Dans un troisième album pour lequel elle s’est confrontée à l’enregistrement en studio, Jessica Pratt charrie sa voix singulière et porte haut ses douces mélodies.
Tuez la religion, le sacerdoce demeurera. Des pionniers de la Carter Family, nichés dans les Appalaches, aux saillies loufoques et subversives des Moldy Peaches au début des années 2000, du revival contestataire des clochards célestes de Greenwich Village au mitan des sixties contre-culturelles, aux enregistrements grandioses de Fleet Foxes, le folk, genre musical racé par excellence, a pris bien des formes, au point que toute tentative de définition univoque risquerait de nous faire passer à côté des merveilles qui hantent ses marges.
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Une artiste inclassable
Jessica Pratt ne dirait d’ailleurs pas que sa musique est folk ; l’auteure-compositrice américaine brouille plutôt les pistes et déconcerte. Par son allure déjà. Elle vit sous le soleil californien, mais tout chez elle nous ramène au Southern Gothic et ses fantômes : sa tunique noire, ses yeux, mystérieux, cernés par un trait de maquillage qu’elle porte comme un talisman, sa prestance quand elle se tient debout devant nous, dans une posture qui rappelle celle de Karen Elson sur la pochette de l’album The Ghost Who Walks. Par sa musique ensuite, difficile à classer. Elle évoque un coup l’époque Laurel Canyon de Joni Mitchell, une autre fois la Old, Weird America, théorisée par ce bon vieux Greil Marcus, lorsque l’essayiste tente de mettre un nom sur les vieux enregistrements folk des années 1920. C’est peut-être aussi le son chaud de sa guitare classique qui interpelle, le pincement du nylon ou le souffle bourdonnant qui traverse le disque comme le diamant sur le vinyle.
Utiliser les bons outils
Pour la première fois pourtant, Jessica enregistre dans un vrai studio, ses deux albums précédents, Jessica Pratt et On Your Own Love Again, ayant été conçus dans une chambre. Pas une raison pour faire des infidélités à son approche analogique de la création, elle qui a une peur panique des artifices qui pourraient venir altérer sa musique : “L’environnement n’est pas mon influence la plus directe, je dirais que c’est plutôt le confort. J’étais préoccupée par l’idée que trop de temps ne sépare l’écriture de l’enregistrement ; avant, j’écrivais et j’enregistrais mes chansons dans la même pièce, c’était quelque chose d’intime et d’immédiat. J’ai appris à prendre le temps qu’il faut pour utiliser les bons outils et reproduire cette intimité ailleurs.”
Quiet Signs forme un tout
Quiet Signs a donc été écrit à Los Angeles et enregistré à New York, chamboulant ainsi une méthode d’écriture qui joue d’abord sur les formes et les murmures : “Je joue et je chante en même temps, c’est comme cela que la structure apparaît. La mélodie, le son des mots, tout cela arrive d’un coup. Il peut arriver qu’une phrase concrète fasse son apparition. Une fois que j’ai la forme de la chanson, j’ai juste à y revenir et à découvrir si les mots sont appropriés au feeling du moment”, confie-t-elle. Ces deux premiers albums ressemblaient à des recueils, Quiet Signs forme un tout qui s’égrène des premières notes de piano jouées par Matt McDermott, son compagnon– sur un instrumental donnant le ton, et qui ne devait être joué qu’en live à l’origine –, pour se poursuivre tout au long d’un disque au mysticisme intemporel. Son sacerdoce à elle.
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