Toujours sous influence sixties, toujours pop et toujours élégante, la musique de Juniore est essentielle au paysage francophone contemporain. En témoigne leur trépidant et mélancolique deuxième album.
“Je digresse beaucoup”, s’excuse Anna Jean. Elle n’a pas à se faire pardonner, tant la fluidité de notre conversation pourrait la faire durer des heures sans que l’on s’en lasse. Mélancolique, consciente de sa vulnérabilité et néanmoins affirmée, dotée d’un sens de l’humour plutôt acide : la chanteuse ressemble à la musique de Juniore.
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Remarqué avec un premier album, Ouh là là (2017), le groupe a pu compter jusqu’à sept membres. Aujourd’hui, il s’est recentré en trio. Anna officie à la guitare, aux claviers et au chant, son alter ego Samy Osta à la production (et à tous les instruments qui lui tombent sous la main), Swanny Elzingre à la batterie.
Des sons comme des images
“L’essentiel est resté, même si toutes les jeunes femmes qui ont travaillé avec nous ont marqué l’histoire de Juniore, raconte Anna. Après une longue tournée à huis clos, la complicité presque adolescente se reflète dans ce nouvel album. Notre processus créatif est devenu plus simple : je fais des maquettes, je les fais écouter à Samy, et si ça fonctionne, on répète et on enregistre. Chacun·e a pris sa place.”
D’où le titre, Un, deux, trois, qui fait aussi référence aux slows à l’ancienne tout en convoquant cette formule qui donne de l’élan quand on est enfant : “C’est toujours une aventure de sortir un disque, surtout quand c’est un projet artisanal comme le nôtre, qui n’épouse pas l’air du temps.” Et Samy Osta de renchérir : “Notre but n’était pas de faire des tubes, mais de rester dans notre continuité musicale, en montrant une progression. Rester les mêmes… en un peu mieux !”
Juniore se joue donc des époques, mariant allègrement l’art-rock pétillant des B-52’s aux formules pop de Jacqueline Taïeb, la langueur acoustique de Françoise Hardy aux vibrations du surf rock sixties, des Ventures à Dick Dale, des Lively Ones aux Surfaris. Au cœur de l’album résonne un instrumental typique du genre, Walili : “Cette musique surf accompagne mon imaginaire, partout”, confirme Anna. Samy Osta, qui a grandi en écoutant Leonard Cohen et Bob Dylan, “envisage les sons comme des images”, lui aussi.
“Quand j’enregistre un clavier et que je rajoute une réverb, je me réfère soit à Sergio Leone, soit à Blade Runner.” En résulte un disque à la texture surannée, vaporeuse et électrique, sensuelle et sentimentale, et plus immédiate que son prédécesseur. “Un, deux, trois a été enregistré sur un magnétophone à bandes, sur une base guitare-batterie, commente Osta. Car c’est en tournée à l’étranger, en jouant à nu sans artifices, qu’on a ressenti le plus de sensations.”
“Face au narcissisme actuel, j’aime l’idée de ne pas me montrer”
Samy Osta se souvient qu’en le voyant apparaître déguisé en fantôme sur scène, le public français était resté dubitatif, voire fuyant, contrairement aux Anglais. Aujourd’hui, il a opté pour un chapeau plus sage, qui le dissimule tout autant – “Face au narcissisme actuel, j’aime l’idée de ne pas me montrer” – et qui laisse place au charisme de ses deux camarades féminines à fort tempérament.
Hormis le live, la composition de la bande originale du film Les Fauves, avec Lily-Rose Depp et Laurent Lafitte au casting, a également influencé le disque. “Nous avons en commun avec le réalisateur, Vincent Mariette, un goût pour les univers sombres, à la fois fantastiques et naïfs, reconnaît Anna Jean. Ce qui nous a confortés dans cette volonté de nous inspirer de films noirs ou d’horreur, sans perdre une certaine vision de l’innocence.”
Et une appréhension de la solitude chantée par Anna, y compris à travers un morceau tragicomique comme Tu mens : “J’ai découvert un vrai plaisir dans l’écriture de chansons, celui de cristalliser un échantillonnage de sentiments personnels paraissant finalement assez universels. J’ai encore le sentiment d’être en crise d’ado, désemparée, hostile face à ce monde tel qu’on nous le présente, et face auquel on est impuissants. Cependant, malgré le sexisme et le jeunisme ambiants, plus les années passent, plus on se détend.”
Grave, lui, fait preuve d’une ironie toute gainsbourgienne – bien qu’Anna n’oserait se comparer à ce modèle ultime à ses yeux, aux côtés de Barbara ou de Prévert, dont elle apprécie “la simplicité sophistiquée qui rend extraordinaire l’ordinaire”. Quant au poids de l’héritage de son père, l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio, elle l’assume sans coquetterie.
“Pendant des années, j’avais peur qu’on me prête de l’intérêt uniquement pour cette filiation, car j’avais l’impression que je ne saurais pas quoi en faire. Or, lors de la promotion d’Ouh là là, je me suis aperçue que les gens pensaient que j’étais beaucoup plus intelligente que je ne l’étais… Très pratique !” Cette petite phrase témoigne non seulement de l’autodérision de l’élégante Anna Jean, mais également d’une qualité aussi importante que l’esthétique de sa poésie, l’évidence de ses mélodies et le charme de son chant : la malice.
Album Un, deux, trois (Le Phonographe/Sony Music)
Concerts Le 10 mars, Marseille (festival Avec le Temps), le 7 avril, Paris (La Maroquinerie), le 9 avril, Bordeaux (IBoat), le 10 avril, Lyon (Le Transbordeur), le 11 avril, Montpellier (Rockstore)
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