Le rappeur de Montpellier confirme qu’il maîtrise la rime huilée où le stupre le dispute à la luxure. Mais manque parfois de souffle. Critique et écoute.
Il y a deux types de rappeurs : ceux dont le verbe, ancré dans le vécu, se suffit à lui-même, colère ou frustration se chargeant de faire sonner les mots (NTM, Rohff), et ceux qui optent pour la fiction. Chez eux, c’est l’interprétation, cruciale, qui change le faux en vrai (Biggie, Booba). Joke, improbable souverain montpelliérain, boxe dans la seconde catégorie : après plusieurs ep, son premier album finit de cimenter un royaume de stupre nourri de désinvolture et de clips américains, où le champagne dégouline sur les seins de déesses fatalement chiennes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette poétique de la luxure peut faire sourire, mais l’imaginaire est parfaitement incarné par le rappeur, qui maîtrise le contraste entre propos et diction, susurrant les pires insanités d’un flow lent et presque doux qui en décuple le vice. Peuplé de synthétiseurs brumeux et de rythmiques économes, visant une trap veloutée, un r’n’b pourpre, un jazz défait, l’écrin de velours qui infuse les mots rend gloire à ce rap feutré qui rougeoie dans la pénombre.
Mais alors qu’il n’a qu’un pas à franchir pour rendre son format vraiment pop – comme il le fait, tous synthés dehors, sur l’impeccable Casino –, Joke dégringole à plusieurs reprises vers un rap de rue qu’il maîtrise mal, où sa voix fluette et sa colère atone peinent à imposer le Scarface inhumain qu’il prétend incarner. Ce costume un peu ample se fait d’ailleurs repasser vite fait par le bulldozer Dosseh, un invité habitué des eaux troubles de ce rap au torse bombé.
En dépit de l’impressionnante qualité des productions et de la cohérence de l’univers, Ateyaba souffre d’un déséquilibre né de cette interprétation parfois forcée. Joke n’est jamais aussi fort que lorsqu’il enfile sans huile sur coussins de velours en murmurant des grossièretés surréelles – ou lorsqu’il change de registre mais reste dans sa voix, comme sur Ateyaba, où le sang qui coule n’est pas celui des menstrues, mais celui des tirailleurs, ou sur le coup de maître Anubis. Un univers dont il est alors le seul roi, autoroute sans péage pour son verbe désaxé : “Ma teub va pas se sucer toute seule, faudra t’lever à 7 heures. »
Concerts le 20 juillet au Dour Festival, le 16 octobre à Montpellier, le 30 à Toulouse, le 1er novembre à Lyon
{"type":"Banniere-Basse"}