L’Américain JOHN MAUS sort un grand album de pop noire, dansante et macabre. Chez lui, la musique baroque croise le lo-fi et Alain Badiou rencontre Ariel Pink.
“J’en veux au grunge d’avoir fait de moi un mélodiste inepte”, fulmine toujours John Maus en repensant à son enfance passée dans des groupes lycéens. Pas facile de grandir quand on est obsédé par la musique baroque, aux confins du Minnesota et de l’Iowa, à des centaines de kilomètres du premier disquaire, à des années du premier clic internet.
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Mais l’érudit et éloquent John Maus est tenace et en 2000, il décroche une place au California Institute of the Arts, bien décidé à y inventer une grammaire musicale neuve et personnelle. “Une musique qui étincelle dans l’obscurité, dans ce grand vide laissé par l’échec des ambitions, la médiocrité des imaginations.” La douche est froide pour cet homme qui prend aujourd’hui les entretiens pour de fascinantes conférences TED. “En musicologie, on ne nous parlait que de musique sérielle, de Boulez, de Cage… Ça m’a découragé, les pièces baroques que je composais étaient ridiculisées par les profs.”
La Californie, Ariel Pink, puis Hawaï
Grandi en solitaire au Minnesota, John Maus découvre alors effaré les codes californiens de la vie en société. “J’ai débarqué avec mes chemises psychédéliques et un catogan, je n’avais aucun cachet – et ça semblait fondamental. Tout le monde me regardait de haut, me traitait de plouc. D’outsider, je suis vite devenu paria.”
Heureusement, un autre étudiant, du département arts plastiques, le prend en affection, tel quel. Il s’appelle Ariel Pink, et ensemble ils commencent à faire de la musique. “Lui était un vrai fou de musique, un collectionneur, un passeur. C’était le premier étudiant à ne pas me traîter avec condescendance. Grâce à lui, j’ai commencé à traîner dans une communauté de musiciens. Il a été l’homme providentiel.”
Après sept ans à Los Angeles, John Maus part ensuite à Hawaï où il étudie la philosophie et les sciences politiques. Et on est certain, à l’écoute de ses albums, qu’il était un surfer surdoué. Sur la cold-wave. “Je partage la même voix de baryton que Ian Curtis, mais il ne peut pas être une influence. Je n’ai connu Joy Division et leur producteur, Martin Hannett, que lorsque mes premiers albums étaient déjà sortis. Ce qui nous rapproche, tous les deux, c’est notre chant qui ressuscite Jim Morrison.”
Au printemps prochain, John Maus regroupera huit albums sous la forme d’un coffret, remontant ainsi jusqu’en 2006. On y retrouve notamment le génial et toujours influent We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves de 2011. Ce coffret, l’Américain le considère à demi-mot comme un testament : un état des lieux avant une prochaine vie, sans doute dans l’enseignement ou dans les musiques de films. “Je ne veux jamais simuler la jeunesse, l’audace, devenir une caricature.”
En attendant cette retraite à moins de 40 ans, cette replongée dans ses chansons l’a laissé perplexe. “Cette musique, qui était méprisée il y a dix ans, nourrit aujourd’hui les charts mondiaux. C’est une musique née, à la base, de contraintes techniques et économiques : lo-fi par la force des choses. Mais des usines à tubes, notamment suédoises, ont ouvert de véritables laboratoires d’écoute où ils analysent tout ce qui sort, en extraient des sons inédits – notamment des atmosphères modales –, les détournent et les injectent sur des beats (suit une longue et brillante démonstration de musicologie – ndlr)… Grâce à ça, un type comme Max Martin peut s’enorgueillir d’avoir signé, derrière Britney Spears ou Katy Perry, plus de tubes que les Beatles et Elvis réunis.”
Un album fait main
On ignore si le nouvel album de Maus est en cours de dissection dans un labo suédois, mais on peut déjà affirmer que Screen Memories est ce qu’on appelle un beau ténébreux. Un album qui ne fera pas taper dans les mains, mais pas non plus taper la tête contre les murs. Le spleen se porte avec élégance, décontraction chez l’Américain : ce n’est pas une camisole de force. Mais il ne viendra pas à vous, ou alors uniquement par bonne éducation, comme sur ce Walls of Silence qui brise la glace d’un album plutôt alors renfrogné, distant. Un album littéralement fait main, “laborieusement, à l’ancienne, avec un cahier et un crayon”, dans sa grange du Minnesota : l’Américain, perceuse, tournevis et fer à souder en main, a construit lui-même les synthétiseurs pour échapper à l’uniformisation des banques de données digitales.
On sait que John Maus avait emprunté le titre de son précédent album à une phrase du philosophe Alain Badiou : “Nous devons être, impitoyablement, nos propres censeurs.” On lui demande à quoi fait référence le titre du nouveau.
“Screen Memories, en psychologie, c’est un mécanisme d’autodéfense qui consiste à remplacer une expérience par une autre. Par exemple, votre oncle se livre sur vous à des attouchements. Mais pour repousser le traumatisme, vous vous souvenez uniquement de lui en train de vous payer une glace.” Il y a des questions, même simples, qu’on ne devrait jamais poser.
John Maus sera en Concert le 28 octobre à Nantes, le 6 novembre à Paris (Maroquinerie) et le 7 à Strasbourg.
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