Avec quatre albums en onze ans, Julien Baer, frère d’Edouard, est un joaillier très discret de la scène musicale française. Son dernier disque, Le LA, est une petite merveille à découvrir d’urgence.
Julien Baer est un garçon d’un autre âge. A l’heure des Pro-tools et autres Auto-tune triomphants, on l’entend sur la chanson qui donne son titre à son nouvel album murmurer « redonne-moi le LA » à une fille hors champs, sûrement hors mode comme lui, armée on imagine d’un diapason qu’elle fait tinter comme s’il s’agissait d’une coupe de champagne. Il y a douze ans, il avait bien douze ans d’avance lorsqu’il chantait sur le même ton Le monde s’écroule, une bossa lunatique que l’on ferait bien de ressortir, aujourd’hui que le monde paraît s’écrouler pour de bon.
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Ceux qui à l’époque arpentèrent ce premier album de long en large en ont conservé depuis une empreinte tenace, commune à quelques disques français discrets (JF Coen, certains Boogaerts) mais qui ont le pouvoir ensorcelant de s’installer à vie. Dans la dynamique de ce coup de maître initial, Julien Baer est parti ailleurs, vers les horizons plus cossus d’une chanson soul orchestrée à Los Angeles par le géant Don Peake (Barry White, Roy Orbison…), pour un Cherchell (1999) quelque peu démesuré, dont il faut pourtant redécouvrir les trésors (Mon ami magnifique, notamment).
Après Cherchell, il s’est pas mal cherché, a presque tout perdu (sa maison de disque, énormément de temps) avant de réapparaître seulement six ans plus tard, encore métamorphosé, avec le nettement plus rugueux Notre dame des limites, secoué de convulsions dub et africaines bien qu’enregistré à Paris. Cette fois, Baer jouait un peu avec le feu en s’auto immolant Roi de l’underground, tant cette couronne-là peut vite s’avérer mortuaire. Sa notoriété, de fait, reste très faible lorsque l’on compare Baer à bien des minables de la Nouvelle Chanson Française qui ne lui arrivent pas à l’ourlet du jean.
Comparée aussi à celle d’un frangin, Edouard, qui a dévoré tout le gâteau médiatique de la Baer family en lui laissant quelques miettes. Julien, en 2009, commence à peine à s’apercevoir que le fait d’écrire des chansons souvent brillantes, toujours distinguées, parfois stratosphériques, ne suffit pas à attirer les foules : « J’ai longtemps pensé que mon travail était terminé lorsque l’album sortait. Je passe généralement tellement de temps sur un disque qu’ensuite je n’ai plus aucune force pour le vendre. Avec le nouveau, j’ai admis l’idée qu’il allait falloir me montrer un peu plus. On m’a conseillé tout récemment de faire une page Myspace, je ne savais pas trop à quoi ça servait. »
Il part de loin, certes, mais le vent est peut-être avec lui, car Le LA contient (virtuellement) une petite poignée de tubes. L’imparable chanson titre, sa guitare entêtante et son bandonéon, ou encore cet Ulysse et son chant de sirènes synthétiques qui a des arguments pour attirer les radios. Revenu au dépouillement stylé de son premier album, Julien Baer n’en demeure pas moins cet aventurier un peu cascadeur et s’est même risqué cette fois à trimballer son petit cinéma intérieur jusqu’à Bamako, où le réalisateur de son disque, Jean Lamoot, a ses adresses pour y avoir travaillé avec Salif Keita.
Si Le LA, à quelques effluves près, n’a presque rien d’Africain, il révèle d’autres destinations plus ou moins inconscientes comme le Brésil tropicaliste (J’suis comme une cité), les terres brûlées de Canned Heat (Pends le haut, pends le court) et surtout cette pénombre sublime où Baer nous amène à tâtons (Tant besoin de toi, Douanier, Couleurs) comme pour mieux ensuite nous éblouir violemment. Le véritable Julien doré, à l’or fin, c’est lui.
Le LA (Universal)
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