Il se pose des questions sur le nez
des baleines et soutient Yvette Horner
contre Marine Le Pen. Quand il chante,
il décrit avec une inspiration inouïe
ses saignements de coeur. Tour à tour
fantasque et écorché, Julien Doré
agrandit la chanson française.
C’est donc dans cette chambre de jeune-vieux garçon qu’après une période d’hibernation Julien s’est remis progressivement au travail. “J’avais besoin de tout arrêter. Après, se remettre à l’écriture n’a pas vraiment relevé d’une décision. Je me suis plutôt laissé prendre au piège. Je me mets au piano, comme ça, par envie, sans savoir ce que je vais faire. Je trouve deux ou trois trucs. Puis, un soir, je tombe sur un docu sur les baleines franches, ça me passionne et me vient une formule qui me plaît bien : “Qui creuse autant le nez des baleines ?” Ça revient doucement. Et puis dans le même temps, des gens de mon entourage, ou pas, me proposent des chansons.”
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Ces gens, ce sont par exemple The Shoes, un duo Rémois dont le premier album, très réussi, vient de sortir, et qui ont assuré les morceaux les plus pop et les plus légers de l’album (dont le single Kiss Me Forever). C’est aussi Arman Méliès, un ami proche, qui l’a accompagné comme musicien sur la tournée, lui a offert deux titres (Vitriol, Laisse avril) et en a coécrit un troisième. C’est aussi des artistes que Julien ne connaissait que par leur travail. Comme par exemple Dominique A, auteur-compositeur d’un titre nerveux et fiévreux, L’Eté (Summer). Ou encore Philippe Katerine, qui lui a adressé Homosexuel, une chanson dont l’auteur rêvait qu’elle soit chantée de façon opposée à ses interprétations aiguës et sur laquelle Julien Doré a posé sa voix grave.
Plus inattendu, il a aussi posé sur ce morceau un solo d’accordéon, joué par une légende en la matière : Yvette Horner. “Je voulais un solo d’instrument sur ce morceau. J’avais déjà utilisé le saxo sur Bergman et la police du bon goût me tournait autour. Parce que vraiment, dans la chanson aujourd’hui, le saxo est banni. Et un solo d’instrument, quel qu’il soit, ça pose déjà des problèmes à tout le monde. Ce solo d’accordéon, c’est un pied de nez mais qui me semblait marcher avec le ton du morceau. Alors tant qu’à faire, autant le proposer à Yvette Horner. Je ne pensais pas que ce serait une telle rencontre, que je passerais autant de temps chez elle à l’écouter me raconter sa vie. Elle est terriblement attachante. Sa vie a croisé la musique de façon incroyable. J’adore son histoire d’amour avec son mari, un ancien footballeur qui a tout laissé tomber pour s’occuper de sa carrière à elle. J’ai adoré sa réponse à Marine Le Pen, qui a dit récemment à Mélenchon qu’il était “la Yvette Horner de la politique parce qu’il avait trente ans de retard”. Elle l’a bien taclée en lui disant que la ringarde n’était pas forcément celle que l’on croit. On peut avoir son avis sur la production d’un artiste, mais on ne peut pas, de façon totalement désinvolte, ne pas prendre en compte ce qu’il a traversé, la masse de travail qu’il a abattue.”
Yvette Horner est une des trois fées qui se sont penchées sur l’album le temps d’un featuring. Les autres sont Biyouna, chanteuse et actrice populaire algérienne depuis les années 70, et Françoise Hardy, avec qui Julien entretient une correspondance par mail depuis qu’un magazine leur a proposé de poser ensemble. “J’adore chez elle l’alliance entre le très froid et le très chaud. On sent à la fois un rapport très fort à la douleur et une grande capacité à s’en abstraire, à la regarder à distance. Tout ça est exprimé de façon incroyable dans son autobiographie.” Pourquoi ces trois femmes, sexagénaires, octogénaire ? “Elles me protègent.”
Trois mamans donc, pour un grand garçon fébrile qui a décidément besoin d’être choyé et rassuré. D’ailleurs, Julien Doré multiplie les protections, la plus efficace d’entre elles étant cette part de clownerie, la tentation du second degré qui, même considérablement réduite sur ce second album, continue à jouer les arbres scintillants qui cachent une forêt très sombre. C’est un single tonique, un clip irrésistible d’humour pince-sans-rire et un titre d’album conçu comme un gag – mais bien sûr, pas seulement. “Oui, c’est un mot qui dissimule, qui enveloppe ce que l’écoute du disque dévoile. Au départ, il y a l’expression affectueuse “mon bichon”. C’est comme ça que mes musiciens m’appellent. C’est à la fois amusant et tendre. Et puis un jour, après avoir composé une chanson pour Sylvie Vartan, j’ai dû faire une photo pour son livret d’album. Le jour de la séance, comme souvent dans cette situation, j’étais embarrassé, mal à l’aise. Il me fallait un accessoire. Une dame est passée avec un bichon. Je lui ai demandé si je pouvais lui emprunter et l’ai pris dans mes bras. Quand j’ai vu l’image, je me suis dit que ce bichon disait tout de moi. Je peux avoir une image de mec décalé, ironique, un peu piquant, mais ce bichon soulevé du sol, donc nécessairement soumis, tout toiletté, ressemblait à ce que je suis dans la vie pour les gens qui me sont très proches. On en revient à ce que tu disais au début : ce bichon, c’est une demande d’amour, un pur besoin affectif.”
Le bichon est-il à nouveau un ersatz ? “Non, cette fois je dirais plutôt que c’est un double.” Un double rassurant ? “Oui, je crois. Je n’ai aucune idée de l’avenir de Bichon, comment les critiques, le public vont l’accueillir, mais je sais déjà qu’il m’a apporté une sorte d’apaisement sur des questions qui m’agitaient : l’imposture, la légitimité. Je crois qu’avec cet album, on est obligé de voir que je bosse.”
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