[Le journal de confinement de la rédaction] Chaque jour, un journaliste des Inrocks vous raconte son confinement. Aujourd’hui, Franck Vergeade parle de sa recherche du temps retrouvé et des vertus de l’attente.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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En ce septième jour de confinement imposé à tout le territoire hexagonal (plages comprises, n’en déplaise aux pseudo-touristes, déjà calés sur l’heure d’été ou tout simplement satellisés) et comme on est plutôt du genre à voir le verre à moitié plein que vide, nous revient fatalement à l’esprit cette citation d’André Breton devenue notre leitmotiv d’un étrange et improbable printemps 2020 : “Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique.”
Attendre, c’était précisément le titre d’une chanson d’anticipation de Tanger, groupe lettré et incompris, qui disait ceci en 2003 : “Je tourne en rond d’attendre tous les jours / D’attendre encore un peu / Attendre le temps qu’il faudra, le temps qu’il fera.” Voilà d’ailleurs à quoi ressemblent, depuis cet historique mardi 17 mars 2020, nos vies de citoyens confinés, de journalistes télétravailleurs, de mélomanes assignés à résidence en pleine saison festivalière (énormes pensées à l’écosystème du spectacle vivant, à la filière musicale et à tous les autres secteurs, dommages collatéraux du Covid-19, c’est-à-dire tout le monde ou presque).
Une improbable faille spatio-temporelle
A défaut de lire in extenso A la recherche du temps perdu, surgit comme une envie irrépressible de replonger dans la filmographie du plus grand cinéaste français, Maurice Pialat, dont certains films font écho à l’actualité sanitaire, sociétale et politique : Nous ne vieillirons pas ensemble, La Gueule ouverte, A nos amours, Police et, bien sûr, Sous le soleil de Satan. En ouverture de saison printanière, suspendue dans une improbable faille spatio-temporelle, on ne peut même plus se raccrocher à la perspective d’immanquables rendez-vous : Printemps de Bourges, Disquaire Day, Festival de Cannes, sans oublier Roland-Garros (The French, dixit William Klein), la quinzaine de l’ocre repoussée à l’été indien. Un peu comme si le Covid-19 avait effectué un reset général de la vie culturelle, sportive et la vie tout court. Seule bonne nouvelle, le coronavirus a eu raison de l’Eurovision, ce qui nous débarrasse par avance d’un embarras général et d’une déconfiture française.
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Au détour du dernier livre au titre visionnaire de Tristan Garcia, Ce qui commence et ce qui finit (2020), paru en pleine épidémie du Covid-19, on relit l’éclairant chapitre intitulé Pour un autre ordre du temps, qui s’ouvre par une épigraphe à la gloire des Smiths : How Soon Is Now ? : “Comment penser le temps seulement, mais le temps pleinement ? […] Si le présent est tout ce qui est présent, il ne reste plus au passé et à l’avenir aucune possibilité d’être, sinon en négatif.”
On lit Tristan Garcia en écoutant évidemment le chef-d’œuvre de The Wake, Talk About The Past (1984), histoire de ne pas rétropédaler dans la semoule pour rien puisque le confinement a effacé toute distinction temporelle dans nos activités domiciliées sine die. Avant d’enchaîner, en toute logique même pour un athée, avec Messe pour le temps présent (1967) de Pierre Henry et Michel Colombier, histoire de jauger le “nouveau monde” sous cloche. Regarde un peu la France en quarantaine, pourrait d’ailleurs chanter Miossec depuis son Finistère natal l’année même du vingt-cinquième anniversaire de Boire (1995).
Notre envie de sortir, embrasser, étreindre, terrasser, festoyer, se rassembler sera évidemment décuplée
En entendant à la radio le dernier single des Strokes, Bad Decisions, avec sa basse piquée à Peter Hook et sa mélodie irrésistible, on repense à la précédente collusion de l’actualité pour le quintette new-yorkais, qui fit paraître son premier album, l’absolu classique Is This It (2001), quelques semaines seulement avant le 11 Septembre au point de retirer a posteriori le titre New York City Cops du tracklisting final, voire même d’en modifier la pochette sur certains territoires. Et à quelques jours de la parution (digitale et/ou physique ?) de The New Abnormal (sic), The Strokes se trouve dans l’expectative du lancement planétaire d’un disque pourtant attendu depuis sept ans par les thuriféraires du meilleur groupe rock des années 2000.
Avant de savoir si le confinement s’éternisera 30, 45 ou 60 jours, et en relisant encore la citation définitive d’André Breton, on se dit enfin qu’au sortir de cette mise en quarantaine et de cette réclusion forcée, notre envie de sortir, embrasser, étreindre, terrasser, festoyer, se rassembler sera évidemment décuplée. Alors profitons, comme nous le confiait Etienne Daho ce week-end en clin d’œil à une chanson de Réévolution (2004), de cette période idéale pour “un retour à soi”.
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
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