Le directeur de la musique de France Inter, transfuge de l’industrie musicale en poste depuis octobre dernier, s’exprime enfin sur son programme. Il parle de PNL et de Facebook, du retour du rock et, plus largement, d’une « revendication musicale plus affirmée » de la station à la rentrée.
Fin de la saison 1 pour Jocelyn Perrotin, le « nouveau » directeur de la musique de France Inter. Successeur de Didier Varrod depuis le mois d’octobre 2016, muet dans les médias depuis, il s’exprime juste avant de se lancer, à la rentrée, dans une deuxième saison sous le signe du changement. « La musique va être un vrai vecteur de communication pour France Inter, nous dit-il dans son bureau de la Maison de la radio. Il y aura une revendication musicale encore plus affirmée à partir de septembre. » Nouvelles émissions, nouvelles chroniques, davantage de vidéo, présence accrue sur les réseaux sociaux : le programme n’est pas encore bouclé, mais les idées sont en place.
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Ce mercredi 21 juin, France Inter investit également l’Olympia pour la Fête de la musique. On y retrouvera Fishbach, Gaël Faye, Juliette Armanet, Oumou Sangaré, le projet Lamomali de M, The Charlatans ou encore Kiddy Smile pour 6h de live présenté en public par Michka Assayas, Rebecca Manzoni et… Didier Varrod, tout bonnement retourné à l’antenne suite à sa décision, après quatre années en poste, de quitter la direction de la musique de France Inter.
Cette soirée à l’Olympia se veut à l’image de la ligne éditoriale que Jocelyn Perrotin a insufflé, ces derniers mois, avec la confiance affichée de Laurence Bloch, la directrice de France Inter depuis 2014. A travers cette ligne, il veut « lutter contre certaines idées reçues à propos de France Inter » et ainsi « intéresser une autre génération ». « On fait une radio pour les auditeurs, dit-il. Ici, je ne suis pas dans ma chambre. J’ai toujours ça en tête. »
Jocelyn Perrotin a fait toute sa carrière dans l’industrie musicale. Passé par BMG puis Sony en tant qu’attaché de presse spécialisé radio, il évoluera surtout chez Barclay, label du groupe Universal, où il a passé les vingt dernières années pour terminer directeur marketing. A 48 ans, il récupère un poste occupé par un producteur-journaliste ayant marqué la transition générationnelle, Didier Varrod ayant succédé à un Bernard Chérèze resté 14 ans à la tête de la musique de France Inter. Une maison qui, à l’heure du rap et des réseaux sociaux, « doit vivre avec son temps », nous dit Jocelyn Perrotin dans cet entretien.
Vous êtes en poste depuis octobre dernier, mais vous ne prenez la parole que maintenant.
Jocelyn Perrotin – C’était volontaire, au grand dam du service de presse de France Inter! Je voulais faire les choses dans l’ordre, appréhender un peu le poste, réfléchir à ce qu’on allait pouvoir mettre en œuvre, avoir une base pour parler de choses concrètes, plutôt que de parler tout de suite pour présenter mon plan… Un plan qui existait, évidemment. Je l’ai présenté à Laurence Bloch quand elle m’a proposé le poste.
Etant auditeur de France Inter et ayant travaillé dans le disque pendant longtemps, notamment chez Barclay, dont le catalogue est très proche de l’ADN de France Inter, j’avais des idées pour le développement de la musique sur la station. Chez Barclay, j’avais eu l’occasion de travailler avec Bernard Chérèze et Didier Varrod. On a fait énormément d’événements, de partenariats, etc. Mais je découvre un métier! On se fait des idées quand on est à l’extérieur, et puis après, il y a la réalité du poste.
Alors, quel est ce plan?
J’ai gardé les mêmes catégories. J’ai gardé le même nombre de titres en playlist. En revanche, sur la couleur de l’antenne, j’ai voulu accentuer deux courants musicaux. Le premier, c’est le rock. Ayant grandi avec Bernard Lenoir, je pense qu’il fallait que cette radio retrouve un peu cette tonalité. Sur les derniers mois, en partenariat, j’ai pris The xx, Gorillaz, Arcade Fire… En concert, par exemple, on a fait Divine Comedy. Voilà pour illustrer cette galaxie, qu’on a également accentuée en termes de playlist.
L’autre axe, pour moi, c’est la musique du monde. Une chaine comme Inter, si on reprend des termes génériques, appuie pas mal sur le « vivre ensemble ». La musique du monde fait partie de ça. C’est infiniment plus politique de passer des musiques venant du monde entier que de donner la parole à certains artistes qui, grosso modo, vont nous faire la leçon. C’est pour ça que j’ai tendance à dire que ma politique, je la place entre Bernard Chérèze et Didier Varrod. Bernard avait ce prisme de la musique du monde, Didier un peu moins.
Comment s’est passée la transition avec Didier Varrod?
Très bien. J’ai beaucoup de chance de lui succéder : pendant 4 ans, Didier a fait infuser la musique sur l’ensemble de la grille, ce qui n’était pas le cas avant qu’il arrive. Il m’a donné cet héritage en faisant en sorte que tout se passe au mieux. Je crois que ça avait été plus compliqué avec son prédécesseur. D’ailleurs, quand Laurence est venue me chercher, elle l’a fait en discutant avec Didier. L’accueil a été très chaleureux. Quant aux producteurs, au début, ils se demandaient ce que j’allais pouvoir leur apporter. Mais on est en train de trouver des logiques de travail. Je suis arrivé de façon assez humble, en posant des questions. A partir de là, les choses se sont faites assez naturellement.
Didier Varrod est parti volontairement, estimant avoir rempli son rôle. Y a-t-il une continuité logique, du coup, plutôt qu’un réel changement de stratégie?
Il m’a transmis le sens de la mission qu’il y a sur ce poste. Il avait envie que perdure ce qu’il a construit. Mais il nous arrive encore aujourd’hui de discuter, et de ne pas être d’accord! J’ai ma sensibilité et mes convictions, je ne suis pas Didier Varrod, donc il y a forcément des différences. Mais c’est bien. Ça vit. Je ne veux pas parler à sa place mais je crois qu’il est assez content de ce qui se passe. Il voulait vraiment retourner à l’antenne.
La musique française a toujours semblé être une priorité pour lui.
On a toujours des engagements de quotas à respecter, autant sur les productions françaises que sur les nouveautés. On continue de porter la jeune scène française. On le voit sur la programmation de notre Fête de la musique à l’Olympia. Cette scène est très représentée. Juliette Armanet est un partenariat que j’ai pris, et Fishbach est vraiment portée par Inter. Gaël Faye aussi, on le suit depuis longtemps. On est également présents sur le côté patrimonial. On a fait un concert avec Jane Birkin et l’Orchestre de Radio France, par exemple. On était aussi partenaires de l’album en hommage à Gainsbourg. On va également accompagner le nouvel album de Bernard Lavilliers , etc.
La petite nouveauté, ce sont les contenus exclusifs. Par rapport à la concurrence – et quand je parle de concurrence, ce sont autant les radios que tout ce qui se passe sur le digital -, on est les premiers à offrir la découverte de certains albums qu’on porte. Pour Biolay, par exemple, on a fait une journée spéciale durant laquelle on faisait découvrir en exclusivité son nouvel album, autant à l’antenne que sur le site de France Inter et les réseaux sociaux.
En arrivant à la tête de France Inter, Laurence Bloch avait estimé que Didier Varrod était peut-être allé trop loin dans la mise en avant de jeunes talents. Y a-t-il eu des directives de ce genre?
Il n’y a pas eu de directives. Laurence Bloch me fait entièrement confiance sur la ligne éditoriale que je mène. C’est aussi notre vocation de développer des artistes français. J’y tiens. En revanche, je suis allé un peu plus loin sur le hip-hop. On ne peut pas réduire le hip-hop aux artistes ayant une approche « littéraire ». Le hip-hop, c’est 35 ans d’histoire en France et ça ne peut pas se résumer à deux ou trois artistes. Il y a 60 émissions sur France Inter et, clairement, certains espaces ne sont pas faits pour le hip-hop. Mais j’ai fait rentrer quelques artistes par dose homéopathique. Je pense qu’il n’y aurait pas eu Damso sur France Inter il y a deux ans, par exemple.
Le nom qui a fait jurisprudence – et il y a eu débat -, c’est PNL. Quand on voit leurs résultats, on se rend compte qu’il y a beaucoup de streaming, de téléchargement, mais aussi de ventes physiques. Il y a donc un phénomène de société derrière PNL. Est-ce qu’on peut passer à côté de ça quand on est un média? Je suis allé en parler avec les producteurs un par un. On doit être un relai sur ces choses-là. France Inter doit vivre avec son temps.
Sur la question du numérique, notamment?
Didier n’y pouvait rien à l’époque, mais le digital n’était pas encore une priorité pour la maison. J’ai beaucoup souffert, de l’extérieur, de n’y retrouver aucune information sur la musique. Quand je suis arrivé, je suis tout de suite allé voir Christophe Israël, le responsable du pôle digital chez Inter, et on a commencé à réfléchir. Il fallait proposer une offre purement marketing d’un côté – échanges de bannières pour l’industrie musicale, habillage de site, push sur Facebook, etc. – mais aussi une offre éditoriale de l’autre. On est une radio, il faut donc d’abord penser à l’antenne, et ensuite réfléchir à l’extension sur le digital. Par exemple : transformer les contenus musicaux en capsules pour les faire rayonner sur nos réseaux. Le site de France Inter, c’est 13 millions de VU par mois, et la page Facebook, c’est 1 million de personnes. C’est un vrai levier pour la musique.
Vivre avec son temps, pour France Inter, c’est également aller chercher un profil comme le votre? Vous venez de l’industrie musicale, pas du journalisme.
Il faudrait demander à Laurence! Mais je pense qu’il y avait la volonté d’un regard extérieur. Ça me parait assez évident. Prendre quelqu’un qui n’est pas du sérail, ça apporte du sang neuf, un nouveau souffle.
Une efficacité nouvelle sur la partie « business » du poste, aussi?
L’efficacité, je ne sais pas. Après, forcément, j’apporte ma culture et un certain savoir-faire, que j’essaye d’adapter à un média comme France Inter. Mais ça reste très différent. Je suis peut-être plus rapide, parfois, car je sais ce que peut apporter une maison de disque. Je connais les rouages, je sais comment demander les choses pour que tout le monde soit gagnant.
Vous bossez avec des journalistes pour la première fois…
Je suis désormais, en effet, dans un rapport inversé à l’industrie du disque! Mais je n’ai pas du tout ça en tête. Mon objectif, c’est développer la musique sur France Inter. Pour le reste, mon rapport au journalisme, c’est une appétence personnelle. Je me suis toujours beaucoup informé. Je suis assez « papier-vore ». Les Inrocks, par exemple, ils m’accompagnent depuis de très nombreuses années. J’ai baigné là-dedans. Je n’ai aucune défiance par rapport aux journalistes. Au contraire, on travaille tous ensemble. Ma mission va dans ce sens.
Quelles sont les difficultés du poste pour l’instant?
Ma première difficulté, c’est d’être boulimique de travail! J’ai lancé beaucoup de chantiers, donc il faut doser, équilibrer, marquer des priorités… Il y a beaucoup de bonnes volontés mais les choses mettent parfois du temps à se faire, c’est une réalité. Il faut être pédagogique. Quand on offre une telle visibilité à The xx ou Arcade Fire, ça bouge un peu les lignes de la maison. Il faut expliquer ce que ça représente et pourquoi on le fait.
Didier Varrod est resté 4 ans à ce poste, Bernard Chérèze presque 15 ans… Et vous, combien de temps vous imaginez y rester?
C’est une expérience. Je suis dans un contexte de mission. Combien de temps elle durera? Je n’en sais rien. Je n’ai pas de plan de carrière. Il y a deux ans, on m’aurait dit que je serai à France Inter à l’heure actuelle, je ne l’aurais pas cru. Quand on me l’a proposé, j’ai été flatté mais surtout, ça m’a surpris. Il a fallu réfléchir à ce que j’étais capable d’apporter. Quand je suis arrivé chez Barclay, pareil, je n’aurais jamais imaginé gravir les échelons et co-diriger le label un jour… On verra bien où tout ça me mène. J’ai toujours fonctionné comme ça. Le challenge m’intéresse. C’est grisant. Epuisant, mais grisant.
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