Découvert par Booba, Kaaris est le nouvel homme fort du hip-hop français. Au programme : « Dragon Ball », Frédéric Taddeï, « Le Livre de la jungle » et Wong Kar-wai.
Ton premier album est maintenant disque d’or. C’était un objectif ?
Kaaris – Au début, on visait entre 10 000 et 15 000 ventes la première semaine mais là, l’accueil qu’a reçu le disque dépasse toutes mes espérances. Ça me donne envie de faire un deuxième album qui soit aussi bon.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ta tournée approche, t’es chaud ?
Grave, la scène c’est mon truc. Tout ce que je donne dans mes sons en studio, je souhaite le faire ressentir sur scène. Maintenant faut que j’arrête de bédave pour avoir les poumons bien opérationnels car faire un concert d’une heure, c’est pas comme faire des petits showcases de 30 minutes avec un joint à la main.
Tu seras seul sur scène ?
Oui, avec un DJ derrière et peut-être deux ou trois pirates (surnom que Kaaris donne aux filles – ndlr) dans un petit coin. (rires)
La reconnaissance du public est-elle plus importante que la reconnaissance critique que tu as désormais ?
Bien sûr. Mais mon public se divise en deux : celui qui m’a découvert avec Kalash, et celui qui me connaît depuis mes débuts en 2007 avec 43ème Bima (sa première mixtape – ndlr). Mais j’ai toujours écrit de la même façon. Certains diront peut-être que je suis devenu plus dur, mais la vérité c’est que j’ai toujours écrit comme ça.
Quel a été le déclic ?
C’est le titre Kalash sur l’album Futur de Booba. Ce morceau a traumatisé les gens. Il a traumatisé le rap français. Il a traumatisé la street. Il a traumatisé tout le monde ! Mais des mecs qui ont fait des featurings avec Booba, il y en a eu plein. Après, j’ai sorti Zoo. Ce morceau, personne ne l’attendait. Balayette, direct. (rires)
Zoo est un morceau que tu as avais dans les tiroirs depuis longtemps ?
Je ne me souviens plus très bien. Mais je crois que je l’ai écrit juste après Kalash. Parce que c’était aussi facile à écrire, contrairement à des morceaux comme Bouchon de Liège pour lesquels j’ai éprouvé plus de difficultés. Zoo, c’était très rapide. J’ai dit à Therapy (producteur et beatmeaker de Kaaris et de Booba – ndlr) qu’il n’y avait pas de punchlines. Il me répondait : “t’es fou, il en est rempli !“ Mais pour moi, ce n’est pas ça des punchlines. Pour moi des punchlines, c’est mon titre Bouchon de Liège, ou Kalash. Zoo, ce sont des phrases écrites à la suite. Je n’ai pas essayé de faire des jeux de mots. Ce sont des phrases imagées. Il n’y a pas d’humour, même si je ne cherche pas forcément à en faire.
Quand Booba t’as proposé de participer à Kalash, tu t’es dit qu’il fallait y aller à fond…
Oui, j’avais déjà fait un featuring avec Booba, Criminelle League sur Autopsie 4. Je ne voulais pas refaire la même chose, même si j’étais content de mes couplets sur ce titre. Lorsque Booba m’a recontacté pour son album, j’ai tout de suite compris l’enjeu. Booba fait rarement deux feat. avec le même mec, donc intérieurement je me suis dit : “allez, fonce, il faut donner le maximum !”
Un morceau comme Plus rien semble très écrit.
Pour Plus rien, je me suis pris la tête. Il y a des morceaux comme ça. Pour Paradis ou enfer aussi, je me suis pris la tête. Mais ce n’est pas parce que tu te prends moins la tête que le morceau est moins bon. Il y a différentes façons d’écrire. Certains textes ont besoin de simplicité, pour que les gens comprennent tout de suite. Pour Plus rien, il a d’abord fallu trouver le flow. Ensuite j’ai développé l’idée. J’ai écrit le deuxième couplet un mois ou deux après le premier.
Tu as commencé le rap sous le nom de Fresh. Pourquoi avoir changé ?
Parce que c’est tout pourri. Quand tu débutes, soit tu inverses ton nom, soit tu t’appelles Fresh. Ça vient du film de Boaz Yakin, Fresh, qui m’a marqué quand j’étais jeune. C’est un film de l’époque de New Jack City et Menace to Society. Ces films ont marqué ma génération. Fresh raconte l’histoire d’un enfant du ghetto qui fait passer de la drogue et à qui il arrive plein de trucs. Le nom Kaaris est venu plus tard, en 2006, quand je me suis inscrit à la Sacem. Je ne savais pas quel nom donner. Je suis parti marcher cinq minutes, et en revenant j’ai dit : “Mettez Kaaris ». Dans les morceaux d’avant, je me faisais appeler Kaarismatik, j’ai décidé de couper la poire en deux. Pour la petite histoire, le double A est une référence à Kaa, le serpent dans Le Livre de la jungle.
Rencontrer Therapy a-t-il changé ta façon de travailler ?
Therapy, c’est ma plus belle rencontre dans la musique. On se ressemble. J’ai travaillé avec des gens qui me disaient : “non, ne fais pas comme ci, ne fais pas comme ça”… Ces personnes m’auraient dit que Zoo n’était pas un bon morceau, qu’il ne fallait pas le sortir. Au contraire Therapy m’a dit que ce serait celui qu’on balancerait en premier. Tu vois le délire ? On est pareil. Il y a un feeling entre nous.
Comment travailles-tu avec ses instrus ?
Quand j’en reçois une, je l’écoute en boucle durant 48 heures jusqu’à la connaitre par cœur. Je la connais tellement bien que je peux ensuite écrire sans écouter le beat. Il y a des sons que je termine sans avoir la musique qui résonne. J’aime bien écrire sur des carnets, avec un stylo. J’ai besoin de ça. Quand je ne suis pas chez moi, j’écris sur un de mes téléphones. Mais quand je rentre, je réécris tout sur papier.
Tu as des nouvelles de Booba depuis la sortie de ton album ?
Bien sûr. Booba avait anticipé le succès de mon album, il disait depuis longtemps que je ferais entre 15 000 et 20 000 ventes la première semaine.
Le rap politique, c’est quelque chose que tu rejettes ?
Je ne le rejette pas. Mais je n’écoute pas les critiques. Parfois, j’entends des mecs dénigrer le rap hardcore pour essayer de légitimer leur travail. Mais l’essence du rap, c’est ça, non ? Après, évidemment tu peux faire des morceaux où tu parles de la famille, de la condition humaine dans ton quartier ou dans le monde. Tu peux faire ça de temps en temps, mais pas tout le temps.
Tu as l’impression d’être le représentant de la trap music en France ?
Oui, mais j’ai surtout l’impression de faire de la musique alternative, alors que les autres, eux, feraient du rap. C’est tout le contraire. Moi, je fais du rap. Je ne pleure pas, je ne miaule pas. Si je viens, c’est pour kicker. Même si j’ai rien dans les poches, je dis : “J’ai !”. C’est ça le rap. T’as pas de meuf, t’as rien, mais dans tes clips tu vas tout mettre, juste pour béflan. Après, je ne veux pas faire le politicien ou dénigrer les autres. Ils font ce qu’ils veulent mais je regrette qu’on nous mette tous dans le même sac.
Tu as beaucoup de demandes de featurings ?
Franchement, non. Ça peut sembler bizarre, mais si on parlait de moi à d’autres rappeurs, je pense qu’ils ne diraient pas grand-chose. Il y a un truc qu’ils ne comprennent pas et qu’ils n’acceptent toujours pas. Ils pensent que je ne suis pas légitime.
Ça te blesse ?
Mais non justement, le prochain morceau sera encore plus violent ! Et ils vont encore moins comprendre ! S’ils m’encensaient tous, je me serais peut-être ramolli. Le mal qu’ils dégagent, ça me fait gonfler. Je suis un personnage de manga. Ça me donne de la puissance.
Tu as déjà recommencé à écrire ?
Tu vas voir les prochains morceaux… C’est la guerre du Koweït.
Tu prépares une mixtape ?
T’inquiète pas. Tu verras bien assez tôt. (rire)
Est-ce que tu lis ?
Oui, j’aime bien les livres de Paulo Coelho, par exemple. Ça ne vaudra jamais un Dostoïevski mais j’aime bien Maktub ou Aleph. Ça ne m’influence pas dans mon écriture, mais ça me donne envie de faire des textes aussi bien. Mon vocabulaire vient de la rue, c’est nous qui changeons la langue française. Après, j’aime aussi regarder des classiques en noir et blanc ou des émissions de débat comme Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï, c’est une manière de me nourrir culturellement.
Tu aimerais mettre des rappeurs plus jeunes en avant, comme Booba a pu le faire avec toi ?
Je n’en suis pas encore là. Si je fais ça maintenant, je vais m’envoyer en l’air. Faut pas abuser, je viens d’arriver, c’est mon premier album, je ne peux pas commencer à dire que je vais produire des gens. Mais si je dois faire un feat. ou une apparition dans un clip, ce sera avec un mec de ma ville, Sevran.
Mais tu es conscient que tu es en train de prendre rapidement de l’importance au sein du rap français ?
Oui bien sûr, mais ça fait 13 ans que je fais du rap. Si tu fais la moyenne, ça ne fait même pas 4000 disques vendus par an. Je suis petit. Certains ont vendu des millions d’albums… Rien que pour les fêtes, certains vendent des dizaines de milliers d’albums. On ne peut pas offrir mon album à un enfant… Il y en a qui viennent me voir à l’aéroport en m’appelant par d’autres noms. Des petits blonds aux yeux bleus ! Ils ne me tendent pas une banane, hein. Ils me demandent une photo. Là, je leur dis: “quoi, toi tu veux faire une photo avec moi ? t’es sûr ?” Les darons ils disent : “oui, oui, oui”. Mais ils se trompent souvent de personne ! Au Maroc, une fois, un mec est venu me voir et m’a demandé si je pouvais chanter pour sa fille… Je lui ai dit : “t’es sûr que tu veux que je chante Zoo pour ta fille ?” C’est un truc de dingue. Je les repère à des kilomètres, quand ils commencent à s’approcher en file indienne. Ils se croient à la kermesse, alors que c’est le ghetto, ici ! (rires)
La suite de l’interview page suivante.
{"type":"Banniere-Basse"}