Fougueux, son premier album, « B4.DA.$$ », renverse New York et toute la planète rap. En ce début d’année, ce garçon de même pas 20 ans fait l’événement.
« Depuis que j’ai 15 ans, je suis en compétition avec Jay Z », déclame Joey Bada$$ en esquissant un sourire espiègle. Je ne dis pas ça comme une provocation, c’est juste ma mentalité. Je n’ai jamais considéré mon âge comme une limite.” Le rappeur de Brooklyn frime à peine : sa carrière a débuté grâce à une vidéo sur le net en 2010, il avait en effet 15 ans.
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Avec son sac de collégien sur le dos, il se présente alors sous le nom de JayOhVee et se lance face caméra dans un rap détonant de trois minutes. Pas d’instrumental, juste un camarade qui beatboxe sous les rafales de slang déchargées par le jeune rappeur. Suite à cette vidéo, il fut contacté par Jonny Shipes, fondateur du label Cinematic Music Group (Sean Kingston, Big K.R.I.T.).
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« Je veux sortir ma mère du quartier »
Le reste de l’histoire, on la connaît : dès ses premières mixtapes début 2012, le public et la critique le reconnaissent comme l’héritier légitime de la plus noble tradition du rap new-yorkais, celle de Rakim, Mobb Deep ou Nas. Jay Z le convoque en haut de son building, lui glisse un contrat sous le nez, mais Joey secoue la tête : il avait averti dans le morceau Unorthodox qu’il refuserait de signer en major pour moins de trois millions de dollars. II ne baisse pas son tarif, même pour un ami du président. “Je veux sortir ma mère du quartier”, clamait-il pour justifier ses exigences.
Si d’autres mixtapes, singles et concerts sauvages ont assis son succès désormais international, Bada$$ n’a jamais succombé à la drague des majors. Son premier album est aujourd’hui produit en indépendant par CMG, et Joey habite toujours chez sa maman, dans le même appartement à Bedford- Stuyvesant, à Brooklyn.
“Tout va bien, chaque chose en son temps. Ma famille me soutient, mais chez moi, personne ne me demande de remplir le frigo. Ma mère fait toujours ses petites affaires de son côté. On déménagera sûrement bientôt, mais je ne quitterai jamais le quartier définitivement. Ma vie est là, mes amis, ma famille… Je compte redonner à ce quartier d’une façon ou d’une autre, pour aider.”
Avec la J Dilla Foundation, il a déjà offert 10 000 euros en instruments de musique et matériel d’enregistrement à son ancien lycée. La fondation l’a remercié en lui léguant des inédits du défunt génie : “On m’a envoyé un fichier avec quarante beats, et j’ai eu le droit d’en choisir deux. J’étais comme un gosse dans une confiserie géante qui doit faire un choix difficile. Mais bien sûr, je suis foutrement reconnaissant à la fondation pour ce privilège.” L’un des instrus de Dilla figure parmi les dix-sept plages du nouvel album, le titre Nigga Like Me, tissage néosoul avec BJ The Chicago Kid.
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Un gosse au verbe brûlant
B4.DA.$$ n’est pas juste un premier album prometteur, c’est un disque de rap de rue en béton armé. Son menu affiche des beats de Hit-Boy, Basquiat, Freddie Joachim, et quatre productions de son “parrain” Statik Selektah. Le reste du disque est ciselé par les jeunes beatmakers de son propre crew, The Pro Era. Mention spéciale à Kirk Knight pour le piano déglingué qui clopine sur Hazeus View. L’electro le tente aussi : fan de LCD Soundsystem et de Daft Punk, il a demandé une production aux Anglais de Disclosure, sans pleinement s’en satisfaire.
“Ils m’ont balancé un beat, mais ce n’était pas le bon pour moi. Je ne suis pas du genre à forcer les choses. J’adore leur musique et je sais ce que j’attends de leurs beats. Si le feeling n’y est pas, je le laisse passer et j’attends le prochain, pas de problème.”
Il dompte quand même un déluge drum’n’bass, presque jungle, sur Escape 120 – où brille la future star Raury. Mais outre des apparitions d’Action Bronson et du crooner jamaïquain Chronixx, c’est bien le charisme vocal du jeune cracheur de feu qui embrase ce disque. Bada$$ a le flow et l’attitude, le verbe brûlant et le swing vicieux.
Il vous arrache l’oreille avec les dents comme Tyson sur No.99. Même sur l’instru planant de Save the Children, révérence céleste à Marvin Gaye, son flow ramène l’ambiance au ras du bitume pendant les couplets. DJ Premier signe l’un des meilleurs morceaux, le break épuré de Paper Trail$, un futur classique. “On s’apprécie en studio et en dehors avec Premier. J’utilise parfois son studio pour mes propres enregistrements. Il n’est jamais très loin, on s’appelle.”
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Ce serait un doux euphémisme d’affirmer que sa vie a changé depuis trois ans. Outre son amitié naissante avec DJ Premier, Q-Tip ou Statik Selektah, il a récemment été intronisé parmi les membres de la Zulu Nation, le même jour que Nas et Freddie Gibbs. On comprend pourquoi il postait sur Instagram en octobre dernier : “J’en oublierais presque que je n’ai que 19 ans…” Il confirme en interview :
“Chaque instant est du pur plaisir. Etre loin de chez moi, voyager, monter sur scène et foutre le bordel avec mes gars dans des endroits dont j’ignorais même l’existence… Je m’éclate, je suis loin de m’y être habitué.”
Joey Bada$$ n’est pas seulement une jeune star egotripée s’élevant dans le ciel avec les bras en croix dans le clip de Christ Conscious, il demeure toujours cet adolescent insouciant qui embarque sa planche de skate dans le bus de tournée. Lors des concerts de Pro Era l’an dernier, son crew mitraillait le public avec d’énormes pistolets à eau, avant de plonger dans la foule sur des matelas de piscine. B4.DA.$$ sortira le 20 janvier, le jour de ses 20 ans.
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