Les talentueux Jean-Quentin Châtelain et Christine Fersen tiennent à bout de bras le Coriolan de Shakespeare.
Une eau-forte. Voilà ce que fait Joël Jouanneau de Coriolan, en précipitant le drame shakespearien dans une action réduite à l’essentiel : la confrontation triangulaire entre la mère patrie, le fils héros et le peuple à ce moment clé de la naissance de la République et de la démocratie, 2 500 ans en arrière, entre mythe et réalité.
Joël Jouanneau ne dévoile l’écheveau de l’intrigue que pour mieux mettre à nu et débusquer le parcours d’un homme seul dont l’ombre est encombrée, en permanence, par la volonté maternelle. La mère ou la patrie incarnée. Coriolan est un guerrier : toute son énergie, sa concentration et sa puissance s’incarnent dans la bataille. Jean-Quentin Châtelain use de ses accents traînants, de sa diction louvoyante et de sa stature pour mieux ferrer le personnage : un homme absolument rétif à l’éloquence politique, au jeu des compromis, à l’art des stratégies. Un homme d’action. Un tyran, a-t-on coutume de dire. Jan Kott, dans Shakespeare notre contemporain, nuance ce point de vue : « Coriolan possède une sombre grandeur, et l’histoire l’écrase. Mais l’histoire qui le brise n’est plus celle des rois. C’est l’histoire d’une ville divisée en plèbe et en patriciens. C’est l’histoire de la lutte des classes… »
Résumons. Coriolan, guerrier vainqueur des Volsques, n’aime pas le peuple, cet « éternel insatisfait qui gémit en temps de guerre et se lamente en temps de paix » et refuse l’usage qui veut « lui voir montrer ses blessures et demander ses voix au peuple et à ses tribuns » pour être nommé consul au sénat. La République balbutie : le sénat aristocratique soutient le peuple et condamne Coriolan à l’exil. Il va directement chez son ennemi et s’allie avec lui pour reprendre Rome. Sa mère vient parlementer avec lui, s’épuise à le convaincre de lever son siège sur Rome. Coriolan oppose son silence puis lui tend son épée. Elle lui tranche la tête. Si le peuple est joué avec une agaçante mollesse par trois acteurs censés aiguiser leurs revendications sur le sol craquelé d’une terre qui les affame, en revanche, toute la retenue de Christine Fersen dans la première partie du spectacle, alors peu crédible dans le rôle terrible de cette mère castratrice, explose dans ce tournoiement du corps, l’arme dressée, à peine marqué de l’empreinte d’une pensée d’une hésitation ? , sur lequel descend le rideau final.
Une déflagration de folie pour rétablir l’ordre dans la cité, punir celui qui a trahi sa patrie. Coriolan se compare lui-même au peuple : « Je suis comme lui, incapable de plaire. » Tout le talent de Jean-Quentin Châtelain est là, dégaine décalée, voix au débit modulé, comme étranger, indifférent à ce qui lui arrive. Dommage que la mise en scène sabre à ce point dans les méandres du drame de Shakespeare, au risque de faire passer Coriolan pour un être obtus quand il s’avère que le héros est, dans ce cas précis, celui qui renonce à sa liberté. Banni, il aura ce mot sublime : « There is a world elsewhere. » Il est un monde ailleurs… On essaiera de se le rappeler.
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