Plus sa barbe grandit, plus il se love dans la grâce : entretien fleuve avec l’ex-Innocents JP Nataf, dont le deuxième album solo Clair est d’un des grands disques français de l’automne.
Peux-tu me parler du morceau Seul Alone ?
C’est un morceau très bavard, même si au départ je n’avais pas la prétention de faire un titre de 10 minutes. J’adore Hurricane, j’adore la musique de Mahmoud Ahmed, et j’adore l’idée de faire des morceaux aussi longs, mais je trouve ça prétentieux de faire ça tout seul. Mais ce morceau dit quelque chose sur ma façon de travailler : quand je trouve un motif de guitare, je peux le jouer trois heures sans m’ennuyer. C’est très libérateur. Je ne suis pas contraint par un format, je baisse la garde. Je l’ai écrit à un moment où je travaillais vraiment seul sur une falaise. En tout, j’ai dû croiser deux ou trois personnes qui promenaient leurs chiens sur la plage, c’était à St Aubin sur Mer, pas loin de Dieppe, un petit village en plein hiver. Ca caillait donc je ne sortais pas beaucoup d’autant que j’avais une vue magnifique. Mais je n’arrivais pas à finir une seule chanson et surtout je n’arrivais pas à enregistrer ; j’étais productif mais je ne voulais rien fixer, j’avais un blocage. Sur Seul Alone j’ai eu un vrai lâcher prise dans le fait d’écrire en prose tout à coup, de m’affranchir de la dictature de la mélodie, c’était comme une récréation. Il y a un moment où j’ai pensé à une chanson de Dr. Feel Good, Back in the Night. Ca remonte à l’époque de mon lycée, juste avant le punk. On allait à l’Open Market, 75-76, mon meilleur copain était anglais et j’avais un petit avantage car il me racontait de quoi parlaient les chansons. Cette chanson a un truc qui est de l’ordre de l’écriture rock’n’roll, le même refrain avec trois couplets qui parlent de choses différentes. J’ai reproduit ça d’une certaine façon.
Et puis Seul Alone, c’est un peu mon côté mère juive, je fais beaucoup plus à manger qu’il n’en faut. A un moment je suis rentré de la mer et j’ai fait écouter tout ça à Dominique Ledudal, je lui ai joué un peu tout, il a trouvé ça vraiment bien, tous ces couplets dont je ne savais pas quoi faire. J’ai lancé en rigolant « j’ai qu’à faire une chanson de dix minutes », et puis finalement, à force de dire ça, il m’a donné envie de le faire, il y a cru et m’a permis de passer outre cette espèce de gène, de fausse modestie que j’aurais pu avoir. Il se trouve qu’elle est au milieu du disque au final, donc forcément elle marque.
Le fait que justement sur Seul Alone ou sur Monkey tu joues avec le Français et l’Anglais, ça t’est venu naturellement ? Est-ce que le français te frustrait ? I manque you not, c’est plus joli que tu ne me manques pas ?
C’est plus joli en fait. Plus joli à l’oreille, c’est ce que je cherche, je fais de la musique. Je ne me sens pas auteur du tout, je m’en fous complètement. Je fais de la musique : si j’avais vraiment un truc à dire, j’écrirais des nouvelles, ou un bouquin, je ferais des films. Ce que je dis est très important pour ma musique, ou pour la musique ; ma musique a besoin que je lui dise des trucs qui la nourrissent, qui ne vont pas la contrarier ou l’amoindrir, c’est de la nourriture pour le son, pour rêver. Je ne demande pas plus : je préfère écouter Cesaria Evora sans comprendre un seul mot que…enfin je citerai personne ! Même voix est déjà un instrument assujetti : c’est un esclave, je la maquille, j’en fais ce que je peux. J’adorerais chanter beaucoup mieux par exemple, faire des vibratos, je voudrais chanter comme une fille. C’est comme ouvrir son frigo et se dire « bon il n’y a pas grand chose mais j’vais quand même réussir à bricoler un truc ».
As-tu fait des découvertes musicales récentes ?
J’ai très peu de temps pour écouter de la musique : quand on en fait c’est pas évident, sans compter la peur de se laisser distraire ou parasiter. Une fois qu’on est presque au bout de son disque, on veut éviter d’avoir une révélation de dernier moment qui changerait tout. Mais il se trouve que je choisis mes amis beaucoup pour leurs qualités humaines mais aussi musicales. Donc j’écoute énormément de bonne musique puisque je suis entouré de gens qui font de la bonne musique tout le temps. Carlotti, Belin, Antoine Noyer, Mina Tindle…
Comment s’est fait la rencontre avec Mina Tindle, qui chante sur ton disque?
C’était mes débuts sur Myspace. J’ai été foudroyé par son talent. Ceci dit, j’ai beaucoup de mal avec le virtuel, je n’y arrive pas. Disons qu’un ordinateur c’est pas un ami, j’aime pas le toucher, je préfère les cordes d’une guitare. Donc très vite on a pris des cafés, puis on fait de la musique…J’aime sa façon de chanter, c’est la voix que je voudrais avoir moi. Je m’y reconnais. On sent les choses de la même façon, on se fait écouter de la musique, ça marche.
On dit « le deuxième album solo de JP Nataf, l’ex-Innocent », mais tu es quand même très souvent entouré. Est-ce qu’il y a une nostalgie du groupe ?
Oui j’aime le collectif. Disons que par rapport à tous les gens qui m’entourent je suis un peu le vieux qui a déjà eu du succès, je connais un truc qu’ils connaissent pas. J’allais dire la routine mais c’est pas du tout ça : avec les Innocents, on a jamais été des mecs super carrés, on faisait jamais deux concerts pareil, on était beaucoup plus punk que l’image qu’on avait, beaucoup moins lisses. Mais je suis très content qu’on n’ait pas eu spécialement d’image, qu’on ne représente rien pour les gens. Je ne pense pas qu’il y ait eu d’identification adolescente aux Innocents. Par contre à nos chansons oui, elles existent vraiment. Je suis vraiment super fier de ça. C’est tout ce qui m’agace dans le monde aujourd’hui, que ce soit en musique ou en politique ou autre…Je me fous d’être un mec cool, ça suffit pas. Fais des bonnes chansons, c’est tout ce qu’on te demande. Sur le moment c’était dur parce qu’on ramait un peu à contre courant. J’ai mis longtemps à comprendre que tout ce qu’on nous reprochait était une force. Etre entre deux, entre rock et variété. On n’était nulle part mais notre musique aujourd’hui est encore quelque part.