Les papys polissons jamaïcains de Jolly Boys reprennent Amy Winehouse,
New Order ou Lou Reed en mento, un ancêtre du reggae primitif et bambochard.
En 1942, en route pour les îles Galápagos, le yacht d’Errol Flynn fait naufrage près des côtes de la Jamaïque. “La plus belle femme sur laquelle mes yeux se sont jamais portés”, déclare l’acteur en découvrant le pays. Cinq ans plus tard, il s’installe à Port Antonio avec sa troisième épouse, l’actrice Patrice Wymore. Il y achète un hôtel, le Titchfield, une plantation d’un bon millier de cocotiers et une petite île, la Navy Island (certains prétendent qu’il l’aurait gagnée au poker).
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Conformément à sa réputation de bambochard impénitent, celui qui incarne le Captain Blood au cinéma y fait les quatre cents coups, organise des soirées homériques au cours desquelles il se prend des bitures dantesques avec des amis infréquentables. Pour agrémenter ses bacchanales, Flynn engage un groupe de musiciens du coin, les Swamp Boys. La première fois qu’il les entend, il s’exclame “what a bunch of jolly boys !” Le nom restera.
Fondés par le banjoïste Moses Deans à la fin des années 1940, les “joyeux drilles” sont l’un des nombreux ensembles de mento qui exercent dans les hôtels de luxe du littoral. Ancêtre du reggae, proche du calypso, le mento est chaloupant, malicieux, polisson. Il raconte le quotidien des campagnes avec humour et légèreté, traits qui lui valent d’être ringardisé à partir des années 1960, quand l’île connaît d’importants changements politiques et culturels avec l’indépendance, l’afrocentrisme, le ska, le reggae…
Mais il ne disparaît pas totalement de la scène. Dans les enclaves balnéaires, il reste aussi populaire que le punch coco. “On aurait changé le style qu’on aurait perdu notre job”, se souvient Albert Minott, le chanteur et leader des Jolly Boys, 74 ans, et plus beaucoup de dents. “Les hôtels nous payaient et nous nourrissaient pour jouer ça. Il suffit d’un banjo, d’une guitare, de shakers et d’une rumba box (caisse en bois munie de lamelles en fer pour faire la basse). Le mento, c’est cool man, ça ne couvre pas la conversation des touristes au bar !”
De cette “politesse”, les Jolly Boys ont pourtant décidé de s’affranchir aujourd’hui, avec un album complet de relectures mento des plus fieffés saligauds de l’histoire du rock : Iggy Pop (Passenger, Nightclubbing), Lou Reed (Perfect Day), les Doors (Riders on the Storm), les Stones (You Can’t Always Get…), Johnny Cash (Ring of Fire) ou Sonny Curtis, auteur du génial I Fought the Law que The Clash a repris dans les 80’s. Sans oublier la reine des misfits, Amy Winehouse, avec ce Rehab qui décoiffe.
La voix caverneuse et boucanée d’Albert y titube tellement qu’on se demande même s’il n’y a rien là d’autobiographique. “Pas au sens où en parle la chanson. Je n’ai pas eu de problème avec l’alcool ou la drogue. Un jour, ma femme est partie avec trois de nos enfants. Elle était enceinte d’un autre. Elle est aussi partie avec les meubles. J’ai pu récupérer une fille, avec qui je vis aujourd’hui. Ma maison a été balayée par un ouragan. J’avoue que certaines nuits je pleurais en silence. Ma réhabilitation, c’est ce disque qui me la procure.”
Son titre dickensien, Great Expectation (“De grandes espérances”), est donc aussi ironique que touchant. Dans le clip de Rehab, Patrice Flynn, veuve d’Errol, fait une brève apparition. Albert y voit comme un clin d’œil de l’histoire. “Ah c’est sûr, monsieur Flynn aurait adoré Amy Winehouse !”
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