Jusqu’à présent, on surnommait cette Californienne “Julia austère”, tant ses albums étaient aussi beaux qu’impénétrables. Avec « Have You in My Wilderness », Julia Holter fait pencher son cœur vers la pop et c’est toute l’indie-planète qui palpite à l’unisson.
Julia Holter est une sensitive. Un malentendu, né d’un agrégat de références parfois opaques dont elle encombrait jusqu’ici ses disques, la faisait passer pour une cérébrale dénuée de fantaisie et d’affects. Cette jeune Californienne de 30 ans, qui publie aujourd’hui son quatrième album en quatre ans, après trois autres autoproduits, demeure toujours à bonne distance de toutes ses consœurs plus légères. Mais avec Have You in My Wilderness, elle s’affiche enfin plein cadre, posant sur la pochette en nièce lointaine de Patti Smith période Horses.
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L’intérieur du disque aussi est moins flou, mieux éclairé que les précédents. Avec le magnétique Feel You, son clavecin de salon baroque et son refrain qui s’emballe, elle indique d’emblée que les lieux seront plus accueillants et les cieux plus cléments. C’est précisément parce qu’elle avance à vue, sans plan tiré au cordeau ni ambition dévorante, que Julia Holter pourrait même à la faveur d’un autre malentendu devenir un jour une chanteuse populaire. Pour l’heure, elle s’affiche en chanteuse pop, étiquette qu’elle s’efforce pourtant de décoller aussitôt :
“C’est ce que j’entends depuis que je commence à faire la promo de ce disque. C’est nouveau pour moi, je ne sais pas ce que ça veut dire, sinon que cet album est le fruit d’un long processus entamé il y a cinq ans. J’avais à cœur de faire un album qui s’inscrive dans la lignée des classiques du songwriting comme Nashville Skyline de Dylan, sans véritable fil conducteur, à l’inverse de mes autres disques.”
Un sublime bouquet musical
Avec ces dix chansons amassées au fil du temps – certaines, comme Sea Calls Me Home ou le somptueux Betsy on the Roof étaient déjà parues en version plus tremblantes sur ses autoproductions –, elle papillonne avec cette élégance de phalène qui nous avait déjà fait fondre sur les pourtant obtus Tragedy (2011) et Ekstasis (2012) ou sur le plus docile Loud City Song (2013).
Mais après, pêle-mêle, Euripide, Alain Resnais ou Colette qui servaient plus ou moins d’épine dorsale à ses travaux précédents, elle se contente ici de décanter tous les arômes d’un bouquet musical qui va du folk capiteux au jazz cosmique et de la chamber pop aux liturgies obsédantes à la Nico (How Long?), expérimente a minima pour laisser errer sa voix à travers un beau décor d’instruments acoustiques.
“J’ai toujours aimé le son des instruments naturels, il y en a toujours eu sur mes disques, mais comme des compléments aux sons plus synthétiques. Ici, avec Cole M. Greif-Neill (son Holter-ego, metteur en son de ses songes depuis trois albums – ndlr), on a voulu créer les conditions d’une profusion de timbres et de textures pour que la voix respire au mieux.”
Biberonnée depuis l’adolescence aux variations chromatiques des grands sorciers naturalistes de la musique contemporaine (de Penderecki à Messiaen), amenée sur les rives de la pop sur le dos d’augustes sirènes comme Joni Mitchell ou Linda Perhacs – grande échouée des early seventies qu’elle a accompagnée dans son retour en studio l’an dernier –, Julia Holter a su conserver des repères sur ces deux hémisphères.
Une des plus majestueuses songwritrices de la décennie
Même quand elle apparaît sous son jour le plus vulnérable, comme sur le bouleversant Night Song, la force orchestrale qui la propulse semble impossible à contrarier. Lorsqu’elle se fait plus joueuse (Sea Calls Me Home, Everytime Boots), elle prend la pose d’une Nancy Sinatra qui aurait fait hypokhâgne plutôt que fille à papa.
La clarté nouvelle qu’offre son chant, et l’affolant jeu de transparences qui en émane, ne l’empêche en rien d’accomplir de nouveaux tours de force musicaux, comme sur la longue et palpitante fresque consacrée au bandit mexicain Tiburcio Vásquez, qui prouve si besoin était que sommeille probablement en elle une compositrice de musiques de films non encore révélée.
“J’ai travaillé dernièrement sur un soundtrack pour un film autour de la boxe, et j’ai trouvé ça plutôt amusant et enrichissant de composer à partir de la vision de quelqu’un d’autre, alors que jusqu’ici je devais creuser seulement dans mon propre imaginaire.”
Tout aujourd’hui chez Julia Holter semble appartenir aux domaines de l’éclosion, de la mue et de la métamorphose. Cette abeille dont on a observé au fil des dernières années les passionnants et minutieux travaux dans les différentes alvéoles de la musique expérimentale ou de l’electro-folk se transforme sous nos yeux en l’une des plus majestueuses songwritrices de la décennie.
Il suffit de voir l’accueil réservé dans la presse internationale à Have You in My Wilderness, quand ses albums précédents étaient voués aux colonnes confidentielles, pour deviner qu’il est en train de se produire un véritable phénomène de fascination autour d’elle. L’homonyme du docteur qui inventa l’appareil à mesurer les battements du cœur en continu n’a pas fini de faire s’emballer le nôtre.
Concert le 16 novembre à Paris au New Morning
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