Deux expositions dévoilent les photographies furieusement minimalistes et désopilantes de Joachim Mogarra.
Joachim Mogarra a 44 ans et n’a rien perdu de l’humour pas si potache de l’étudiant qu’il était aux beaux-arts de Montpellier. Il n’a même pas le sourire amer à l’évocation de ses débuts : « Quand j’étais étudiant, il fallait que j’explique pourquoi mes photos étaient de l’art alors que pour le premier barbouilleur venu, le problème ne se posait pas. » C’est sûr que monter un storyboard avec des baskets en rôle-titre, renverser une tasse à café en la baptisant Mont-Blanc ou planter une feuille de chêne dans un Danone a de quoi déconcerter un public qui ne jure que par la peinture.
« L’intérêt de l’art, c’est qu’il parle de choses essentielles. » C’est donc avec cette affirmation-valise que l’on aborde ses photos. La chose est moins facile qu’il n’y paraît : le bougre est bavard, voire filandreux, son foisonnement intérieur aussi déconcertant que ses photos sont minimales. Sans compter qu’on pourrait croire qu’il flirte insolemment avec un certain dilettantisme : « Je suis rentré aux beaux-arts comme j’aurais fait autre chose, je ne foutais rien depuis des années, j’adorais l’écriture. »
Les deux expositions qui lui sont consacrées, dont une rétrospective, remettent les pendules à l’heure quant à la profondeur de l’art de Mogarra, photographe fasciné par le monde l’un n’allant pas sans l’autre : « Si l’on choisit la photo, il est évident qu’on a envie de parler des autres, c’est un regard tourné vers le monde. La photo n’existe pas sans modèle et l’art m’intéresse parce qu’il parle d’un modèle. Pas quelque chose à imiter mais quelque chose qui est là, de préexistant. Tout mon travail porte sur la relation entre ce modèle et la façon d’en parler. » Ses voyages se font le plus souvent en direct de sa cuisine, à Montpellier, où il élabore des petites mises en scène destinées à être photographiées : vues de l’Everest repiquées dans les manuels scolaires, pomme de terre sculptée au cutter, char d’assaut en boîte de sardines. La matérialité l’ennuie et les problèmes d’ordre technique ne sont surtout pas son affaire. D’où son faible goût pour les installations, les accrochages. Le minimum de moyens pour le maximum d’effets. « J’essaie de voir jusqu’où ça peut tenir, sinon ce n’est pas intéressant. »
Le visiteur pourra mesurer jusqu’à quel point son art tient effectivement la route : des séries de photos des années 80 où il se met lui-même en scène, jusqu’aux récents aphorismes, en passant par des clins d’oeil aux artistes chéris (Sweet Mario Merz), les Demoiselles d’Avignon revisitées par Popeye, les Images du monde (quatre bouquins retournés en toiles de tente font office de camping de la plage), ou encore les Paysages se résumant souvent à un cactus solitaire shooté sur un lino des plus communs.
Mogarra pratique l’humour comme d’autres font de la remise en forme, au quotidien et dans la durée. Et le flâneur de découvrir que cet humour passe par le verbe, qui guide ou perd le visiteur selon que l’image s’accorde au texte ou le détourne. « Depuis le début, je veux faire coïncider ou décaler l’objet d’art de son modèle. » Le texte se taille d’ailleurs la part belle dans ses travaux récents une salle entière leur est consacrée, à travers la série des Aphorismes où Mogarra se fait plus intime, « en disant les choses qui me turlupinent, en mettant à plat ce qui me pose problème. Les questions de mise en scène n’existent plus ici, c’est plutôt de sens qu’il s’agit. » Sens qui va du rôle de l’artiste aux fantasmes plus personnels.
Frénétique du verbe et grand amateur de course à pied, ayant nature et culture pour compagnons de route, Mogarra est un labyrinthe à lui tout seul. Son rêve le plus doux serait d’aller un jour dans le Montana, « parce que c’est l’endroit où vivent les trappeurs et les écrivains, et que la plus grande plume se permet d’écrire dans des revues de pêche sans être taxée de ringard intégral ».
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