Tête d’affiche absolue de Rock en Seine le 26 août, le duo Justice publie deux jours avant un disque qui retrace ses expériences en public des dernières années. Bien plus qu’un simple album live.
C’était le 14 octobre 2017, à l’AccorHotels Arena de Paris – que les plus conservateurs continueront sans doute d’appeler Bercy. Sur la scène, Xavier de Rosnay et Gaspard Augé vivaient une petite épiphanie personnelle. Dans un décor fait de leds fluorescentes à souhait et pivotant sur elles-mêmes, ils pouvaient voir, un peu partout autour d’eux, et surtout chez eux, dans leur ville, le public se trémousser comme jamais au son des trois albums qu’ils ont désormais laissés derrière eux – dans une des courses les plus élégantes, les plus folles et fulgurantes qu’ait connues l’electro française.
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C’était beau, c’était classe, c’était cool, et quand Xavier de Rosnay, son bombers des Raiders d’Oakland sur les épaules, fit – porté par les spectateurs – son tour habituel dans la foule au son de Parade (le titre qui conclut habituellement leurs concerts), ce serait mentir que de ne pas vous avouer qu’on en a peut-être versé une petite ; ou tout du moins que chair de poule il y eut.
La grandiose tournée 2016 couchée sur disque
Plus de dix ans que le duo, protégé par Pedro Winter et hébergé par son label Ed Banger, régale avec une musique qui n’appartient qu’à lui. Il y avait, au début, cette scie et ces beats en merisier qui portèrent Augé et de Rosnay jusqu’aux Etats-Unis avec un premier album sorti en 2007 et devenu un classique – disque excellent qui contraint de nombreux jeunes à se faire tatouer pour toujours, quelque part sur le corps, la croix, cet emblème du groupe dessiné par l’excellent So Me.
En 2011, Justice embrassait une ambition plus pop avec Audio, Video, Disco, et continuait son bonhomme de chemin en montrant à la terre entière qu’il avait plus qu’un séquenceur dans le caleçon. Puis ce fut, en 2016, le très beau Woman, psychédélique et juteux comme il faut, plus influencé par le songwriting californien que par la MDMA, qui suscita cette grande tournée mondiale et grandiose que le groupe a aujourd’hui choisi de coucher sur disque.
On redécouvre un groupe ambitieux, qui en plus de dix ans de carrière n’a jamais cessé de foncer tête baissée vers le futur – tout en n’oubliant jamais de jeter un regard complice dans le rétroviseur
Ne nous méprenons pas, il s’agit là de bien plus que d’un simple album live. Woman Worldwide, c’est le nom de cet essai d’une grande générosité, est autre chose qu’une simple capta. D’ailleurs, on n’y entend pas le public, comme c’est l’usage pour les classiques du genre. On y entend de la musique, rien que de la musique. On y redécouvre un groupe ambitieux, qui en plus de dix ans de carrière n’a jamais cessé de foncer tête baissée vers le futur – tout en n’oubliant jamais de jeter un regard complice dans le rétroviseur.
Sur ce double album, ce sont les marottes de Justice que l’on redécouvre (le tatapoum, le metal, les montées de bâtard, les synthés sublimes, les sons smileys et les grosses basses qui prennent au bas-ventre), mais aussi toute la virtuosité de la puissante doublette que composent Augé et de Rosnay – que nous avons croisés à Paris au cœur de l’été : l’un en total look retraité de Floride avec une pointe de Captain Iglo (la casquette), l’autre dans un mood denim-chemise-lunettes de sun beaucoup plus sobre.
“Un peu en décalage dans le monde de l’electro”
Toujours drôles et attachants, brillants et mordants, les deux revenaient ensemble sur cette tournée mondiale qui les a emmenés partout dans le monde, et qui les conduira à Rock en Seine le 26 août – pour ce qui devrait constituer une apothéose. Xavier prenait, le premier, la parole : “Aujourd’hui, on a parfois l’impression d’être un peu en décalage dans le monde de l’electro, d’être un peu des vétérans dans les festivals. Mais ça n’est pas grave, tout cela nous oblige à réinventer notre musique. L’electro est une musique exigeante, qui réclame beaucoup de nouveauté, et tout ça nous a obligés pour ce live a créer de nouvelles choses à partir de notre musique existante. C’était vachement excitant, d’autant que la musique qu’on aime n’est pas forcément celle qui est la plus efficace – ce qui est contradictoire avec la scène.”
Gaspard Augé poursuivait : “Quoi qu’il se passe quand tu es sur scène derrière un praticable, les gens ne savent pas vraiment ce que tu fais. On voulait, sur ce live et dans le set-up, sortir du côté vente de sandwichs, du côté homme-tronc, on voulait que les gens nous voient faire, nous redécouvrent. Et tout ça est valable pour la musique aussi, on voulait ouvrir les portes de notre catalogue lors de ce live.”
Et c’est vrai que lorsqu’on écoute ce Woman Worldwide avec l’attention qu’il mérite, on retraverse, le sourire jusqu’aux oreilles, l’œuvre ouverte de ce qui restera l’un des groupes français les plus importants du début des années 2000. Si Justice a su marquer l’histoire de la musique d’aujourd’hui par l’urgence de morceaux comme Waters of Nazareth, Stress, D.A.N.C.E. bien entendu, avec sa chorale de kids, ou ce fameux remix du We Are Your Friends de Simian Mobile Disco, c’est aussi, depuis quelques années, en écrivant des morceaux au groove plus introspectif (Canon par exemple, sur le deuxième album, et sur le dernier disque Safe and Sound ou encore Love S.O.S.) que Justice s’est assuré une pérennité indiscutable, plus en accord avec ses envies actuelles. “Woman Worldwide est le guide parfait pour celui qui, prisonnier des glaces ou d’une quelconque peuplade excentrée sur le globe depuis une décennie, souhaiterait aujourd’hui comprendre le parcours de Justice avec la précision et la justesse qui importent.”
“Super excitant et satisfaisant”
Car c’est cela qui restera, au final, des rencontres successives avec ce live du duo parisien qui, on l’a dit, est bien plus qu’un live : c’est une expérience cognitive qui permet de se glisser dans les méandres et les interstices d’une des plus belles aventures sonores de ces dernières années, sans jamais tomber dans le côté muséal ou la rétrospective bidon. Car plus que de se contenter de coller entre eux des bouts de leur carrière, les garçons ont bossé dur pour faire de Woman Worldwide une véritable traversée, qui raconte le groupe tout en le réinventant par la même occasion.
Xavier de Rosnay : “Il y a des morceaux qui sont plus durs que d’autres à réenvisager, et quand on y arrive on est hypercontents. Quand tu as trouvé la solution pour tous les morceaux et que tous fonctionnent ensemble, c’est super excitant et satisfaisant, tu as envie de monter sur scène pour en découdre.” Pas un moment faible, pas une seule autoroute, les morceaux s’entrechoquent et s’entremêlent dans une grande modernité, qui parvient à gommer les effets de mode, les gimmicks ou les facilités d’époque.
“Ce qu’on voulait avant tout, c’est que les gens redécouvrent notre musique, qu’on puisse attraper ceux qui nous ont découverts sur le dernier album et faire revivre des trucs à ceux qui nous suivent depuis le début” Xavier de Rosnay
Plus qu’un Justice à deux vitesses, c’est un Justice total que l’on découvre ici, et qui, sans aucun doute, a réussi à faire de Woman Worldwide un disque qui restera. “Ce qu’on voulait avant tout, c’est que les gens redécouvrent notre musique, qu’on puisse attraper ceux qui nous ont découverts sur le dernier album et faire revivre des trucs à ceux qui nous suivent depuis le début”, explique Xavier de Rosnay.
Pour tous ceux qui ont eu la chance de voir le show de Justice en live (on se souvient d’un concert inoubliable aux Eurockéennes de Belfort en 2017), le disque sera une délicieuse madeleine montée sur ressorts ; pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de les voir, ce sera une préparation imparable ou – ce que l’on ne souhaite pas – une consolation sublime, ultime.
Album Woman Worldwide (Ed Banger/Because Music), sortie le 24 août
Concert Le 26 août à Saint-Cloud (Rock en Seine)
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