Dans le cadre de l’exposition Europunk à la Cité de la Musique, John Lydon, le Johnny Rotten des Sex Pistols, initiateur du mouvement punk dans les années 70, était en concert à Paris avec son groupe PiL. Rencontre, contre toute attente, avec un homme affable et généreux.
Johnny Rotten est mort le 14 janvier 1978, à San Francisco, dans le naufrage des Sex Pistols, groupe phare du mouvement punk. De sa dépouille est né John Lydon, imprécateur au venin inépuisable et à la dent dure, capitaine irascible du brise-glace mille fois chaviré Public Image Ltd. (PiL) qui a ouvert la voie à la new-wave. Alors que la Cité de la Musique accueille à Paris jusqu’au 18 janvier l’expo Europunk, et à la faveur d’un concert de PiL, celui qui se présentait comme l’Antéchrist et traitait la reine Elisabeth de “salope” dans ses chansons, revient sur sa carrière, son enfance, ses deuils et son amour pour le club d’Arsenal. Et même repenti, même converti à un certain humanisme, le punk en lui semble définitivement insomniaque !
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John, quel défi vous a-t-il fallu relever pour réaliser l’album This Is PiL, le premier à votre actif depuis vingt ans ?
John Lydon – Le challenge consistait à faire en sorte que l’industrie du disque qui avait décidé par tous les moyens possibles et imaginables de détruire ma carrière soit contredite. Ils m’ont financièrement mis sur la paille, fait de moi leur débiteur pour le restant de mes jours. Je ne pouvais plus exercer mes activités de musicien. J’étais coincé. Pour survivre, il m’a fallu au cours des dix-huit dernières années trouver des activités rémunératrices, notamment pour la télévision. J’ai participé à plusieurs émissions, dont I’m a Celebrity Get Me ouf of Here! pour ITV. Pour John Lydon Goes Ape, j’ai suivi à la trace un groupe de gorilles dans une forêt d’Afrique centrale… Pour John Lydon’s Shark Attack, j’ai nagé avec des requins près des côtes d’Afrique du Sud. Et franchement, j’ai trouvé les requins moins dangereux que ces connards des maisons de disques. De m’être retrouvé ainsi au pied du mur a eu pour effet de resserrer les liens au sein du groupe et de stimuler ma créativité. Je peux dire en toute honnêteté que This Is PiL est la meilleure chose que j’aie jamais réalisée musicalement parce que tout est venu du cœur et que ce fut le fruit d’une solidarité et d’une amitié qui n’ont cessé de se solidifier au cours des années de galère.
Vous avez réalisé une publicité pour une marque de beurre anglais, Countrylife ? Etait-ce pour financer la création de votre label Pil Official et l’enregistrement de cet album ?
C’était plutôt un acte de pure anarchie ! A l’origine j’avais refusé. Pour tout dire, je trouvais ça complètement crétin. Mais j’ai eu une sérieuse conversation avec les gens de l’agence qui se sont révélés être des personnes de grande qualité. Ils me laissaient une totale liberté pour ce spot et à partir de là une relation constructive s’est établie. En outre, ce n’est pas exactement une publicité pour une marque de beurre mais plutôt une manière de promouvoir l’industrie agroalimentaire anglaise qui traverse une grave crise. L’argent en jeu n’était pas énorme mais il s’est avéré suffisant pour poser les fondations de Pil Official. Quel meilleur exemple de l’usage intelligent d’un argent gagné par la pub ? Je n’ai rien gardé pour moi-même. Tout a été investi dans le label.
Rétrospectivement, comment voyez-vous la carrière de Public Image Ltd. ? Il semble que vous ayez été constamment à la recherche d’une formule idéale sans jamais vraiment la trouver, que ce soit pour des raisons humaines ou de conflits avec vos interlocuteurs dans l’industrie ?
J’ai toujours posé pour principe dans mes relations musicales l’honnêteté et l’intégrité. J’ai dû malmener certaines personnes par le passé pour que ces vertus soient honorées et respectées. Certains à qui j’avais accordé ma confiance se sont mis à vouloir profiter de moi. Dès mes débuts, dès les Sex Pistols, j’ai présumé que l’on n’était pas obligé d’aimer les gens avec lesquels on travaillait. Et donc au fil des collaborations, les blessures se sont accumulées. Jah Wobble, qui était un ami d’enfance, s’est révélé être d’une fourberie impardonnable. Jusqu’au jour où j’ai réalisé qu’il n’y avait en fait aucune raison pour que cela se passe mal. Aujourd’hui Lu Edmonds (guitariste de PiL) et Bruce Smith (batteur) sont mes amis les plus chers, les joyaux de mes relations sociales. Et Scott Firth (bassiste), qui nous a rejoints, s’est adapté au groupe, comme un gant sur mesure à une main. Pour moi, c’est un aboutissement.
Au milieu des années 80, vous avez enregistré Album – que beaucoup considèrent comme le meilleur de votre discographie – où vous étiez accompagné par des musiciens chevronnés comme Bill Laswell, Ginger Baker ou Ryuichi Sakamoto. Miles Davis aurait même fait une apparition lors d’une session, à l’issue de laquelle il aurait dit que votre voix lui rappelait le son de sa trompette !
Oui ! Quel compliment ! Mais j’en ai eu d’autres de la sorte par des musiciens prestigieux, dont James Blood Ulmer. A cette époque, mes rapports avec l’industrie du disque étaient si chargés de haine que ces louanges m’ont complètement rassuré sur ma démarche, m’ont donné une immense confiance dans mes capacités.
Vous ne vous êtes jamais vraiment présenté comme “chanteur”, plutôt comme un “constructeur de sons”…
Je suis au-delà de ça ! Mon but n’est pas de faire “tra la la la la la” mais d’explorer à travers la voix et les mots l’étendue de l’expérience humaine. C’est l’ultime finalité de ma démarche avec PiL.
Votre mère aurait été très choquée en vous entendant chanter pour la première fois sur un disque des Sex Pistols. Elle ne pouvait imaginer que son fils qu’elle présentait comme un enfant silencieux, introverti, timide puisse émettre des sons à ce point terrifiants… Ça ressemble à une des premières scènes de L’Exorciste, non ? Avec vous dans le rôle de Linda Blair…
Ah, ah, ah ! Mes parents avaient foi en moi, même s’ils ne comprenaient pas toujours ce que je faisais. Ils étaient fiers parce qu’ils savaient qu’en toute chose je mettrais travail acharné et intégrité. Ma mère a pu être surprise, mais pas choquée. Ses goûts musicaux étaient larges. Elle adorait Fun House des Stooges qu’elle venait écouter dans ma chambre. Mes parents possédaient une discothèque incroyable pour des gens de leur condition. On y trouvait de tout, du classique, de la musique traditionnelle irlandaise ! Même des trucs nazes comme les Beatles !
Vous avez choisi le thème du Lac des cygnes de Tchaïkovski pour Death Disco, un morceau où vous rendiez hommage à votre mère…
Elle adorait cette mélodie. Elle la jouait très souvent. C’était la seule manière de pouvoir lui témoigner mon amour et de me faire à l’idée de sa perte. Quand j’ai eu 7 ans, j’ai perdu toute ma mémoire à cause d’une grave méningite qui m’a tenu un an alité. Je savais lire et écrire à l’âge de 4 ans, mais j’ai tout perdu suite à cette maladie. Et c’est ma mère qui pendant quatre ans, patiemment, m’a tout réappris. Mot après mot…
Vous jouez toujours Death Disco pour elle sur scène ?
Pour elle et pour mon père, décédé récemment. Et pour ma belle-fille, Ari Up (chanteuse des Slits – ndlr), qui nous a également quittés.
Incluez-vous Malcolm (McLaren, manager des Pistols – ndlr) dans cet hommage ?
Pas nécessairement. Mais même si nous n’étions pas de grands amis (ricanements), son énergie me manque. Pas le meilleur mais pas le pire des hommes.
Incluriez-vous aussi Sid (Vicious, ami et bassiste des Pistols – ndlr) ?
Non. Sid est ailleurs dans ma tête. Sa mort m’a rendu triste et dans un sens, elle m’a terrifié…
Parce que vous vous sentiez responsable d’en avoir fait une rockstar, un rôle bien trop lourd pour ses épaules… et de lui avoir présenté Nancy Spungen…
Oui, je me suis senti mal… Et coupable.
Il semblerait qu’aujourd’hui vous soyez mûr pour vous réconcilier avec la Terre entière. Sur This Is PiL, il y a ce passage où vous chantez “I’m only human !”. On est loin du No Feelings des Pistols ! Les rancunes sont-elles derrière vous ?
Ma vie entière est conduite par une sensibilité exacerbée. Je peux être colérique le matin, enjoué l’après-midi et me sentir comme une misérable petite merde à 7 heures du soir. Puis sortir dîner avec mon pote John Rambo et là me retrouver en pleine extase ! C’est cela ma vie ! Lisez l’Ulysse de James Joyce et vous découvrirez les mille et une transformations auxquelles est soumise la vie intérieure d’un Irlandais (les parents de John Lydon sont originaires d’Irlande – ndlr).
La colère est-elle toujours une énergie, comme vous le chantiez dans Rise en 1986 ?
Absolument ! J’ai toujours préféré utiliser la colère en tant que combustible plutôt que comme levier de haine, parce que la haine finit toujours par être autodestructrice.
D’où vous venait cette incroyable colère dans les chansons des Pistols ? De vos origines très modestes ou du regard condescendant, méprisant, que la “bonne société” anglaise réserve aux classes inférieures ?
Je ne suis que le médium d’une rage accumulée depuis des siècles par des millions d’individus oppressés socialement et mutilés émotionnellement. Mais cette colère, je l’ai exprimée sans actes de violence, seulement avec des mots. Mes mots sont mes balles.
Qu’est-ce qui vous met en colère ?
De voir autant de gens souffrir. Je suis profondément blessé par la souffrance qu’endurent mes frères humains.
Qu’avez-vous ressenti le jour où Maggie Thatcher est morte ?
De la tristesse !
Vraiment ????
Bien sûr ! Et j’ai été totalement écœuré par ces célébrations de joie qui ont accompagné sa disparition. J’ai toujours pensé qu’elle était moralement et politiquement dans l’erreur mais elle croyait sincèrement à ce qu’elle disait. Et c’était un être humain ! Et une mère !
Le punk a-t-il été un moyen d’échapper à cette fatalité sociale ?
Soyons clairs, pour moi il y a eu les Sex Pistols, et le reste c’était de la merde ! Ces groupes qui prétendaient entrer en compétition dans ce monde de la pop musique étaient d’une minable trivialité. Je ne me suis jamais fait à cette idée, et ne suis jamais rentré dans ce jeu stupide. Il y a eu quelques groupes excellents et très créatifs comme The Adverts ou X-Ray Spex. Mais la stupidité des Clash vraiment était difficile à tolérer ! Joe était un chouette type, certes. Mais son groupe, quelle horreur !
Si vous avez pris vos distances avec le punk, vous êtes resté fidèle à l’Arsenal Football Club. Pourquoi ?
C’est un sentiment de communauté qui remonte à mon enfance. J’ai grandi dans le quartier de Finsbury à Londres, près du stade où jouaient les Gunners. Certes, il y a dans le football moderne des aspects que je réprouve, l’obscénité d’une économie hors contrôle en est un, mais je vous le dis : je resterai fidèle à Arsenal jusqu’au jour de ma mort ! Cela dépasse le sport même.
Vous souvenez-vous de votre premier concert en France avec les Pistols ?
Les Bains Douches ? Non, le Chalet du Lac ! It was fun !
Vous vous appeliez Johnny Rotten à l’époque ! Aujourd’hui Johnny Rotten est un mythe ! Neil Young en a fait une chanson (Hey Hey My My), Greil Marcus le personnage central d’un essai sur la rébellion dans la culture (Lipstick Traces). Vous reconnaissez-vous dans ce mythe ?
Non. Je suis indifférent à tout ça. Je ne pense pas avoir été bien compris par ces gens qui intellectuellement ne sont pas assez profonds pour moi.
Johnny Rotten n’a-t-il pas été votre Mr. Hyde, un double dont vous auriez perdu le contrôle ? Non.
Ne vous forciez-vous pas à correspondre à la réputation que Johnny Rotten s’était forgée ? Celle d’un agitateur, d’un provocateur, d’un chanteur délinquant ?
Absolument pas… Enfin oui, un peu. Mais c’était tellement jouissif !
Mais vous avez risqué votre vie ! Des patriotes vous ont attaqué avec des rasoirs au moment de God Save the Queen. Vous auriez pu y rester !
Beaucoup de gens auraient pu me tuer ! Mes managers, par exemple ! Je ne vis pas dans l’auto-apitoiement. Je ne connais pas la peur. Ma mort viendra quand elle viendra. J’espère seulement qu’elle arrivera sans trop se faire annoncer !
Exposition Europunk à Paris (Cité de la Musique) jusqu’au 18 janvier
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