Plutôt que de continuer à se repasser ses morceaux et ses clips en boucle, on a donné rendez-vous à Josman pour parler de son début de carrière prometteur et de la définition toujours plus évolutive du mot rappeur. Interview avant la sortie de son nouveau projet « Zéro Dollar » le mois prochain.
Depuis l’été 2016 et la sortie de sa mixtape Matrix, Josman surfe sur des nuances d’excitation et de curiosité sans trop se prendre la tête. De Pussyboyz à La Cage, ses clips se sont enchaînés ces derniers mois pour révéler une identité plurielle. Celle d’un rappeur à l’aise dans plusieurs styles, capable de soigner ses mélodies et ses placements de voix dans un geste en rapport avec l’époque ou défoncer des prods en kickant comme en 1995. Originaire de Vierzon mais installé à Paris depuis plusieurs années, Josman prépare Zéro Dollar, une nouvelle mixtape prévue pour le courant mois de mars. En attendant le jour de paye, on lui a donné rendez-vous pour parler de son nouveau projet, de la nécessité d’évoluer dans un cercle restreint pour donner le meilleur de lui-même et de la définition toujours plus évolutive du mot rappeur.
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Tu viens de province mais tu es installé à Paris depuis quelques années. J’ai lu qu’avant de basculer dans le rap, tu écoutais beaucoup de R’n’B pendant ton adolescence…
Le truc des premières interviews c’est que tu dis un peu n’importe quoi. Avec le temps, je me rends compte qu’il y a pas mal de réponses qui ne correspondent pas vraiment à la réalité. J’ai toujours écouté plein de choses différentes en fait. Plutôt les musiques issues de la culture hip-hop, évidemment, mais je n’ai jamais eu d’attachement pour un artiste en particulier. C’est clair que j’ai écouté les gros tubes R’N’B à l’époque d’Alicia Keys et d’Usher mais à côté j’écoutais beaucoup de rap. Sans forcément avoir de véritable influence musicale très marquée.
Comment vis-tu l’engouement qui grossit autour de toi depuis quelques semaines ? J’ai l’impression que plus ça marche, plus tu as envie de prendre du recul.
Rien n’a changé dans ma vie. Je trouve ça cool, je vois qu’il y a de plus en plus de vues sur Internet mais concrètement ma vie ne change pas. Je suis juste content car il y a plus de gens qui écoutent ce que j’ai à dire. Je n’ai gagné aucune bataille. Et puis il n’y a même pas de bataille en fait. Je fais de la musique et je continuerai à en faire de la même façon, avec ou sans les statistiques. Ce n’est pas toute ma vie. J’ai des potes qui ne font pas de rap, je ne peux pas me mettre à rapper devant eux H24. Ca les saoulerait ! La musique prend une grosse part de mon temps avec le studio, les concerts ou les interviews comme c’est le cas aujourd’hui. Je kiffe ça. Mais ce n’est pas toute ma vie. A une époque je ne pensais qu’au rap, mais quand tu t’investis trop dans quelque chose en occultant le reste, tu commences à te perdre. Je n’ai pas envie que ça m’arrive. Peut-être que je continuerais à rapper jusqu’à cinquante ans mais j’espère que ça ne prendra jamais le dessus sur ma vie perso, ma relation avec ma famille ou mes amis.
On sent que ça te tient à cœur de rester un peu isolé et de ne pas citer de grosses références.
J’écoute tellement de trucs différents qu’avec le temps j’ai appris à aimer évoluer dans plein de styles assez éloignés. Je ne veux surtout pas me limiter à une seule case musicale. Demain, si ça se trouve, je ferais totalement autre chose que du rap. Je ne veux pas m’imposer de limites.
Sur la mixtape qui arrive (Zéro Dollar), on a l’impression que tu changes de style et de façon de rapper à chaque nouveau morceau. Comme si tu étais cinq rappeurs différents. C’est une caractéristique que tu veux conserver ou tu te dis qu’il va falloir te stabiliser sur une seule forme de rap à un moment ?
Tant que je me sentirais à l’aise dans un maximum de registres, je continuerais à essayer de tout faire. Je n’ai pas envie de me spécialiser. Je n’ai pas l’impression d’être cinq emcees différents, je pense simplement être une personne qui aime plein de choses dans la vie et qui s’autorise beaucoup de variations. Je ne sais même pas si je suis un emcee en fait. Je l’ai sans doute été à l’époque des open-mics et des battles… Aujourd’hui, je me considère comme un mec qui fait de la musique. Peut-être même que je chanterais encore plus si je savais mieux le faire. J’aime trop de choses différentes pour vouloir me cantonner dans un seul registre. Il y a une époque de ma vie où j’étais à fond dans le rap : je m’entraînais à faire plein de trucs, j’écrivais beaucoup de textes. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu la chance d’avoir accès à un studio pour concrétiser tout ça. C’est à ce moment que j’ai eu l’opportunité d’expérimenter le plus de choses possibles sur ma voix. Et sur ma façon de rapper.
Ouais, c’est à cette époque que tu avais fait ton feat avec Ol Kainry je crois. Tu considères que ce morceau t’a permis de franchir une étape importante et de réaliser que tu pouvais faire quelque chose d’intéressant dans la musique ?
Je pense que le seul moment où j’ai ressenti ce genre de sentiment, c’est la première fois que j’ai essayé de m’enregistrer chez moi, dans ma chambre. J’avais fait une instru et je me suis directement rendu compte que ça me plaisait à fond, que ça m’ouvrait un milliard de possibilités. Je pouvais rapper dessus, choisir n’importe quel mot, changer les textes à l’infini si je voulais. Je ne voyais pas de fin en fait. Je ne pourrais pas te dire précisément quand c’était. Genre, il y a une dizaine d’années peut-être.
Ce qui est paradoxal c’est que tu sembles évoluer en retrait de toute la scène rap à Paris. Tu aimes rester dans ton coin. Et pourtant, ce que tu fais ressemble à une synthèse du rap français actuel. Avec des morceaux mélancoliques, d’autres où tu joues sur les placements de voix avec des mélodies pop. Et d’autres où tu kickes de façon plus classique…
Je pense que ça vient simplement du fait que je suis un mec du moment. Dès l’instant où tu m’enlèves la casquette de rappeur, je suis juste un jeune de mon époque. J’écoute ce qui sort, je vais dans les mêmes soirées que les gens de mon âge et ça se ressent fatalement dans ma musique. Tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant, je le considère comme un entraînement. Pour Echecs Positifs, mon premier EP, c’était la première fois que j’avais accès à un studio. Je testais plein de choses. J’ai fait une cinquantaine de morceaux et j’en ai conservé huit ou neuf. Aujourd’hui je ne saurais même pas te dire pourquoi j’ai gardé ceux-là plutôt que d’autres. C’était un apprentissage et l’identité qui en est ressortie ne correspond pas à celle qui est la mienne aujourd’hui. Quand je réécoute certains textes je me dis : « Ah ouais, je voulais vraiment percer à ce moment-là ! ». Aujourd’hui j’ai moins envie de tout faire pour y arriver. Je me rends compte que le plus important est ailleurs. Même si j’attire de plus en plus d’attention, j’ai toujours les mêmes personnes autour de moi. Pour l’instant ma vie ne change pas trop et c’est un truc auquel je tiens.
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Il y a quand même des gens qui t’entourent, qui bossent avec toi et qui suivent ce que tu fais sur la longueur. Je pense à Marius Gonzalez qui réalise tes clips ou à Eazy Dew qui s’occupe des prods et qui rappe aussi.
Le noyau dur est beaucoup plus large que ça. Mais parmi mes potes, ce sont effectivement les seuls qui gravitent dans le milieu de la musique. On traîne tous dans le même groupe et quand on est tous ensemble on parle rarement de musique. Avant de te rejoindre par exemple, je ne leur ai pas dit que j’avais une interview mais que j’avais un rendez-vous. J’ai rencontré Eazy à l’école, on faisait une formation d’ingénierie du son. A cette époque-là, j’étais un peu perdu. J’avais arrêté la fac et je m’étais dit que si le rap ne marchait pas il fallait que je trouve quand même un métier dans le son. Marius est un pote d’enfance. On se connait depuis le lycée, du temps où je mettais mes musiques sur Skyblog. Lui faisait déjà de la vidéo et on a commencé à taffer ensemble comme ça, il y a huit ou dix ans. On se voyait tous les jours au lycée mains on ne se parlait pas vraiment avant de connecter sur Internet. J’étais en terminale et lui en seconde et on peut dire qu’on est devenu potes grâce à la musique. Mais à cette époque on ne voyait pas du tout le fait de collaborer ensemble comme une opportunité. C’est aujourd’hui que ça en devient une.
Dans tes textes tu parles beaucoup d’Instagram, des gens qui s’inventent des vies, de tes soirées. Tu te mets en scène au milieu de tout ça sans jamais décrire une version fantasmée de toi mais en te présentant comme un mec normal. Tu penses que ça participe au succès de tes derniers clips ?
Wow, « succès » c’est un bien grand mot pour l’instant ! Mais c’est vrai que mon rapport à la musique a changé. Avant je faisais peut-être des sons « pour percer » ou pour prouver. Mais j’avais un petit peu honte au fond de moi car je me disais qu’il fallait que je reste moi-même. Cette prise de conscience a changé ma façon d’écrire. Aujourd’hui, j’ai un autre rapport avec le devant de la scène. Ca ne m’intéresse plus trop de percer et de devenir une « star ». Je veux juste faire de la musique en racontant ma vie de tous les jours. J’ai la chance d’être dans de bonnes conditions pour le faire et je peux profiter de ma vie à côté, tranquillement. Ce qui est parfait pour moi.
Sur tes clips, tu apparais souvent en tant que co-réalisateur. Comment vous vous partagez le travail avec Marius ?
Comme je te l’ai dit on est potes avant tout. Ca veut dire qu’on a un peu les mêmes goûts en ce qui concerne l’image et les clips. Je m’y intéresse beaucoup. Depuis les premiers clips qu’on a réalisés, on passe à chaque fois de longues nuits blanches sur le montage pour choisir tous les plans. Même si c’est lui qui tient la souris, on fait tout ensemble. Chacun ramène ses idées. On mélange tout et ça donne un clip.
Vous n’avez pas les moyens des mecs en major. Du coup ça vous force à tenter plein de choses pour vous démarquer et arriver à créer une identité. Tu n’as pas peur de perdre cette force et cet instinct si le vrai succès arrive ?
Non. Je pense que si de plus en plus de structures professionnelles viennent vers nous on les considèrera simplement comme des associés. On prendra ce qui peut nous aider sans se laisser diriger. Il faut que le cadre de travail soit bien délimité. Pour l’instant, on fait notre truc entre nous. Si jamais on trouve un accélérateur, c’est tant mieux.
Tu écoutes quoi en ce moment ?
J’écoute plein de trucs que mes potes m’envoient mais finalement il y a très peu de choses qui m’accompagnent dans mes écouteurs. En ce moment j’écoute surtout Migos. Le dernier album est vraiment cool.
On a parlé d’un vieux feat avec Ol Kainry tout à l’heure mais tu fais très peu de collaborations avec les mecs de la nouvelle scène rap en France.
Sur le principe, ça ne me dérange pas. J’ai déjà fait des feats avec plein de gens. Après, si j’invite quelqu’un c’est vraiment pour embellir le morceau et pas pour miser sur le potentiel de son nom. J’ai confiance en mes qualités et mes capacités, je sais faire un bon morceau tout seul. Quand j’ai commencé, personne ne faisait de la musique autour de moi. J’ai pris cette habitude de bosser tout seul. Pour Matrix, j’ai presque tout fait seul dans ma chambre. Et puis pour tout te dire, les autres rappeurs, que ce soit en France ou à Paris, je ne les connais pas. Il y a bien des mecs que je croise sur les scènes à droite à gauche et on sympathise sur les événements. Mais en dehors des personnes dont on a parlé, je n’ai pas d’entourage particulier ni de supers amis dans le milieu.
La semaine dernière tu jouais au New Morning, dans une petite salle à Paris. Je crois que c’était une date particulière pour toi.
Ouais, apparemment les gens ont apprécié le concert. Le public était vraiment large : il y avait tous types d’âge et puis la salle était remplie. J’ai fait pas mal de premières parties, beaucoup d’open-mics mais je n’avais jamais fait de concerts en tant qu’headline. Il y avait un autre artiste aussi qui s’appelle Haristone. Il a fait un très bon show donc c’était cool. L’ambiance était là.
Tu as participé à pas mal de battles et de concours d’improvisation au début de ta carrière. Comment as-tu décidé de te lancer dans ces open-mics ?
C’est arrivé quand je suis arrivé à Paris. Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire plein de battles ici. Ca n’a pas vraiment duré très longtemps mais je l’ai fait de façon assez intensive entre 2013 et 2014. J’ai découvert le rap beaucoup plus tôt. J’en faisais tout seul dans ma chambre quand j’étais ado. Je n’avais pas de bande de potes ni de groupe autour de moi. Je faisais tout dans ma chambre, seul dans mon coin.
Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de l’écouter, comment tu présenterais Zéro Dollar, le projet qui arrive en mars ?
Le nouveau projet est différent. Il y aura plus de morceaux donc forcément plus de variété. Sur Matrix je crois que j’avais produit cinq ou six morceaux sur les neuf. Pour Zéro Dollar je n’en ai fait que quatre sur quatorze. Il y a Eazy Dew qui a fait beaucoup de prods, Rolla (un beatmaker de Lyon) et puis Hologram Lo’ et Myth Syzer.
Avant qu’on commence l’interview, tu me disais que tu ne savais pas si tu te considérais comme un rappeur.
Être un rappeur, je ne sais pas vraiment où ça commence ni ou ça s’arrête. Sur un morceau comme Dans le vide je ne suis pas un rappeur et sur Fucked Up j’ai l’impression de l’être à 100%. Ce dont je suis certain, c’est que je ne suis pas seulement un rappeur. Que ce soit dans mes morceaux ou dans ma vie en général.
Propos recueillis par Azzedine Fall
Mixtape Zéro Dollar à paraître en mars chez Choke Industry
En concert le 16 février à Paris pour la soirée Inrocks Les Bains #2
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