Pour sa quatrième édition, le festival Pantiero qui se déroulait à Cannes du 17 au 20 août a mis le hip-hop au premier plan en invitant les 5 MCs de Jurassic 5 pour une soirée de clôture des plus réussis. Mais les jours avant, les surprises ont été également nombreuses. Compte-rendu.
Pantiero n’est assurément pas un festival comme les autres. Avec sa programmation gonflée, uniquement basée sur les coups de c’urs de son directeur artistique, Jean-Marie Sevain, et l’endroit improbable où il se déroule – Cannes, sur la terrasse du Palais des Festivals, tout simplement -, Pantiero est à l’écart des formules habituelles des festivals d’été. Si cette quatrième édition n’a pas rencontré un grand succès public (les trois premières soirées n’étaient qu’à moitié remplie), elle a néanmoins été une grande réussite sur le plan artistique.
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Pour vous conter la première soirée que nous avons tristement raté, je m’en tiendrais au propos d’un sympathique vendeur de t-shirt croisé à l’entrée du festival et à qui nous nous sommes empressés, dés notre arrivée sur le site, de demander ce qu’il avait pensé des concerts de la veille. « Oh y avait un truc electro-clash, Riton, pas très original », a-t-il commencé avant de concéder aux anglais de Maxïmo Park « une pêche d’enfer ». Mais c’est en nous ordonnant de ne pas rater la prestation de la soul woman Sharon Jones le surlendemain (« je l’ai vu il y a un mois, le meilleur concert de ma vie ») que ce type s’est révélé ? a posteriori ? de très bon conseil (voir plus bas).
C’est au son lancinant de la techno des anglais The Bays que cette petite discussion introductive s’est tenue. Un groupe « qui ne sort pas de disque, lui préférant la scène » dixit la bio écrite par l’attachée de presse du festival. Et c’est effectivement live, avec claviers, laptop, basse et batterie, que cette techno roborative, avec ses penchants acides, semble prendre ses aises. On profite donc de The Bays en cet instant présent, découvrant en même temps la terrasse du Palais des Festivals, son bar bien achalandé, sa vue imprenable sur le Suquet, le vieux quartier de Cannes tout éclairé, et sur l’inévitable Croisette. La grande classe.
C’est avec la Youngblood Brass Band, fanfare new-yorkaise d’une dizaine de membres, que la soirée commence à prendre un tour un peu plus sérieux. D’emblée, on se dirige devant la scène pour mieux goûter à leurs mets funky, ponctués d’apartés hip-hop et d’envolées free du meilleur goût. Si l’exercice de la fanfare n’évite pas, au bout d’une heure, quelques redondances (et détours par le bar), la bonne humeur de ces musiciens apparemment ravis d’être là sauvera les apparences. Et préparera le terrain pour les têtes d’affiches de la soirée, les vétérans hip-hop de The Pharcyde, que l’on avait pas vus sur une scène française depuis des lustres.
The Pharcyde en live, ce sont deux MCs, Imani Wilcox et Bootie Brown, les deux seuls rescapés de la formation d’origine responsable des mythiques Bizarre Ride II the Pharcyde et Labcabincalifornia, un batteur taille XXL et un DJ aux scratches acérés. On regrettera par moments les effets un peu trop marqués sur les voix des MCs mais l’ensemble tient au final bigrement bien la route. Et le public, même si clairsemé, en redemande : les bras sont en l’air et les b-boys sont de sortie.
Le lendemain soir, après une belle journée au soleil à se dorer la pilule (on est pas sur la cote d’Azur pour rien), la prestation de Boom Bip, qui commence la soirée, se réduira pour nous à une vague bruitiste clôturant le dernier morceau de son show. Dommage. La surprise viendra du concert des américains de Fog, venus spécialement de Philadelphie pour jouer à Pantiero. Pensionnaire émérite de labels pointus comme Ninja Tune ou Lex Records, ce groupe est le jouet atypique d’Andrew Broder, ce soir en costume sombre et affichant une mine frondeuse qui en dit long sur ce qu’il peut cacher dans sa caboche.
Si sur album, sa musique nous avait rarement touché, elle s’avère sur scène d’une originalité, d’une fureur et d’un éclectisme étonnant, notamment grâce à un la cohésion de son groupe, totalement impliqué dans les détournements sonores de son leader. Pensez à une somme d’influence disparates mais curieusement homogène : les expérimentations de Radiohead, l’humour irrévérencieux de Zappa, les attaques no-wave de Sonic Youth et le hip-hop tordu de la clique Anticon.
C’est aux vétérans américains de Yo la Tengo que reviendra l’honneur de clôturer cette soirée, la seule de cette édition véritablement consacrée aux à côtés expérimentaux. Des rumeurs nous étaient parvenues de leur prestation à la Route du Rock la semaine précédente et c’est donc avec impatience que l’on guette l’arrivée sur scène de Ira Kaplan, Georgia Hubley et James McNew. Un peu vieillis (Georgia, notamment), les Yo La Tengo s’avéreront pourtant d’une pertinence rare, déroulant devant un public de curieux toute l’expérience musicale acquise en presque vingt ans de carrière.
C’est Ira qui séduit d’emblée, aussi à l’aise en crooner fifties sur des samples étranges qu’en « guitar hero » aux envolées free. Ainsi, dés le premier morceau (alors que la logique veut qu’on attende le dernier morceau), ce terroriste sonique menace très sérieusement de balancer sa guitare sur son ampli. Durant la bonne heure que durera leur prestation, on aura le droit à quelques-unes de leurs plus beaux morceaux – The Summer, Tom Courtenay, Stockholm Syndrome ou le superbe instrumental I heard you looking ? mais également à deux splendides reprises en final, celle très réussie de Nuclear War de Sun Ra (jouée à deux batterie, un clavier et trois voix) et I heard her call my name, inévitable pépite tirée du répertoire de leur principaux aînés, le Velvet Underground.
Le lendemain, boum badaboum. Ou du moins on n’en est pas passé loin. Ca aurait été un comble, non ? Descendre sur la Cote, nous pauvres parisiens blafards, et se taper une journée de pluie ? Heureusement, la soirée la plus efficace ? et curieusement la plus rétro – du festival se passera sous un ciel bleu limpide. Du groove qui tâche, du funk monté sur ressort, du hip-hop – old school bien évidemment -, tout a été fait pour que cette dernière soirée mette le public dans un état de surexcitation totale : le sourire aux lèvres et les pieds rarement en contact avec le sol, aucun festivalier n’échappera à cette vague de folie qui prendra la terrasse du Palais des Festivals d’assaut.
Les californiens d’Ugly Duckling seront les premiers ce soir sur scène. Auteurs de deux albums de hip-hop plutôt réussis, ces trois blancs-becs s’avéreront être le meilleur des apéritifs. Si Andycat et Dizzy Dustin, les deux MCs, s’avèrent être des disciples un peu bornés des Beastie Boys, leur DJ, Young Einstein, a suffisamment de samples funky, de beats old-school et autres sucreries à leur balancer dans les pattes pour donner à l’ensemble une belle énergie.
Changement de décor : les Dapkings montent sur scène. Sept musiciens (trois cuivres, deux guitares, une basse, une batterie), tous engoncés dans des costumes sombres et visiblement un peu étonnés d’être là, coincés entre deux groupes hip-hop. Il ne leur faudra pas plus d’une minute pourtant pour mettre le public de leur coté, à coup de solo de sax tonitruants, de cliquetis de guitare funk et surtout grâce à cette basse ronde, ample et diablement groovy. Un des guitaristes prend la parole, présente les musiciens, se la joue JB s : « ladies & gentlemen, let me introduce you the Dapkings ».
Il faudra au moins un bon quart d’heure d’instrumentaux avant de voir débarquer la « star », Sharon Jones, petit bout de femme habillée d’une robe orange pétant et monté sur des talons de dix centimètres. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle sait user de sa voix, la Sharon. Relégués à de simple faire-valoir, les Dapkings tentent de suivre ce volcan en irruption dans ses coups de gueule comme dans ses coups de charme. Et elle mènera toute sa petite troupe une heure de temps, déchaînant le public avec des trésor soul comme Natural Born Lover ou How long do i have to wait for you ?.
C’était déjà très bien (et presque éreintant) mais le meilleur restait à venir. Jurassic 5, la tribu hip-hop originaire de Los Angeles, dont la dernière prestation française deux ans auparavant avait laissé des traces indélébiles chez tous les amateurs de hip-hop, vont se servir de l’ambiance laissé par Sharon Jones pour faire monter l’ambiance encore d’un cran. Des sept membres du groupe (5 MCs, 2 DJs), le génial Cut Chemist, l’un des tous meilleurs DJs hip-hop de la planète et grand ami de DJ Shadow ? manquait pourtant à l’appel.
Qu’importe, le concert sera tout bonnement parfait et le groupe y déroulera avec une énergie communicative les tubes de ses trois albums, plus quelques inédits. Rythmiquement implacables, les 5 MCs de J5 jonglent avec les samples de basse funky et les breakbeats compulsifs de DJ Nu Mark (très en forme). Le géant Chali 2 Na notamment, avec son timbre grave et élastique, provoquera à chacune de ses interventions les cris enthousiasmés des néophytes comme des connaisseurs. In the flesh, Jurassic finish first, Quality Control, Concrete Schoolyard? On ne compte plus les perles hip-hop qui défilent dans nos oreilles et sous nos yeux, donnant au festival Pantiero un final digne de ce nom. Les jambes en coton, sans voix mais les oreilles pleines de bon son, on rentre ce coucher. Demain, Paris, mauvais temps annoncé.
Crédits photo : Caroline Halazy
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