BON VOYAGE ORGANISATION décolle sur un album aux horizons funky et futuristes de première classe. Rencontre avec Adrien Durand, son pilote.
La pochette, a priori un soleil couchant, interroge d’emblée, tant on peut y voir un bouton nucléaire ou un téton, écarlate de désir ou de fièvre. Au regard de ce qu’elle renferme, quarante-cinq minutes d’une musique irradiante et sensuelle, on opterait bien pour les trois. Depuis quelques années, d’abord sous le nom Les Aéroplanes (un maxi, Impersonnel navigant, en 2010), puis Bon Voyage ou Bon Voyage Organisation, souvent réduit en BVO, Adrien Durand aime à faire planer le doute, en amateur d’aviation et de nouvelles frontières musicales.
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Projet sérieux ou rideau de fumistes ?
Trompe-l’œil sonore ou orchestre première classe ? Face à ce démiurge de 32 ans, hâbleur et érudit, on repart avec autant de questions que de certitudes. Une chose est certaine, le garçon est pétri de talents, et notamment celui d’avoir su attendre l’heure du décollage, larguant au gré des saisons des titres prometteurs, à l’exotisme intrigant (Xyngye, Géographie, Mirage sur le Nil…), comme on lâche du lest, avec pour effet escompté celui d’un envol qui ferait date.
Des histoires et des géographies, réelles ou imaginaires
L’heure c’est l’heure, suggère le premier titre jazz-funk, entre Chic et Michel Magne, et l’heure est sans doute arrivée. Durand est dans le radar, avec coup sur coup la réalisation du dernier album d’Amadou & Mariam, La Confusion, et la sortie du premier album “long courrier” de BVO, Jungle ? Quelle jungle ?, à l’intérieur duquel se perdre est un délice. Pourtant, l’idée même d’un album, objet qui fige un peu trop les choses, paraissait une contrainte pour celui qui ne conçoit son travail qu’en mouvement : “Le fait d’aboutir quelque part me déplaît, pour moi chaque disque est une escale, un ‘en cours’. J’avais la crainte qu’un album, avec autant de musique, soit trop indigeste, mais il fallait en passer par là. Donc, j’ai réfléchi à l’idée de faire de chaque morceau une petite histoire.”
Des histoires et des géographies, réelles ou imaginaires, Adrien Durand et ses musiciens en ont plein leurs instruments, et leurs chanteuses (Maud Nadad de Halo Maud ou la comédienne Agathe Bonitzer) plein les poumons. Quelques phrases/mantras énigmatiques lâché(e)s sur des instrumentaux dilatés et le dépaysement opère, le déplacement n’étant ici qu’une illusion, un mirage tropical trop beau pour être vrai.
Un exotisme sans espace-temps
Jungle ? Quel jungle ? – titre inspiré, on l’aurait parié, par Crisis ? What Crisis ? de Supertramp – évoque autant les horizons lointains instragramés en haute définition que l’exotisme suranné des vieux SAS, les dystopies de la science-fiction vintage que l’ultramodernité clinique des mondes parallèles de l’ère virtuelle. “BVO est un laboratoire où j’essaie d’apprendre à faire des disques comme à l’époque…” L’époque ? Adrien Durand situe son âge d’or perso “entre 1978 et 1982” mais explose ce cadre lorsqu’il évoque sa passion primitive pour les albums les plus impénétrables de Soft Machine ou pour les cratères orgasmiques de Magma, n’hésitant pas non plus à faire rimer Ornette Coleman et Jean-Jacques Goldman en jurant ne pas chercher la provoc. “J’aime les mecs qui arrivent à contre-courant de leur époque et qui s’obstinent envers et contre tout à imposer leur truc. Goldman, c’est vraiment le cas typique, j’ai du respect pour ça.” Il se compte sans doute parmi eux.
Les chaloupes funky et synthétiques de Si d’aventure ou Le Grand Pari rappellent toutefois plus volontiers l’Alain Chamfort d’Amour année zéro, production Wally Badarou, maître béninois des synthés world-pop, dont l’album Echoes (1983) fait partie des références admises par Adrien. L’utilisation des voix d’amazones évoque quant à elle Yves Simon, dont BVO reprend le rare Amnésie sur le lac de Constance sur un tribute au chanteur à paraître en avril. “Je connaissais mal mais j’ai découvert une façon d’écrire non linéaire qui m’a inspiré, comme des haïkus. J’écris un peu comme ça, et d’ailleurs personne ne le dit mais je trouve que les textes de BVO sont bien supérieurs à notre musique.”
Démaquillées des tics 80’s toc de certains anciens morceaux (Love Soup, bien nommé), leurs compositions crépitantes et oniriques valent davantage le détour, et leur inspiration “sono mondiale” ne s’embarrasse d’aucune frontière, les impressions d’Afrique ou d’Asie apparaissant en filigrane sur leur feuille de route. Du léger soupçon de despotisme que l’on perçoit chez Durand, il se défend de belle manière : “Les musiciens sont au contraire très libres, je conçois notre musique comme une autoroute dont je suis les barrières de sécurité. Je n’aime pas quand on dépasse le cadre de l’esthétique qu’on s’est fixée.” Ancien expert en logistique médicale, il aidait au rapatriement des touristes. Avec BVO, il fait un peu le chemin inverse en nous expédiant vers des destinations dionysiaques. L’assurance garantie d’un beau voyage.
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