José Lévy (styliste).
Jay-Jay Johanson a composé la musique de l’un de tes derniers défilés. Pourquoi lui ?
J’avais écouté Whiskey, son premier album, que j’avais tout de suite adopté. La musique d’abord, surtout, mais aussi tout l’univers visuel, la pochette, les photos. L’envie de travailler avec lui a été comme une évidence. On a beaucoup parlé, et comme il comprenait parfaitement ma façon d’envisager la mode, l’idée du défilé s’est imposée assez vite. C’est un artiste que la mode intéresse : il a même porté mes vêtements sur le podium. Les essayages étaient assez troublants parce que tout lui allait. Je crois qu’il incarne parfaitement ma vision de la mode : des vêtements qui accompagnent les gens plutôt qu’ils les précèdent.
En quoi son univers musical convenait-il à ta vision de la mode ?
La musique doit rester un support, ne pas être trop envahissante. Elle doit plus évoquer qu’écraser, et Jay-Jay l’a parfaitement compris. Je lui ai raconté les grandes lignes du défilé, il a pris des notes, très sérieusement. Puis il m’a envoyé une cassette de Suède, avec ses commentaires. Une relation parfaite.
Quels sont tes goûts en matière de musique ?
En travaillant, je ne peux écouter que du classique. Je branche Radio Classique, et c’est parti. A la maison, ça va de Satie à de la house garage, en passant par Jay-Jay ou Simon & Garfunkel, ou encore Eartha Kitt, Pascal Comelade… Mes trois derniers disques ? Un album de Nina Simone. Une compil de garage sublime avec des voix de femmes noires incroyables. Et enfin le disque de The Verve. Et puis, j’ai des fidélités : en ce moment, Alain Chamfort, que je trouve honteusement sous-estimé.
Au cinéma, vers qui vont tes préférences ?
David Lynch, Jacques Tati, Jacques Demy. J’ai longtemps été un inconditionnel de Woody Allen, mais depuis quelque temps, il me fait un peu de peine. Je n’ai pas aimé Tout le monde dit I love you. Le côté riche Américain qui joue les touristes à Paris avec sa baguette de pain, j’ai trouvé ça plus pitoyable que drôle. Quand j’ai vu Wild man blues, cette impression s’est confirmée. J’ai trouvé Woody Allen très autocomplaisant. Bon, mais j’ai eu l’impression de le retrouver dans le dernier, peut-être parce qu’il s’y montrait perdu, largué, ce qui le rend plus touchant. Ses détracteurs disent en tordant la bouche « Il fait du Woody Allen. » Ce n’est pas précisément ce qui me gêne. Patrick Modiano que j’adore écrit d’une certaine manière toujours le même livre, et je dévore pourtant chacun de ses nouveaux bouquins avec un appétit féroce. Le problème avec Allen, c’est qu’il aurait tendance ces dernières années à se parodier lui-même : ça affleurait déjà dans Meurtre mystérieux à Manhattan.
Le point commun entre Tati, Demy, Lynch et Allen ?
Ce qui les relie ? Quelque chose de touchant. Soit parce que c’est drôle, soit parce que c’est un peu décalé, un peu étrange, suspendu, poétique. C’est en demi-teintes, et ça peut basculer tant vers le poétique que vers le drôle. C’est pour ça que j’adore Tati : c’est sur le fil du rasoir, entre la poésie et l’humour. Je ressens la même chose avec Sempé. C’est subtil, spirituel. Il y a un regard. L’idée de ne pas être dupe, mais en même temps d’apprécier la naïveté. Quand on dit naïveté, les gens entendent « bêtise », alors que ça peut être de la candeur, de la fraîcheur, une ouverture d’esprit.
Modiano, tu l’as découvert comment ?
Dans la bibliothèque familiale, simplement. Il y a une dimension mystérieuse qui m’attire. Ses personnages forment comme une énorme famille, mais de gens qui ne se connaissent pas forcément. Tu ne sais jamais tout sur eux. Il reste des zones d’ombre. Modiano est très fort pour donner une épaisseur aux personnages, pour faire imaginer au lecteur un passé riche qu’il ne connaîtra jamais tout à fait. C’est une pudeur qui me séduit beaucoup. Comme écrivain, en ce moment, j’aime bien Stephen McCauley, l’auteur de L’Objet de mon affection. Il a une écriture antispectaculaire, sans sensationnalisme : Et puis il y a les basiques comme Tennessee Williams, qui me fait toujours autant d’effet.
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