Alors que son dernier album, Løve, s’inspire de sa rupture amoureuse, Julien Doré parle des Beaux-Arts, des chansons d’amour, de hip-hop américain et de son bestiaire intime.
Toutes les chansons de ton nouvel album parlent de la même chose : la rupture amoureuse. Pourquoi ?
Julien Doré – Je n’arrive à écrire qu’à certains moments de ma vie et je ne décide jamais quand ça vient. Je peux rester des mois sans écrire et tout à coup, ça vient. Là, l’élément déclencheur a été une rupture. J’ai eu envie d’écrire sur cet état et, très vite, j’ai compris que je ne serais capable d’écrire que sur ça. Ça ne se commande pas, ça vient d’un endroit plus bas que le cerveau.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Tu cites très souvent le nom d’animaux : lion, corbeau blanc, vipères rousses, loups… Pourquoi un tel bestiaire ?
Le rapport aux animaux prend de l’importance dans ma vie. Je suis devenu végétarien. Je me perçois de plus en plus comme un animal, déterminé par son cerveau reptilien, agissant à l’instinct, qui fuit quand il a peur. Peu importe ce à quoi on croit, on est tous des animaux. Et la plupart des animaux qu’on mange ont les mêmes capacités cognitives que nous : la souffrance, la mémoire… L’industrialisation de la mort animale me choque. Ce n’est pas une obligation. Je ne vois pas ça comme une défense hystérique de ces pauvres animaux qu’il faut protéger. C’est en tant qu’animal que je n’ai pas envie d’infliger ça.
A propos d’hystérie justement, tu te vois plutôt comme un obsessionnel ou comme un hystérique ?
Je crois que je suis plutôt obsessionnel.
Quand tu es apparu il y a six ans dans l’émission Nouvelle Star, tu étais plutôt perçu comme hystérique. Mais on te découvre très monomaniaque…
En effet, je suis plutôt quelqu’un qui travaille sur un noyau dur, qui revient sur les mêmes choses, qui creuse. Mais je vois bien ce côté hystérique de mon début de carrière. Du jour au lendemain, je suis passé d’une vie à Nîmes où je posais du Placo sur des chantiers à l’énorme exposition lieé à Nouvelle Star. C’était génial, tout simplement parce que grâce à ça je peux encore aujourd’hui vivre en faisant de la musique. Mais ça me bouffait de peur que tout à coup tant de gens s’intéressent à moi. Je me demandais ce que je foutais là et quand j’allais me faire dévorer. Alors je me suis protégé en inventant ce personnage de dandy, séducteur, clownesque, hystérique.
Peux-tu citer quelques grandes chansons de rupture qui ont marqué ta vie ?
Il y en a plein… Ne me quitte pas de Jacques Brel me bouleverse. C’est la perfection du texte dans la simplicité, une interprétation exceptionnelle… Mais depuis un an je n’écoute que du hip-hop américain. J’adore la façon dont toute la clique de Odd Future, Tyler, The Creator croise un univers très cafardeux, des mélodies hyper belles avec des breaks, des boîtes à rythmes… Channel Orange de Frank Ocean est magnifique. J’adore Hot Chip aussi ou Metronomy, dans leur façon de faire danser sur de la musique triste.
Tu n’écoutes pas beaucoup de pop française ?
Pas énormément. Même si, bien sûr, j’aime bien certains albums de Murat, de Daho, de Manset… Mais c’est pas ça qui m’aide dans ma musique. Quand je bosse, je me sers davantage de Kendrick Lamar ou de Frank Ocean que de Charles Aznavour ou Benjamin Biolay. C’est dans le hip-hop américain que je puise telle idée de couches de choeurs, de solos monophoniques…
Et le folk américain : Midlake, Grizzly Bear… ?
Mon batteur, Matthieu, m’a fait découvrir Midlake et j’aime bien. Bon Iver, Fleet Floxes, Local Natives, sur la complexité des harmonies, ça me touche beaucoup.
Est-ce que pour toi une chanson ne peut parler que d’amour ? Ne peut-elle pas aussi parler de politique, de société, pourquoi pas des expulsions des Roms ?
Il n’y a pas d’équivalent de Léo Ferré aujourd’hui… Le fait est que je n’en ai ni le désir, ni les armes. Quand Julien Clerc ou Françoise Hardy m’ont proposé d’écrire pour eux, je ne leur ai présenté que des chansons d’amour. Mon seul champ lexical, c’est le discours amoureux. Même quand j’écris sur Platini, c’est une chanson d’amour.
Tu étais à peine né quand Platini était une star du foot, non ?
Oui, je suis né en 1982. Vers la fin des années 80, mon père, qui travaillait dans une compagnie aérienne, avait trouvé dans un avion sa carte professionnelle de la FFF, oubliée dans un sac sur un siège. Il n’a pas voulu la récupérer et mon père me l’a offerte. Cette carte a été une de mes reliques d’enfance.
Tu t’intéresses au foot ?
Beaucoup, oui. Je regarde des tas de matchs.
Pourquoi parles-tu de Platini au féminin ?
Ça s’est écrit comme ça : “Michel, ma belle…” C’est une référence aux Beatles. Mais ça me plaisait aussi de mettre en place une homosexualité latente dans le monde du football qui ne l’accepte pas. De toute façon, cette ambiguïté, ce côté vaporeux, suave, “sur le banc de touche, juste après la douche”, est présent dans le football.
Tu lis beaucoup ?
Très peu. Un peu aux Beaux-Arts.Je ne suis même pas capable de citer un écrivain culte. C’est très gênant. (rires)
Ta capacité à formuler dans des textes ce que tu ressens, elle s’alimente où ?
Je crois que ce qui a été décisif, c’est la nécessité, aux Beaux-Arts, de justifier par un discours théorique mon travail artistique. Ça apprend à être à la fois analytique et clair. J’ai quand même lu énormément d’essais à cette période, j’ai commencé à m’intéresser au cinéma…
Tu as toujours envie de tourner des films en tant qu’acteur ?
C’est vraiment un monde différent, le cinéma. Il faut beaucoup de courage et de résistance pour être acteur ou actrice dans le cinéma français. Je contrôle beaucoup de choses dans ma musique ; ce n’est pas facile ensuite de trouver des metteurs en scène dans la vision desquels j’ai suffisamment confiance pour m’abandonner, confier des choses importantes de moi. Ça m’est arrivé une fois, avec Pascal Thomas, j’ai été très content de tourner Ensemble nous allons vivre une très, très grande histoire d’amour. Ecrire de la musique pour un film, comme je l’ai fait avec Guillaume Nicloux, me convient davantage. Là, je dois bosser sur une chanson pour Bird People, le prochain film de Pascale Ferran, et ça me passionne.
Le lion sur ta pochette, avec sa crinière, a l’air coiffé comme toi. Ta tignasse, c’est ton identité ou tu pourrais la couper ?
Sur ma précédente tournée, j’ai beaucoup joué du côté christique, de façon un peu comique, avec mes musiciens en apôtres… A la fin de la tournée, arrivée en même temps que ce changement dans ma vie sentimentale, j’ai pensé que ça avait du sens de me couper les cheveux, de me défaire de quelque chose de moi pour repartir vers autre chose. Et puis j’ai découvert “løve”, qui est comme le mot “amour” en anglais qu’on commence à raturer, mais qui signifie aussi “lion” en norvégien. Mon précédent album s’appelait Bichon. Passer du bichon au lion, je me suis dit que ça racontait quelque chose de moi au seuil de la trentaine, en train de devenir un homme… Donc voilà, je me suis dit que c’était pas encore le moment de couper ma crinière.
{"type":"Banniere-Basse"}