Mais que fabriquent donc ensemble un Smiths fugueur et un New Order démissionnaire ? Ils construisent, avec beaucoup de machines et trop peu de leur don mélodique flemmardisé, un jouet dont on ne sait encore s’il prendra vie ou s’il restera à l’état de brillante carcasse métallique : Electronic.
Chacun de vous a quitté son groupe précédent à cause d’une certaine pression. N’est-ce pas quitter une pression pour une autre ?
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Non. Nous n’avons pas d’obligation. Si nous parlons, c’est que nous en avons envie. Parler est de notre part suffisamment rare pour prouver l’importance que nous attachons à Electronic et à notre album. Lorsque nous aurons fini de travailler sur ce disque, chacun de nous travaillera sur d’autres projets, avec The The et New Order. Si nous avions échangé une pression pour une autre, Electronic aurait été un échec d’entrée. Il est faux de croire que tous les membres des Smiths voulaient tourner comme de bêtes, à l’exception de Morrissey. C’est un mythe : Morrissey était au contraire l’instigateur de toutes les tournées. Je ne veux plus me retrouver dans cette situation de tourner malgré moi. C’est l’un des privilèges que nous donne Electronic.
Barney ? Nous ferons des concerts, c’est certain. Mais nous ne tournerons pas. Je trouve très difficile de mettre le jus, de m y investir autant que nécessaire tous les soirs. Ça m épuise physiquement. J’en suis incapable : voilà, c’est un fait. Je veux que chacun des concerts d’Electronic soit une envie irrésistible, et non pas motivé par des raisons financières ou promotionnelles.
Barney ? La plupart des groupes qui tournent beaucoup ne font que jouer la comédie, dupent leur public. Je ne veux pas participer à ces arnaques.
As-tu eu à jouer la comédie avec New Order ?
Non… Ou alors je devenais malade physiquement car ça me vidait totalement. Avec New Order, j’avais le sentiment d’être traîné sur scène. Je n’y montais pas de mon propre chef mais par considération pour les autres membres du groupe, pour ne pas les laisser tomber. Eux aiment vraiment tourner, notamment Peter (Hook). Je le comprends, mais ça ne me dis rien. J’en étais arrivé à un stade où je voulais prendre ma vie en main. New Order était devenu un grande roue tournante : je devais l’arrêter, quel que soit le nombre de gens contrariés, afin de pouvoir continuer à faire de la musique. En passant tout ce temps sur la route, je m asphyxiais en tant que musicien : je n’apprenais plus rien, mon apprentissage d’écriture de la musique s’était arrêté.
Ni l’un ni l’autre n’aimez être sous les projecteurs. Avec Electronic, vous êtes pourtant tous les deux au premier plan, sans la protection d’un groupe.
Nous venons de passer deux ans dans l’ombre, c’est maintenant le moment de sortir . Tout le temps dehors, c’est l’éc’urement : on a besoin d’un peu d’intimité et d’un peu de paix.
Deux ans de retraite, c’est assez ? Avez-vous besoin de ressortir de temps en temps ?
De temps à autre, oui. C’est ce qu’il y a de mieux pour moi.
Johnny ? C’est l’une des choses que nous avons en commun. C’est l’attitude de New Order mais aussi la mienne : m’enterrer, me régénérer, faire mes trucs et puis me retirer.
Barney ? Tout le temps dehors, on n’a plus rien à dire car on ne se nourrit plus, sinon de route, d’alcool, de drogue et de filles. Je n’avais plus rien à écrire.
Johnny a dit qu’il avait quitté les Smiths parce qu’il n’était plus fasciné par Morrissey. Actuellement, êtes-vous fascinés l’un par l’autre ?
Johnny ? Je n’irai pas si loin (rires)… Je crois que le mot que j’avais utilisé était obsédé?. Oui, je suis obsédé par Electronic. Nous ne le ferions pas sans ça, il n’y a qu’ainsi que je peux travailler.
Tes deux partenaires, Matt Johnson de The The et Barney, sont deux personnages très différents.
Ils se ressemblent en fait beaucoup, notamment dans ce qu’ils attendent du travail. Tout ça n’est qu’une question d’amitié : de la musique avec des amis. Electronic est devenu une façon de vivre. Nous partons en vacances ensemble et faisons de la musique en même temps. Alors que de l’extérieur, les gens se disent : Un ex-Smiths et un ex-New Order s’unissent pour un concept musical révolutionnaire !!!?
Barney ? Je ne pense pas que Johnny soit un guitariste et moi un chanteur, voilà pourquoi ça marche si bien. Ce sont deux songwriters bossant ensemble.
Johnny ? L’écriture et la production sont une seule et même chose :
c’est en ça que Matt et Barney se ressemblent. Pour moi, jouer de la guitare n’a jamais été un but en soi. Le but, c’était la chanson
définitive, celle des Four Tops ou des Temptations. C’est ce qu’il y a de très sain dans le mouvement house : ce n’est plus une obligation d’être quatre adolescents adossés à un mur affirmant Avec nos vestes de cuir, nous sommes un groupe.? Des gens comme William Orbit, Mark Moore ou 808 State sont des musiciens devenus songwriters. C’est très sain. Je ressens un décalage entre ce que je suis et la manière dont les gens me considèrent en raison de mon soi-disant lien avec la tradition, de mon état de guitariste , de guitar hero , de toute cette culture démodée.
Barney ? Non non, je ne crois pas que ce soit démodé. On n’a pas à mépriser une culture ou une manière de faire au profit de l’autre. Les deux peuvent coexister.
Avec Electronic, vous vouliez ressentir à nouveau les plaisirs primaires d’un groupe. Or, tout est facile pour vous : le chemin est déjà tracé, vous n’avez pas à lutter pour vous faire entendre.
Barney ? Nous n’avons pas à nous battre car c’est déjà fait. Personne ne nous a donné le succès, nous avons bossé dur pour l’obtenir, en apprenant à écrire de bonnes chansons et en sortant les jouer. Nous n’avons pas à recommencer. Nous avons déjà fait le sale boulot.
Johnny ? Les gens sont obnubilés par le fait que nous sommes déjà connus et ne réalisent pas que nous perdons le sommeil, que nous passons tout notre temps à chercher l’inspiration, de nouvelles idées. Si notre musique n’est pas bonne, nous passerons pour des imbéciles. C’est donc elle qui compte, elle et les chansons, non la hype. Nous faisons donc tout ça pour les bonnes raisons, ce n’est pas la solution de facilité pour nous. Il est très facile d’être cynique, j’en suis très conscient, nous avons à le surmonter.
Barney ? Moi en arrêtant New Order et Johnny en arrêtant les Smiths, nous avons eu le cran de ne pas nous reposer sur notre réputation.
Au début de New Order, Barney n’était pas un chanteur. Vous n’avez jamais tenté de faire chanter Johnny avec Electronic ?
Tu l’as déjà entendu chanter ? (Rires)… Il m a fallu des années pour devenir un chanteur acceptable. Lorsque j’ai commencé, je chantais comme une casserole. Il n’y a aucune raison de repasser par cet apprentissage. Nous sommes conscients du fait que la plupart des albums solo ou des associations de ce type sont faiblardes. Je trouve par exemple la collaboration Lou Reed/John Cale très paresseuse. L’intention était bonne, mais Songs for Drella n’est pas un bon disque. Pourtant, je les aime bien tous les deux. Mais ce n’est pas une musique actuelle, que les jeunes peuvent écouter. Ils jouent pour un public précis, leur génération. Ce que je ne veux pas faire.
Johnny ? Les collaborations que nous aimons, ce sont celles d’Iggy Pop avec David Bowie ou de David Byrne avec Brian Eno. Si je n’avais pas senti que quelque chose se passait entre Barney et moi, j’aurais été crétin de ne pas arrêter. Je prends la musique beaucoup trop au sérieux.
Tu disais qu’Electronic n’avait rien à voir avec vos groupes précédents. Pourtant, il y a deux ans, parlant de ce qui devrais être ton album solo, tu rêvais du croisement des synthés de New Order et des guitares des Smiths.
Barney ? C’est une évidence. Mais c’est le seul lien. Je sais très bien qu’on en parlera encore dans des années et je l’accepte, ça ne me gêne pas.
Johnny ? Les Smiths se sont arrêtés il y a quatre ans. Même si certains morceaux ont été écrits comme à l’époque des Smiths ? ma musique, sur laquelle Barney trouve la mélodie vocale ?, ça sonne bien comme Electronic.
Quand vous êtes-vous rencontrés ?
Barney ? Johnny est venu à un concert de New Order à San Francisco, il y a trois ans. On s’était croisé à plusieurs reprises lors de nuits à la Haçienda. Nous avions des amis en commun, mais sans être particulièrement copains.
Ressentez-vous la différence d’âge entre vous deux ?
Barney ? J’ai six ans de plus que Johnny, mais lui aime les choses plus vieilles. Je suis moderne et lui vieux-jeu.
Johnny ? Barney n’a voulu devenir musicien que très tard, alors que j’y pensais dès mon enfance. Pourtant, notre intérêt pour le rock sombre et intense est le même. Nous savions que nous avions un terreau commun, cela s’entendait dans les airs des Smiths et de New Order.
Barney ? Lui m a fait découvrir de vieux hippies (rires)… John Lennon, Neil Young, Sly Stone… Des choses sur lesquelles je n’étais jamais tombé. Quand j’arrête de travailler sur la musique, en écouter est bien la dernière chose que je souhaite faire. Je ne me repose pas en écoutant de la musique, sinon dans les clubs. Pendant l’existence de New Order, je ne suis jamais allé voir jouer un groupe sur scène, même à la Haçienda.
Johnny ? On ne se rend pas compte de l’importance du point de rencontre que constitue la Haçienda. Manchester est un village, tout le monde se connaît. Lorsque les Smiths se sont formés, je travaillais dans une boutique de fringues et je vivais quasiment à la Haçienda, que New Order venait juste d’ouvrir. On pensait que nous étions à l’écart, sous prétexte que les Smiths étaient plutôt un guitar-band. Nous connaissions pourtant les DJ’s, Mike Pickering, Dave Haslam. Les gens croyaient que New Order habitaient un grand château et les Smiths un autre grand château, alors qu’il n’en était rien. L’air du temps à l’époque, c’était l’inauguration de la Haçienda et New Order cartonnant à New York avec Confusion. Le fait que je fasse partie des Smiths ne signifiait pas que je n’aimais pas Confusion.
Johnny ? Electronic n’avait pas pour objet d’enterrer les fantômes des Smiths et de New Order. Au contraire, Barney m a fait reprendre conscience des bonnes choses réalisées par les Smiths, son enthousiasme m a poussé à les réécouter, à les apprécier plus que jamais depuis mon départ. J’étais à nouveau fier de ce que j’avais fait. Maintenant, je réalise que Strangeways, here we come est sans doute notre meilleur album. Honnêtement, j’étais devenu allergique aux Smiths. Non pas en tant que personnes ou en tant que son, mais en raison de la manière dont les gens considéraient ma façon de vivre : on me poignardait littéralement dans le dos. Je ne voulais plus rien entendre de tout ça.
Pourquoi ce rejet, alors que les Smiths étaient en grande partie ta création ?
La rupture a été si difficile… J’ai maintenant pris mes distances, je peux à nouveau écouter ce que j’ai fait. Pendant un certain temps, les gens guettaient le successeur de Morrissey . Je ne pouvais donc pas engager une longue collaboration comme celle-ci, mon partenaire aurait toujours été sous une pression énorme, celle qui aurait voulu faire de lui le nouveau Morrissey. Un tel groupe n’aurait jamais décollé. Alors que maintenant, on sait que je trifouille un peu de synthé et de boîte à rythmes. On ne me lynchera plus sous prétexte que mon batteur ne ressemble pas à Mike Joyce. Il me fallait beaucoup de patience et de détermination pour en sortir.
Si l’on en croit chacune de vos aventures, il paraît difficile à l’amitié de survivre au sein d’un groupe. Avec New Order, vous avez pourtant tout fait pour vous protéger.
Non, car nous avons beaucoup tourné. A Manchester, il y a une énorme pression économique. Le truc de New Order a été d’essayer de tout garder à Manchester. Nous vivons ici, nous pensions pouvoir en faire un endroit plus agréable à vivre, pour nous et pour tout le monde. Mais ça nous coûte énormément d’argent. Premièrement, nous avons ouvert la Haçienda qui perdait des sommes colossales, que nous devions trouver. Deuxièmement, nous avons engagé deux comptables pour s’occuper de nos affaires. Disons… qu’ils n’ont pas été très efficaces. Nous avions alors la pression sur nos épaules, il nous fallait gagner de l’argent. C’était très démoralisant de savoir que nous faisions des tournées, de la promotion, que nous gagnions de l’argent avec nos disques sans pouvoir le toucher. Le percepteur prenait la moitié et la Haçienda l’autre moitié alors qu’on travaillait dur. C’était très démoralisant.
Une telle pression peut détruire l’amitié ?
Elle peut détruire la confiance et le respect. Nous mettions 100 000 livres dans la Haçienda tous les deux mois alors que je devais habiter dans un HLM. J’en avais assez.
N’était-ce pas le prix de l’indépendance ?
On ne peut pas être indépendant dans un groupe. Artistiquement nous l’étions, et ça marchait. Mais ça entraîne beaucoup de responsabilités. Si quelque chose marche de travers, on ne peut s’en prendre à personne d’autre. C’est du point de vue business que les choses ont mal tourné avec New Order.
Johnny ? Créativement, il n’y avait pas de gros problème dans les Smiths. Mais nous n’avions pas de manager, nous nous sommes managés nous-mêmes pendant cinq ou six ans. Nous étions sur un label qui n’était pas basé dans notre ville : les Smiths ont dû déménager à Londres. Je crois que c’est là que le groupe a commencé à éclater. L’énergie initiale et la fraternité s’est dissipée en partant pour Londres. Manchester était notre raison d’être. C’était nos racines, pourtant nous ne pensions qu’à ficher le camp. Sortir de Manchester, c’est ce que veulent la plupart des jeunes d’ici. Je crois que le split aurait pu être évité si nous avions eu un manager. Nous aurions continué. Mais je me dis maintenant que la séparation fut une bonne chose pour chacun de nous, personnellement. Les relations au sein du groupe ont été bonnes jusqu’à la fin, lorsque la presse s’est mêlée de notre split. Comme toujours, les Smiths ont laissé la presse s’impliquer beaucoup trop. Le drame est survenu à la fin, à cause de certaines personnes qui jouaient avec la presse, qui jouaient avec moi par l’intermédiaire de la presse. Ce n’était vraiment pas nécessaire, car l’enregistrement du dernier album fut un bon moment. C’est après que ça s’est gâté. Il est important pour moi de rester une personne normale, quitte à me retrouver sur la paille. A la fin de Smiths, j’ai imaginé le pire scénario : retourner à Manchester et peut-être ne plus jamais faire de disque ou bien prendre en considération notre public, tous les fans des Smiths. J’ai choisi ce que je croyais être le mieux. Cette décision a fait de moi une meilleure personne, plus heureuse et plus normale. Je n’ai que 27 ans, j’avais envie de voir mes 30 ans. Je n’aimais pas l’auto-analyse, je trouvais que le groupe devenait très indulgent avec lui-même, suffisant et imbu de sa personne. Il faut tracer une ligne entre avoir du succès décemment, même en étant pop-star, et être un enfoiré. Chacun des Smiths devenait un enfoiré, moi y compris. Moi tout particulièrement.
Qu’est-ce qui te donnait cette impression ?
Nous perdions contact avec la réalité. Nous croyions ce qui était écrit sur nous, à l’importance des pop-groups. Pour continuer, lorsqu’on n’a plus 18 ou 19 ans, il faut savoir prendre des décisions adultes, comme New Order a su le faire. Il aurait été judicieux de faire une pause pour examiner la situation. Je ne demandais que deux semaines. Le groupe ne me les a pas accordées. Je ne savais plus où était ma vie. Il n’est pas sain de s’impliquer dans quelque chose dont on ne peut plus se détacher. A 25 ans, on ne peut pas continuer comme un gang de gamins.
Devez-vous une certaine fidélité à vos anciens partenaires ? Avez-vous une dette envers eux ?
Nous pensons toujours à eux. Ce n’est pas de la fidélité, plutôt de la loyauté. (S’adressant à Barney) Et toi, tu penses être loyal envers… Joy Division ? (Rires)…
Barney ? Je le suis. Mais la loyauté s’arrête lorsqu’elle vous ronge. Elle vous consume. Mes relations avec New Order sont tellement mauvaises que je ne continuerai pas, à l’exception de l’enregistrement d’un nouvel album en avril.
Johnny ? Je suis loyal envers The The, je l’ai été envers les Smiths. Mais la presse peut faire imploser un groupe. J’en avais eu assez de l’attention qu’on me portait. Ça paraît très ingrat, mais je crois qu’il en était de même pour Barney. Nous étions fatigués de cette attention.
Ces trois dernières années, Johnny a accumulé les collaborations éparses, mais sans rien publier de personnel et de définitif. Comment quelqu’un qui a sorti autant de chansons à un tel rythme pendant quatre ans peut-il du jour au lendemain ne plus rien dire de déterminant ?
Premièrement, je ne voulais pas être dans un groupe. Deuxièmement, je voulais continuer à faire des disques. A la fin des Smiths, j’aimais faire les disques mais pas les sortir. Je n’avais donc qu’à traîner, à me faire embaucher à droite et à gauche comme musicien de studio, par les Talking Heads par exemple : je pouvais ainsi continuer de jouer sans avoir la responsabilité de publier des disques. Mais la raison principale pour ces sesssions est que je n’avais plus confiance en mes capacités. Je ne m aimais pas beaucoup, je n’allais pas bien, sans bien savoir pourquoi. J’avais commencé à croire ce que les gens disaient de moi… On a eu l’impression que j’abandonnais mon propre groupe et mes amis dans la pagaille pour devenir un personnage à la Clapton. Ce n’est pas le cas : c’était le seul moyen que j’avais pour faire des disques. Ce n’est que juste avant de rencontrer Barney que j’en ai eu marre des disques des autres, que j’ai eu à nouveau envie d’écrire mes propres trucs. Je n’avais même plus essayé d’écrire, à l’exception des quatre chansons données à Chrissie Hynde. Cette histoire de sessions me hante encore. Les disques mettent tellement de temps à être publiés que j’ai donné l’impression de tout faire en même temps. Toutes ces sessions, c’est parce qu’un musicien de studio peut participer à un disque sans pour autant attirer l’attention lors de sa publication. Ne pas apparaître dans les médias ne me manquait pas. Le split et ses conséquences ont duré tellement longtemps que j’avais arrêté d’acheter la presse, je ne voulais plus rien lire sur moi, rumeurs ou vérité.
Pourquoi ne pas avoir mis les choses au point une fois pour toutes avec les journaux. A l’exception d’un article dans un fanzine de Manchester, tu n’as accordé aucun entretien.
C’était impossible car j’avais beaucoup de ressentiment. Au moment de sortir Strangeways, here we come, j’étais très amer envers les Smiths en tant que groupe et envers le public. Je ne tenais pas à le faire savoir car j’aurais eu l’air d’un fumier… Je veux qu’à la fin on se souvienne de moi pour ma musique et non pas pour ce que j’ai dit. Car finalement, qui a encore besoin d’une connerie d’opinion ? Moi pas, en tout cas. Moi, je fais de la musique.
Etait-ce également par soin de ne pas heurter Morrissey ?
Oh oui, bien sûr. Je serais passé pour un salaud. C’était tellement personnel que j’estimais ne rien avoir à dire ouvertement, je ne voulais vexer personne publiquement. Le fait de quitter le groupe était en lui-même un acte tellement radical que les gens auraient dû l’accepter tel quel. C’était suffisamment significatif. Mais on m a pris pour un salaud alors que j’en ai bavé. Le split des Smiths est une affaire privée, elle doit le rester. Je ne tiens pas à prendre le public pour un tas d’imbéciles mais… Il me doit bien un peu de vie privée.
Il est difficile d’évoluer au grand jour quand tout va bien et de garder le secret quand ça va mal.
Moi j’ai toujours gardé les choses secrètes. Mais on s’est fait une image de moi à cause de la façon d’être de Morrissey, je passais pour une espèce d’ex-hooligan qui fumait des pétards et parlait de foot. C’était le début des années 80, l’intellectualisme , Oscar Wilde, tout ça…
A qui en veux-tu finalement le plus ? Aux Smiths ou à la presse ?
Personne n’a demandé à Morrissey pourquoi il ne m a pas défendu contre toutes les rumeurs me concernant, selon lesquelles j’avais fui aux Etats-Unis avec l’argent du groupe pour enregistrer avec les Talking Heads. Les autres Smiths ne m ont pas défendu et pour cette raison je ne retournerai jamais vers eux.
De tes déambulations de l’après-Smiths, on avait une impression de gâchis.
L’électrochoc est venu de Barney, qui m a dit exactement la même chose. Il m a dit que je manquais aux gens, que c’était du gâchis. Et soudain je me suis remis à écrire, plusieurs chansons d’affilée.
Est-ce le sentiment d’avoir déjà accompli, laissé quelque chose, qui vous permet d’être si tranquille avec Electronic ?
Barney ? Non, je suis plutôt d’avis qu’il faut se décharger de son passé. Je ne suis pas très intéressé par le passé, je n’écoute plus mes anciens disques. Je m intéresse au présent et au futur. Arrivé à 60 ans, je commencerai à me retourner. Pour survivre dans ce que nous faisons, nous devons ne pas rester trop liés au passé, ne pas se reposer dessus. Aucune nostalgie. A notre âge, elle nous ralentirait comme un aimant. Lorsque j’écris une nouvelle chanson, je ne pense à rien de ce que j’ai déjà fait : c’est une expérience entièrement vierge. J’écris beaucoup sur synthé ou sur ordinateur alors que je ne sais pas réellement en jouer, je me contente de sortir des notes. Je ne sais jamais ce que je suis en train de faire, c’est donc toujours neuf pour moi.
New Order donnait une image de dilettantisme et de paresse. Vous ne parlez maintenant que de travail.
Je ne suis jamais flemmard en studio, lorsque j’écris des chansons. Là, je travaille très dur. Le reste du temps, c’est vrai, je suis très paresseux. La seule chose que je prenne au sérieux, c’est le songwriting. On dit que les Anglais sont paresseux. Mais c’est ce qui fait d’eux des inventifs et de bons rêveurs.
Johnny ? La lenteur du rythme de vie de Manchester me rend dingue, tout est très laid-back, relax. Vous pensez que la paresse est une vertu car des groupes comme New Order ou Happy Mondays ont accompli des choses fantastiques en donnant une impression de facilité. Alors que si ces groupes ont réussi à avancer, ce n’est au contraire pas sans efforts : les Happy Mondays répètent autant que A certain Ratio et A Certain Ratio ne fait que ça ! C’est vrai qu’il existe en Angleterre comme un apathie qui, depuis les années 60, a détruit l’industrie d’ici. Les gens n’exercent plus de métiers dont ils peuvent tirer leur fierté. Ce changement social a entraîné ce comportement de paresse.
Johnny ? Il existe aujourd’hui une génération qui n’a jamais travaillé et ne travaillera jamais. Il ne lui reste plus qu’à sortir la nuit pour prendre de l’ecstasy ou du smack. Beaucoup de gens intelligents, parce qu’ils viennent de régions défavorisées, n’ont plus qu’à former un groupe ou à se droguer.
Barney ? J’ai énormément de copains au chômage. Ils refusent de compter des biscuits ou des corn flakes chez Kellogg s. Ils préfèrent dealer ou voler. Ce n’est pas mauvais pour la musique mais c’est mauvais pour la société, qui se suicide progressivement.
Johnny ? Ça a été positif pour la musique grâce à la Haçienda. La survie ou la fermeture de la Haçienda est d’une importance capitale. Trois soirs par semaine, deux mille personne seront dés’uvrées. Sa fermeture serait un coup terrible pour Manchester. Ça pourrait tuer l’esprit de la ville, l’esprit des jeunes de Manchester. Elle a généré un esprit. Il était sans doute sous-jacent, mais la Haçienda l’a polarisé. C’était juste avant Technique et Mind Bomb, en 88. Elle a su tout concentrer et lui donner un espace. Regardez Londres, personne ne sait ce qui s’y passe. Le dernier gang londonien a été Clash.
Quelles sont les raisons exactes de l’éventuelle fermeture définitive de la Haçienda ?
Barney ? Pendant toutes ces dernières années, nous nous sommes battus avec la police. Elle voulait fermer le club à cause de la drogue. Mais on ne peut pas combattre la bande de gangsters locaux. Il ne s’agit même pas de gangsters mais de types armés. Beaucoup d’armes circulent à Manchester depuis quelques années, et la police n’intervient pas. Ces bandes rackettent, exigent du fric pour laisser les commerces ouvrir. Il y avait un club qui s’appelait le Thunderdome, dont ils exigeaient de l’argent de protection’. Le club a fait appel à une autre bande de videurs, exactement comme à la Haçienda. Les premiers sont revenus pour descendre les nouveaux videurs au fusil. Ils leur ont pulvérisé les jambes et l’estomac, mais sans les tuer. Après ce genre d’incident, personne ne porte plainte car le moindre témoin se ferait flinguer par un autre membre du gang. Si vous témoignez contre eux, vous vous faites descendre. Le problème de la Haçienda, c’est que c’est un endroit connu : lorsque quelque chose s’y passe, ça s’étale dans toute la presse. Voilà ce que n’aime pas la police. Elle se dit que si les jeunes restaient à la maison, ils seraient loin des regards. La police de Manchester est plutôt limitée, intellectuellement. C’est l’attitude d’une petite ville appliquée aux problèmes d’une métropole.
Les groupes de Manchester ont tous en commun leur sens de la dérision et de la moquerie. Ils cultivent une certaine distance, pour bien montrer qu’ils ne prennent rien trop au sérieux.
C’est très naturel pour les Mancuniens, on n’arrête pas de se vanner. Mais ce n’est pas de la malice ou un sentiment de supériorité.
Johnny ? On ne se pavane pas en se considérant comme des artistes. Il y a beaucoup trop de gens qui, sous prétexte d’un peu de succès, transforment leur vie en mythe. J’ai horreur de ça. J’ai horreur des chanteurs qui font ça. Ils se mettent à parler de l’histoire d’un groupe comme si c’était de la mythologie. Vivant depuis longtemps à Manchester, j’y connaissais beaucoup de monde avant de former les Smiths. Ces gens-là sont redevenus beaucoup plus amicaux avec moi lorsque j’ai quitté les Smiths. Ils ont constaté que je ne tenais pas à poursuivre cette existence d’artiste souffreteux, cette merde. Si la pop-music veut évoluer, il est indispensable qu’elle ne se prenne pas trop au sérieux.
Dans le cas de New Order, c’est votre manière de vous protéger, de rester dans l’ombre a bâti un petit mythe.
Barney ? Ça n’avait rien d’intentionnel, ça tient uniquement à un manque d’ambition. Nous étions heureux de ce que nous faisions, nous ne voulions pas être mondialement connus. Ian Curtis disait toujours qu’il ne voudrait jamais que le groupe devienne plus célèbre que les Kinks, nous étions d’accord.
Johnny ? J’aurais horreur d’être plus connu que je ne le suis. C’était le cas avant, c’est ce qui m avait enlevé l’envie de jouer.
La mythologie, pour le public, est pourtant indispensable.
Ça, c’est votre travail. Mais si les gens comme nous commencent à s’en occuper, on termine comme les Smiths. La plupart des gens passent leur vie à vouloir s’échapper de la vie ordinaire alors que moi, je ne demande qu’à être normal. Je n’ai jamais été un enfant anormal, extraordinaire, je connaissais simplement des hauts et des bas. A un certain moment, il faut se rendre compte de ce qui est malsain pour soi, mentalement et physiquement. Je ne veux pas me tuer au nom d’un quelconque mythe. Si cela est nécessaire pour faire du vrai grand art, je préfère faire des petits disques qui me plaisent, avoir une famille et des gosses, mais rester en vie. La mythologie appartient aux autres, et je comprends ce qu’elle signifie pour eux. Lorsqu’un gamin vient nous voir habillé d’un T-shirt Joy Division ou Smiths, je sais que ça fait partie de sa vie, mais pas de la mienne.
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