Jorrdee réédite Bonjour salope, son fascinant premier album sorti en début d’année. Idéal pour éclairer l’univers torturé du Lyonnais et imposer les nouvelles nuances d’un rap français toujours plus diversifié.
Dans Coller au rythme, son tout dernier clip réalisé par Kevin Elamrani-Lince, Jorrdee déploie l’essentiel des caractéristiques qui singularisent son rap déviant. Scansion désabusée, fin de phrases mélodiques mal mâchées, concordance subtile entre texte, sous-texte et image : le Lyonnais impose l’étonnante narration de ses expériences et tourments. Une remise en question du réel et des faux-semblants parfaitement résumée par l’un des commentaires de la vidéo sur YouTube : “Il s’en bat tellement les couilles qu’il fait exprès de montrer que la limousine est louée.”
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Les derniers plans du clip s’attardent effectivement sur la vitre arrière de la grosse limo blanche qui lui sert de convoi. On peut y distinguer le nom ainsi que le numéro de téléphone de l’entreprise de location de voitures sollicitée pour le tournage.
“Au début, on voulait que le chauffeur de la limousine me ramène à un arrêt de bus pour que je me casse du clip en transport en commun. On s’est rendu compte que l’effet fonctionnait très bien avec le 06 de la limo, donc on n’a pas voulu en faire trop non plus !”
Enfant du rap
Dans la vraie vie, Jordan n’a pas le permis. Quand on le rencontre dans l’hôtel branché de Pigalle qui sert de décor à la séance photo, il apparaît dans le même état cotonneux qui balise l’écoute de ses morceaux ou le visionnage de ses vidéos…Vingt-quatre piges et déjà la moitié passée à faire du son : le musicien fait partie de cette génération native de la culture rap française.
“J’ai appris sur le tas, souffle-t-il entre deux silences. Aujourd’hui, je bosse un peu sur tous les logiciels, mais j’ai débuté avec Fruity Loops quand j’avais 11 ou 12 ans. Je dessinais un peu mais j’ai toujours voulu faire du son.”
”Comme tous les gamins de ma génération, j’ai grandi avec le rap car c’était l’environnement principal de l’époque. Mais ma famille a aussi été très importante. Ma mère écoutait beaucoup de variété française et mon père était à fond dans le rap : il m’a fait découvrir Doc Gynéco, Tupac, Salif. Des trucs très différents.”
Un style insolent
A Lyon, que ce soit en solo, au sein du collectif 667 ou autour d’Hotel-Dieu, le label qu’il a créé pour s’autoriser toutes les démesures, Jorrdee a multiplié les alias, les projets et les incarnations sur SoundCloud. Après s’être approprié le nom du héros du film Entretien avec un vampire (Lestat de Lyoncourt), il s’est fixé sur un surnom enfantin. Comme pour opposer le meilleur des contrastes à la gravité d’une musique codéïnée qui confine parfois à la mélancolie.
Sur son premier véritable album publié en début d’année et intitulé Bonjour salope, l’artiste dilue les codes de la narration rap pour inventer une forme d’expression inédite, étranglée entre commentaire dépressif, Auto-Tune, écriture automatique et hyperréalisme.
La forme et le timing de ses punchlines indolentes renforcent un style déconcertant, comme sur le classique Personne ne sort où il laisse traîner sa voix pour affirmer sereinement : “Hier c’était dimanche, aujourd’hui c’est lundi.” Il arrive même que la fin de ses phrases soit complètement incompréhensible, voire inaudible.
Ni refrain accrocheur, ni référence directe
“C’est important pour moi de ne pas être à l’aise avec mon texte. Parfois je bégaie, je bugge sur un mot que je prononce mal mais j’y tiens, ça fait partie de l’histoire du morceau. Même s’ils ne comprennent pas, je pense que les gens ressentent mon état d’esprit. Quand j’écris, j’essaie juste de rejouer certains moments de ma vie. J’ai souvent trop de texte pour un seul son. Du coup, mes refrains sont assez longs et je ne fonctionne pas beaucoup sur la répétition de gimmicks qui tournent en boucle.”
La seule phrase qui revient dans ses clips est un geste. Ou plutôt un plan sur ses mains : “Je trouve que j’ai de très belles mains, alors j’essaie de les montrer au maximum (rires). Au début je voulais même qu’on organise la séance photo dans un nail-art.”
Sur la version augmentée de Bonjour salope, ne cherchez donc pas un refrain accrocheur ni une référence directe à Travis Scott, Pimp C ou Young Thug, des rappeurs que Jorrdee écoute mais qu’il ne s’évertue pas à décalquer.
Des productions à l’artwork, Jorrdee a presque tout fait
“J’ai des inspirations, mais je n’essaie pas d’être une autre personne, je n’en ai pas besoin. J’aime bien travailler avec d’autres artistes pour apprendre d’eux. J’ai un projet qui arrive avec Phazz et un autre avec Lauren Auder. Généralement, mes connexions se font par Facebook : les choses sont tellement plus simples sur internet. On se contacte, on discute et on arrive à créer des trucs. Alors que dans le vrai monde, tu peux voir un mec se faire défoncer devant toi et n’en avoir rien à foutre !”
Avec cette version de Bonjour salope, Jorrdee rappelle que si son inspiration semble envolée dans le cosmos, il est bien l’un des artistes français les plus prometteurs de son espace et de son temps. Des productions à l’artwork, il a d’ailleurs presque tout fait tout seul en respectant l’idée motrice qui le pousse à composer depuis le premier jour : “J’ai toujours considéré le rap comme un exutoire. Certains font de la musique pour la reconnaissance ou pour niquer des meufs. Moi j’en ai besoin pour niquer mes démons.”
album Bonjour salope (Hotel-Dieu/Warner), réédition le 23 septembre merci à l’hôtel Le Pigalle, à Paris
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