Dans leur quatrième album, le duo formé par Tom McFarland et Josh Lloyd-Watson s’efface un peu plus derrière leur machinerie soul.
Rencontre avec l’une des deux têtes pensantes de Jungle.
À bien des égards, Volcano, le quatrième album de Jungle est un disque particulier pour le duo formé par Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland : beaucoup plus varié que les précédents, c’est aussi le premier qui s’affranchit presque totalement de leurs voix pour n’assurer que le rôle de producteur. Une décision suffisamment à rebrousse-poil et anachronique pour s’entretenir avec Tom, l’un des deux cerveaux de l’entité Jungle, sur cette logique d’effacement, de fin de l’ego et de leur volonté d’anonymat qui préside à la création de Volcano.
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Quelle a été votre approche pour ce nouvel album ?
Tom McFarland – Elle n’est pas vraiment dirigée par le studio, mais plutôt par la route, en mettant en boîte des idées très rapidement et en faisant attention à ne pas trop réfléchir. Je pense que c’est très facile de se perdre et de s’aliéner dans le processus d’auteur. C’est comme si votre femme était enceinte et, qu’avant même qu’il naisse, le bébé a un nom, un job… Tu cristallises déjà des intentions alors qu’il n’a rien vécu. Dans Volcano on a voulu permettre à nos idées de grandir naturellement sans la moindre idée préconçue.
Comment s’est passé le processus d’enregistrement ?
On est allés dans un studio londonien, on a regardé toutes nos idées amassées sur les douze mois précédents et on a sélectionné. La sélection, c’est une grosse partie du processus, il s’agit de transformer tout ton fil de pensée obsessionnel et créatif en quelque chose de digérable.
Pour un groupe attaché au live comme vous, c’était comment d’enregistrer après la pandémie ?
On a pris beaucoup de l’énergie de notre tournée où les gens revenaient en concert pour concevoir ce disque. Pendant la pandémie, je me suis senti bien pauvre culturellement. Je ne pouvais pas aller au cinéma, ni au musée ou même simplement voir mes amis. En termes de créativité, c’était très compliqué. Josh est différent. Il adore être dans sa chambre à faire de la musique. Moi, j’ai besoin de sociabiliser, d’être entouré, de voir de nouvelles choses.
Est-ce que ce besoin de reconnecter aux gens a orienté les influences club de Volcano ?
Je pense que c’est un moment pivot pour nous. On a enfin passé le cap de “Jungle est un groupe funky-soul”. Loving In Stereo (2021), malgré ses influences modernes, était un disque plutôt traditionnel. C’était un album disco. Volcano est plus moderne et plus électronique. On a beaucoup fait les DJ récemment. On aime ça et c’est beaucoup plus facile et moins cher à faire [rires]. Donc peut-être qu’on a plus écouté et joué de dance. Je ne pense pas que c’était une décision consciente mais les événements qui ont conduit à la création de Volcano et ce que nous avons créé inconsciemment ont influencé ce qui a fini sur le disque.
On se posait la question à cause de l’omniprésence de l’esthétique du sample sur le disque.
En fait, il n’y a qu’un seul sample sur Volcano : How Can You Say It de Gloria Taylor sur Dominoes. On a toujours aimé l’esthétique du sample mais on en a terminé avec sa réalité. On ne voulait pas que notre musique repose sur la faculté du label à clearer les samples ou à rémunérer les ayants-droits. On est capables de faire des morceaux qui sonnent comme des samples des seventies et on en tire une grande satisfaction. Je pense que c’est une grande réussite de n’avoir qu’un seul sample sur le disque ! Tu peux l’écouter sans en connaître le processus de création et te dire qu’il y a un sample sur chaque morceau.
Souhaitiez-vous plus de variété sur votre disque que sur Loving In Stereo ?
La variété, c’est la clé. On est influencés de partout et être capables d’en faire la démonstration sur un disque a toujours été quelque chose que nous souhaitions réaliser. Faire un disque qui a l’air d’être en trois dimensions comme ceux des Chemical Brothers, Basement Jaxx, Caribou ou encore de Four Tet. Des disques qui ont une identité très forte malgré leurs multiples influences, c’est quelque chose de rare aujourd’hui. Tous les artistes bataillent pour trouver leur place dans la musique. Beaucoup se sentent obligés d’être super stricts pour correspondre aux attentes de leur public, d’autres sont trop expérimentaux pour espérer attirer l’attention d’un public en particulier ou alors ceux qui font de la musique à la mode. Ce type de créativité, on veut l’éviter à tout prix.
Qu’est-ce qui a changé ?
Encore plus de spontanéité ! Musicalement, on s’amuse beaucoup plus. Loving In Stereo était un album à haute énergie, mais certains éléments comme son orchestration se prenaient un peu au sérieux. C’est dur de critiquer ses albums précédents mais c’est important, sinon tu n’apprendras jamais rien. Si tu te trouves constamment génial, tu ne feras jamais plus de musique qui t’inspire. Avec Jungle, on veut vivre dangereusement parce qu’on veut changer, on veut évoluer, on veut chercher des nouveaux sons.
Comment s’est décidée la quasi disparition de vos voix sur le disque ?
Je pense qu’avant on était nerveux à l’idée de faire des morceaux sans voix, mais on adore désormais. Chaque morceau qu’on fait, on le fait avec l’intention de pouvoir le réécouter dans vingt ans. On chante sur nos morceaux depuis trois albums, c’est quoi notre nouveau truc ? Ne pas chanter sur notre disque ! C’est tellement plaisant de penser que je ne chante pas sur Volcano. Je peux m’asseoir, l’écouter et l’adorer. Sur les disques précédents, qui garderont toujours une place dans mon cœur, je me dis souvent : “Est-ce vraiment ma voix, est-ce que je chante vraiment comme ça ?” (rires) Avec Volcano, à chaque fois que je l’écoute, j’ai un sentiment de fraîcheur, je ne suis jamais complexé. C’est le premier de nos disques qui me fait ça dans son intégralité.
On a l’impression que vous disparaissez aussi derrière le groupe.
La manière dont on apparaît dans les vidéos est conceptuelle. On essaye de mettre l’emphase sur le fait qu’on veut être derrière la caméra. On se voit comme des producteurs ou des réalisateurs. On n’est pas des stars ou des performeurs. D‘une certaine manière, on a été forcés à l‘assumer parce qu’on devait se produire sur scène. Mais ça vient avec quelques sacrifices, comme avoir sa putain de tronche sur un écran géant pour que quelqu’un la prenne en photo et la poste sur Instagram [il grimace]. “Est-ce que je ressemble vraiment à ça quand je chante ? [rires]”
Vous auriez dû faire comme Daft Punk ?
Si Daft Punk n’avait jamais existé, j’aurais adoré. Devenir des performeurs masqués. On y a beaucoup pensé : comment nous présenter publiquement sans avoir à nous présenter publiquement ? Mais ces enfoirés ont eu l’idée avant nous [rires] ! Maintenant qu’ils sont à la retraite, est-ce qu’on peut récupérer les casques ?
En quoi cet effacement est nouveau pour vous ?
C’est ce qu’on a toujours essayé de faire depuis For Ever (2018). Mais pour des raisons diverses et variées, cet album portait beaucoup sur nous. Ce n’est pas pour ça qu’on a créé Jungle !
Est-ce que vous voyez Jungle comme une grande chorale où tout le monde est invité ?
Ça a toujours été notre raison d’être [en français dans le texte]. On a toujours voulu faire de la musique que les gens pourraient adopter. L’idée derrière chaque parole est : “Est-ce que c’est suffisamment simple pour qu’une personne le chante et la fasse sienne ? Est-ce qu’elle résonne comme un mantra ou une prière ? Est-ce qu’elles ont du sens et te pèsent sur la poitrine ?” Certains artistes veulent raconter leur histoire de manière très détaillée. Les écouter, c’est comme lire un livre, d’autres ce serait comme lire un magazine, une publicité très accrocheuse ou bien les gros titres. Il y a une différence entre un roman et une histoire. Avec Jungle, on a toujours été attirés par les gros titres. On n’est pas des romanciers, on préfère les tabloïds. [rires]
Propos recueillis par Théo Dubreuil
Volcano (Caiola Records/AWAL). Sorti depuis le 10 août.
Concerts les 24 et 25 octobre à Paris (Centquatre).
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