Devant une andouillette pour Joeystarr et une bavette pour Katerine, la pop a rencontré le hip-hop. Un beau repas d’anniversaire pour les 25 ans des Inrocks.
Ces deux-là ne s’étaient jamais parlé. Joeystarr est arrivé un peu à la bourre, crevé par la promo de Polisse, le deuxième film de Maïwenn. Sur son T-shirt, une fille qui mange une banane, comme un hommage au hit estival de Katerine. La Vendée contre le 9-3, la pop contre le hip-hop, un doux contre un dur : vu d’avion, tout semblait opposer Katerine et Joeystarr, mais à hauteur d’homme, il n’en reste plus grand-chose. Le parcours de ces deux icônes de la musique française n’est pas si différent.
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Reconnus comme les meilleurs punchers de leur catégorie, Katerine et Joeystarr ont semble-t-il subi, ces dernières années, la même mutation. On les a vus devant les caméras de ciné. On les a vus assumer avec classe et entrain une stature nouvelle. On les a vus refuser le titre de porte-parole que les médias voulaient leur refourguer. On les a vus, chacun dans son coin, creuser un sillon très personnel, en plein effondrement de l’industrie du disque. On les a vus devenir, chaque jour et un peu plus, tout en n’oubliant pas de brouiller les pistes, des artistes incontournables et à l’état brut. La rencontre impossible a eu lieu à Paris, dans un restaurant situé non loin des Inrocks. Il était midi, l’heure de déjeuner. Katerine a commandé une bavette (et un verre de blanc), Joeystarr une andouillette (et un verre de rhum). Ils se sont assis l’un à côté de l’autre. Les conditions du débat semblaient réunies.
ENTRETIEN :
Philippe, tu reprends Ma Benz de NTM sur ton dernier album et tu as écrit une chanson pour le groupe de majorettes belges, Les Vedettes, qui s’appelle Joeystarr…
Joeystarr – Ah oui, c’est toi qui as fait ça ?
Katerine – Eh oui, c’est moi… J’avais demandé aux Vedettes : « C’est qui votre homme idéal, à part moi ? » Elles m’ont répondu Joeystarr. Alors, j’ai fait une chanson sur toi…
Joeystarr – Je représente peut-être un idéal féminin, waow !
Philippe, tu as beaucoup écouté NTM ?
Katerine – Je connais ce qui passe à la télé. J’aime beaucoup les hits. Je connais aussi le premier album de Joeystarr et je l’adore. Le nouveau, tu l’as pas ici ?
Joeystarr – Non, je suis venu les mains dans les poches.
Joey, tu connais la musique de Philippe ?
Joeystarr – Oui, je l’ai vu en concert. D’ailleurs je suis venu avec un T-shirt hommage. On a joué dans les mêmes festivals et, comme je suis un mec curieux, je suis allé le voir et j’ai aimé. J’aime les gens qui n’ont pas un cadre formel. J’ai été happé par le côté déjanté, bien entendu. Il ne se prend pas au sérieux et, en même temps, on sait tous que c’est un mensonge. On devine qu’il n’est pas si désinvolte que ça.
Tu te sens désinvolte, Philippe ?
Katerine – Désinvolte ? Si je me sentais désinvolte, je ne le serais pas. Donc, si je le suis, c’est que ça m’échappe un peu. Sur scène, je ne sais pas : je n’ai jamais vu de concert de moi, même pas filmé…
Joeystarr – Moi j’en ai vu, tu portais un truc en tulle, façon aérobic, avec des danseuses derrière toi. On ne sait pas trop ce que vous faites. Je te regarde, tu vois…
Joey, tu aimes les gens qui ne restent pas dans un cadre formel : as-tu le sentiment que le hip-hop est une forme de « cadre » ?
Joeystarr – Bien sûr… Il y a une posture. On est là, à faire la gueule… J’ai quand même l’impression de ne pas faire la même chose à chaque fois et c’est sans doute pour ça que je suis encore là. Heureusement, j’arrive à me dégager de ça dans l’écriture. C’est vraiment le moment où je fais le moins preuve de pudeur. Pareil quand je joue au cinéma. Ce sont des moments où je me détache et j’adore ça.
Philippe, te poses-tu la question de la pudeur quand tu é cris ? Katerine – Ah non, je lâche tout… Avec des regrets parfois : quand je réécoute certaines chansons, elles peuvent avoir un côté gênant !
Joeystarr – « Cette chanson me gêne », ah, ah !
Katerine – Mais la pudeur peut aussi être gênante. Je me dis parfois que j’aurais dû lâcher davantage. Au début j’étais très pudique, beaucoup trop. On est toujours un carcan pour soi-même, hélas. Ce que je fais, c’est pour tenter de m’évader de moi, en vain, je le sais. A vrai dire, ça ne m’empêche pas non plus de dormir.
Est-ce que la scène musicale française rend improbable des rencontres entre deux personnalités comme les vôtres ?
Joeystarr – Quand on rencontre quelqu’un qu’on apprécie, on n’est pas obligé de dire qu’on a envie de faire un truc avec lui. Par exemple, Brigitte, je trouve ça super. Du coup, tout le monde veut nous rapprocher, veut qu’on travaille ensemble. Je préfère regarder ça de l’extérieur, sans être protagoniste.
Toi, Philippe, tu aimes travailler avec les autres, tu as beaucoup écrit pour eux.
Katerine – Oui, ça aère un peu. Parfois, ce qu’on fabrique sent la chaussette et ça fait du bien d’ouvrir les fenêtres pour faire entrer du monde.
Philippe, tu as toujours écrit seul. Pour toi, Joey, le problème s’est posé en 2006 avec ton premier album ?
Joeystarr – Je n’ai aucune formation musicale. Pendant longtemps, j’ai bossé avec Kool Shen qui est un garçon très cartésien et qui s’occupait de la réalisation de nos albums. Parfois, je me pointais, je ne savais pas sur quoi on allait chanter. J’écrivais tout au dernier moment et en général le résultat était probant. Ça le rendait dingue parce que lui écrivait tout chez lui, il faisait presque des coliques néphrétiques. Donc oui, ça a été dur au début de me retrouver seul : il a fallu sortir des petits cercles où je traîne d’habitude. Il faut vraiment que j’arrive à m’extirper de ça pour pouvoir écrire. Pour mon premier album, je suis allé bosser à Toulouse. Là, pour le deuxième, juste après ma sortie de prison, je me suis enfermé chez moi puis en studio, j’avais vraiment envie d’avancer. J’avais écrit plein de textes à Fleury, j’avais les crocs. C’est un processus, il faut apprendre à se retrouver seul, à mettre les couilles sur la table pour que ça fasse tac-tac-tac.
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