour travailler avec Damon Albarn, à New York pour rencontrer les Dap-Kings, en Colombie pour bosser avec The Rude Boyz, qui ont par le passé travaillé avec Shakira par exemple.
Je voulais que mon premier album soit cohésif tout en restant expérimental, et j’avais à cœur d’y faire participer des gens que j’aime et admire, qu’il s’agisse de jeunes artistes comme Jorja Smith ou Steve Lacy, ou de légendes qui m’ont inspirée en grandissant, comme Bootsy Collins ou Damon Albarn. L’idée, c’était d’être entourée de ces gens-là, en lesquels je crois, pour créer un album qui raconterait mon histoire sous toutes ses facettes, en parlant de mes échecs et de mes réussites en tant qu’artiste émergente. Je me foutais d’être classée dans les charts, de devenir la nouvelle star de demain ; j’étais surtout intéressée par l’idée de laisser une trace authentique de mon passage. Dans ma tête, je me disais : « Si je meurs demain, voici ce que je laisse au monde ».
Vu le succès retentissant d’Isolation, qui a été acclamé par de nombreux médias, est-ce que tu ressens une forme de pression aujourd’hui, pour la suite ?
Non pas du tout, car comme je te le disais, mon but n’est vraiment pas de devenir une artiste dont le succès serait mainstream. Je travaille actuellement sur mon deuxième album et mon but reste le même : explorer, créer de nouvelles sonorités, raconter d’autres facettes de mon histoire, dont des choses que je traverse actuellement…
C’est vraiment grisant de clôturer un chapitre et d’être confiante pour l’avenir, de me dire : « Ok, j’ai fait mon premier album, et j’ai eu d’incroyables critiques de la part de magazines comme Rolling Stone ou Pitchfork (ce qui m’a vraiment surprise), donc je peux avancer sereinement”. Je suis si fière ! Isolation, c’est mon bébé qui a fait ce qu’il avait à faire. À présent, je suis prête à avancer vers la prochaine étape, en m’entraînant pour être une meilleure artiste.
Ton premier album t’a emmenée sur de nombreuses scènes, y compris celle, très convoitée, du festival Coachella. Y a-t-il un moment qui t’a particulièrement marquée en tournant avec Isolation ?
Je crois que mon moment préféré restera ce concert que j’ai donné en Colombie il y a quelques mois. Ce jour-là, j’ai reçu une plaque certifiant que mon titre “After the Storm” était devenu single d’or en Colombie ! Mon père a gardé cette plaque chez lui…
https://www.instagram.com/p/BgumqhSj5RB/?taken-by=kaliuchis
Avec Isolation, tu es devenue une femme extrêmement visible. As-tu l’impression d’avoir une responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qui te regardent, notamment celles issues d’Amérique Latine ?
Oui, complètement ! Il y a énormément de stéréotypes à l’égard des femmes d’Amérique Latine. Les gens s’attendent à ce que nous agissions et apparaissions en fonction de cette image qu’ils ont de nous. Donc je crois que c’est important pour nous, en tant que femmes latino-américaines, de montrer que nous avons aussi de la profondeur, que nous sommes intellectuelles, que nous avons des choses à dire, que nous avons le droit de montrer notre corps si nous le voulons, et de ne pas le montrer si nous n’en avons pas envie, de nous maquiller comme nous le souhaitons… d’être ce que nous avons envie d’être sans être affectées par ce désir constant de la société de vouloir nous mettre dans des cases. Donc oui, j’ai le sentiment d’avoir une certaine responsabilité.
Ceci dit, cette posture peut me faire peur parfois, parce que je suis humaine, et que je fais des erreurs moi aussi. Ça m’est arrivé que des jeunes artistes me disent : « Kali, tu m’inspires tellement, je veux être comme toi ! » Ce à quoi je réponds toujours : « Mais non, ce que tu devrais vouloir être, c’est toi ; juste être toi-même, montrer ce que tu es ». Je veux inspirer les gens à être eux-mêmes.
Finalement, qu’as-tu trouvé dans la musique que tu n’as jamais réussi à trouver dans aucune autre forme d’expression ?
J’écrivais des poèmes et des textes avant de savoir comment les transformer en chanson, mais le fait d’être aujourd’hui capable de créer de la musique avec mes propres mots, c’est une expérience incroyablement enrichissante parce que… [elle marque une pause pour réfléchir un instant, ndlr] Ce que j’aime avec la musique, c’est qu’une très bonne chanson est capable de te faire voir des choses, de visualiser une scène dans ton esprit.
Et c’est ce que j’ai toujours voulu faire avec mes chansons. J’ai toujours voulu que ma musique soit hallucinogène, qu’elle puisse donner des visions aux gens et leur permettre de voir ce film que je raconte, avec tous ces endroits et décors différents dont je parle, et de se projeter dedans. C’est la plus belle chose que la musique puisse réaliser à mon sens.
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