De la soul divine et cosmique avec Kadhja Bonet, de la musique des campagnes américaines avec Aisha Burns, du rock furieux sans guitare avec Wax Chattels, du lo-fi sensuel avec Lion In Bed, du funk des familles avec Prophet.
Le nouvel album de Kadhja Bonet démarre dans la démesure : un genre de péplum soul hippie où l’on imagine la Californienne en reine Cléopâtre, ou alors en Minnie Ripperton de l’espace. Il a fallu quatre ans et des voyages incessants pour enregistrer Childqueen et l’on est certain que pas une seconde n’a été gâchée en shopping, piscine ou vraie vie. Car s’il démarre très haut dans le cosmos, jamais l’album ne redescend sur Terre. Versions modernes, ambitieuses et terriblement sensuelles des fugues de Dionne Warwick, des chansons aussi capiteuses que Another Time Lover ou Thoughts Around Tea provoquent vertiges et chaleurs : qu’attend-on pour lui confier la BO du prochain James Bond ?
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Ce n’est pas parce qu’elle porte des dreadlocks en nid de serpents que les chansons d’Aisha Burns sont si venimeuses. Cette voix autoritaire mais fêlée comme une cloche de pénitencier, ces chansons rurales enveloppées de cordes et de drame suffisent à empoisonner l’entrain et la fougue. Mais comme chez Nick Drake, cette mélancolie se fait conviviale, cette violoniste de formation inventant des arrangements magnifiques pour ces compositions frugales. Et ce mélange de plus et de moins, d’addition et de soustraction, de luxe et de bure, d’exubérance et d’austérité distribue de petits bonheurs complexes comme rarement depuis Vashti Bunyan ou, plus près de nous, Agnes Obel. Attention : morsure profonde.
Ce sont deux labels avec des personnalités fortes, reconnaissables. Pas étonnant que depuis cinq ans, les Néo-Zélandais de Flying Nun Records partagent leur savoir-faire et leur amour d’une pop émancipée avec les New-Yorkais de Captured Tracks, autre maison mère de ce songwriting faussement nonchalant, vraiment maniaque. Ils entérinent aujourd’hui cette collaboration en cosignant les Kiwis de Wax Chattels un groupe qui, comme Suicide, Morphine, Royal Blood…, avant lui, fait du rock bruyant sans la moindre guitare. On est même gêné pour la pauvre guitare qui tenterait de venir rajouter un peu de larsens dans ce chaos orchestré de synthés en rut, en sueur, en force. Plus qu’analogique, cet arsenal est animalogique, incontôlé, dans la jungle plus qu’au zoo : la moindre des choses pour castagner un post-punk informé de free-jazz, qui souffle dans les bronches avec la vitalité du nor’wester, ce mystérieux vent qui rend fou le pays.
Depuis vingt ans, on suit les aventures de Mickaël Mottet dans les méandres d’un underground français où il fait des pirouettes sur les frontières effacées entre pop, rock, hip-hop et electro. D’où la surprise de le voir sédentarisé autour d’un son – rock, rugueux, lo-fi, sexy – sous le nom de Lion In Bed, nouveau groupe qu’il partage avec Schérazed, chanteuse forte en morgue. Ensemble, ils redéfinissent la notion de duo dangereux, à la Nancy Sinatra/Lee Hazlewood, qui câline avec un poignard planqué sous les jupes, qui susurre alors qu’on n’est jamais loin de la crise de nerfs. On peut préférer la crise de rire, l’extase sous la boule à facettes.
Aussi riche d’une longue carrière, le Californien Prophet a sorti son premier album en 1984. Le seul. Un album de funk en Prince bricolo, vite oublié, qui deviendra pourtant assez culte chez les cramés de ce son libidineux pour offrir une seconde chance au paria. Et ça tombe bien : le boss du label Stones Throw, Peanut Butter Wolf, ainsi que le producteur Mndsgn (Selah Sue, Asal Hazel) sont fans : le premier finance le come-back, le second le produit. Et rarement étrangeté et lubricité ont fait tel deal que dans ces titres où les basses sont autant salopées que slappées, où les déhanchements semblent si raides… Un des morceaux phare s’appelle Party. Les pattes d’éph y sont bienvenus.
Childqueen de Kadhja Bonet (Fat Possum/Differ-ant), Argonauta d’Aisha Burns (Western Vinyl/Differ-ant), Wax Chattels de Wax Chattels (Captured Tracks/Flying Nun/Differ-ant), Lion In Bed de Lion In Bed (We Are Unique/La Baleine), Wanna Be Your Man de Prophet (Stones Throw/Pias)
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