Bombe hallucinante lancée contre la société du spectacle, le film de Johan Grimomprez marque la fin libératrice et explosive d’un cinéma situationniste.
Dial H-I-S-T-O-R-Y est un film à sensations fortes, une superproduction hollywoodienne comme Hollywood ne pourra jamais s’en offrir tant elle confine au réel : de 1930 à nos jours, Johan Grimomprez relate un siècle de détournements d’avions en tout genre, avec leur cortège d’explosions au sol, de morts en direct, de victimes paniquées et de médias fiévreux. Et pourtant, c’est avant tout un documentaire, un film d’histoire plutôt érudit. Réalisé sur plus de quatre ans par cet artiste belge, composé à 30 % d’images personnelles tournées en vidéo dans des aéroports ou des avions, et constitué pour le reste d’images d’archives prises en Russie, à l’INA ou à ABC News, ce film raconte l’histoire complète des pirates de l’air.
Dans les faits, tout commence au Pérou en 1931, premier détournement pour distribuer des tracts dans les terres chiliennes, puis on aborde la question d’Israël et celle ensuite du terrorisme palestinien, on longe sans cesse la guerre froide et on survole Cuba, on regarde sur Fukuoka TV le premier détournement en direct, on croise Raffaele Minichiello, vétéran du Vietnam désireux de rentrer dans sa ville natale, Rome, et donc premier pirate transatlantique. Le tout finit de nos jours dans une sorte de soap-opera où les images de chutes et de détournements d’avions s’enchaînent sur fond de La Croisière s’amuse.
Terroriste de l’image, Grimomprez ajoute à ce zapping infernal monté à vive allure des images fictives : dessins animés, pubs, extraits d’une première version du Magicien d’Oz, vidéos destinées à la formation de futurs gardes du corps… « Ce n’est pas seulement un film d’histoire, c’est aussi un film sur les médias, depuis le noir et blanc jusqu’à la couleur, jusqu’aux clips publicitaires promouvant la guerre du Golfe. Le succès de la télévision-réalité témoigne de l’alliance des médias, des téléspectateurs et de la catastrophe. » Autant dire que Grimomprez est lui-même un expert ès détournements et qu’il fait dériver son film vers une critique en acte de la société du spectacle : « On voit tout au long du film l’accélération des émotions, la recherche du scoop, la dramatisation constante des événements. En ce sens, ce film est aussi une histoire de la mort, des représentations modernes et médiatiques de la mort. »
A la fois fasciné et dérangé, Johan Grimomprez ne cesse de poser la question du terrorisme et de son sens. De la guerre froide aux cyniques années 90 qui voient la chute du Mur et la fin des idéologies, le film s’enfonce dans une confusion croissante des justifications, légitimes ou non, des pirates de l’air, et assiste au développement d’un terrorisme d’Etat. « A un moment, on voit même un pirate incapable de répondre aux journalistes qui lui demandent la raison de son acte. C’est une image symbolique. Mais les médias sont là aussi : ce film montre la participation grandissante des terroristes au grand spectacle médiatique. »
Cette question se trouve redoublée par la bande-son du film, où des voix forment un dialogue entre un terroriste et un écrivain, textes extraits des livres de Don DeLillo, Mao ii et White noise. Car cette question du terrorisme devenu spectacle, Grimomprez se la pose évidemment à lui-même : « Le succès de ce film à la Dokumenta de Kassel l’an dernier et partout où je l’ai montré ne m’étonne pas beaucoup. Dès qu’il y a du visuel, de l’émotion, de la télé, des catastrophes, les gens veulent voir. Je ne sais pas moi-même si ce film a un effet critique, mais il est évidemment très médiatique.«
Parce que le zapping cher à Canal+ est devenu une forme télévisuelle vidée de sa force subversive, parce que la pratique artistique du détournement est devenue une autre manière de participer au spectacle et ne parvient plus à le déborder de manière critique, Dial H-I-S-T-O-R-Y marque la fin libératrice et explosive d’un cinéma situationniste.
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