Du haut de ses 18 ans, Joey Bada$$ refuse les avances de Jay-Z et revigore avec panache la tradition rap de New York sur des mixtapes gratuites.
Quel est l’album le plus cramé, le plus poisseux que les ghettos de New York aient enfanté dans les années 90 ? The Infamous de Mobb Deep s’avère une des réponses les plus crédibles. Ce duo ne possède ni le charisme de Biggie, ni la virulence du Wu-Tang, mais son hardcore sombre et fumant vrille l’esprit de l’auditeur comme un vieux mégot de joint immonde ramassé dans le caniveau de Queensbridge.
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Mysticisme du calendrier : au mois de janvier 1995, pendant que Mobb Deep enregistrait ce futur grand classique dans un studio new-yorkais, Jo-Vaughn Virginie Scott poussait son premier cri dans une salle d’accouchement d’un hôpital de Brooklyn. Dix-huit ans plus tard, le nourrisson est l’ultime héritier en date de la tradition microphonique incarnée par Mobb Deep, et son premier single, Survival Tactics, fait écho au Survival of the Fittest de ses grands frères.
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Outre Mobb Deep, le gamin devenu Joey Bada$$ a déjà été adoubé par ses idoles : MF Doom, The Alchemist et DJ Premier pourvoient sa nouvelle mixtape d’instrumentaux détonants (Summer Knights, sorti en juillet) ; Pete Rock et Q-Tip sont annoncés sur son premier album officiel pour la fin de l’année. Du rap vintage, “golden age” et nostalgique d’une époque que Joey n’a pourtant pas vécue.
Biberonné au hip-hop par ses parents jamaïcains dans le quartier de Flatbush à Brooklyn, où il habite toujours, il comptait encore son âge sur les doigts d’une seule main lorsqu’il fut initié au noble art du freestyle. Il est aujourd’hui devenu une effrayante machine à cracher des punchlines. Il écrit rarement ses textes sur papier, préférant les retenir de tête et les dégainer spontanément. Sur le titre collectif 1 Train, il évoquait son rendez-vous dans le bureau de Jay-Z au sommet d’un building de Manhattan : “Just got back to the block from a six o’clock (meeting) with Jigga/And I’m thinking about signing to the Roc/But my niggas on the block still assigned to the rocks”.
Traqué par les caméras de télé jusque dans la cour de son lycée, il a préféré opter pour une stratégie commerciale ayant déjà fait ses preuves avec Azealia Banks et A$AP Rocky : faire monter les enchères en balançant gratuitement sur le net des mixtapes fracassantes. Il en a déjà signé trois en son nom, et une autre avec son crew The Pro Era. Des millions de downloads avant les millions de dollars. Il fanfaronne aujourd’hui en clamant haut et fort qu’il ne signera pas en major pour moins de trois millions. “Je veux juste sortir ma mère de la cité”, dit-il.
En attendant de décrocher le jackpot, Bada$$ profite de sa nouvelle vie et fume les micros partout où il passe, d’Amsterdam à Montréal. De retour des Eurockéennes en juillet dernier, il confiait : “Avant le concert, j’ai passé du temps à traîner dans Belfort et sur le festival, c’était un des meilleurs moments de notre tournée en Europe. J’aime me connecter avec les gens, échanger, c’est enrichissant au-delà de la musique.”
Sur scène comme au quartier, Bada$$ n’est jamais seul. Son posse The Pro Era ne s’est pas désuni après la tragédie de l’hiver dernier, le suicide de Capital Steez, l’un des fondateurs de leur petite famille musicale. The Pro Era est aussi affilié à une nébuleuse plus large, une lame de fond qui submerge la capitale du hip-hop : The Beast Coast, dont se revendiquent également A$AP Rocky, The Underachievers, et beaucoup d’autres trublions de la nouvelle génération new-yorkaise.
Il y a trois ans, avec l’avènement de Tyler The Creator et de Kendrick Lamar, tout portait à croire que le futur du rap américain bronzait sous le soleil de Californie. C’était compter sans le bagout de Bada$$ et de sa meute de jeunes loups prêt à dévorer la Grosse Pomme. The Beast bouge encore.
David Commeillas
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