Woodkid nous raconte l’histoire de ce live exceptionnel, enregistré en 2016 lors des 50 ans du Montreux Jazz Festival. « Central Park », extrait inédit de ce show en duo avec Son Lux, sera diffusé ce soir lors de l’émission Foule Sentimentale sur France Inter.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comment est né ce projet pharaonique de concert au Montreux Jazz Festival 2016, que tu diffuses en partie sur YouTube ?
Woodkid – J’ai une histoire avec Montreux, c’était la quatrième fois que j’y jouais. La première année, en 2012, le président du festival (Claude Nobs) , avec qui on avait lié des liens assez forts, m’avait dit que nous serions à nouveau invités l’année suivante, avec l’orchestre symphonique de Lausanne. On avait commencé à travailler sur ce projet quand il est décédé, et son successeur Mathieu Jaton a maintenu le concert, nous étions alors déjà trente-cinq sur scène. En 2014, j’ai signé l’affiche du festival où j’ai donné une concert surprise. Ils sont revenus vers moi en 2016 pour les cinquante ans du festival, en me confiant les moyens de réaliser le concert spécial de cette édition. J’ai décidé de monter un concert moins tourné autour de moi, mais autour d’invités, d’un orchestre. Je voulais faire un truc incroyable, rappeler que Montreux était plus qu’un festival de jazz. J’ai alors appelé tous mes amis, la plupart ont répondu présent. On a eu quatre mois pour tout monter, avec un support incroyable du festival.
Tu es intervenu au quotidien sur ce projet ?
J’avais tellement de travail sur la musique que pour une fois, j’ai délégué la scénographie à mon ami canadien Willo Perron, qui fait la mise en scène des concerts de Kanye, Jay-Z, Rihanna… Nous avons collaboré, je voulais un show beaucoup moins noir que le précédent. J’avais envie de blanc, de sortir du métallique. L’idée, c’était de marquer le contraste entre le côté lumineux, romantique de ma musique et son aspect très dystopien. Je nous imaginais sous un dôme, en quarantaine, après la fin du monde, sur une autre planète…
D’où viennent ces voix d’enfants au début d‘Iron ?
Le concert a débuté par une collaboration avec la Nasa. Ces samples viennent des enregistrements chargés à bord de Pioneer 1, la sonde envoyée dans l’espace, qui est désormais sortie du système solaire. Ils ont enregistré des voix d’enfants dans toutes les langues, qui envoient le bonjour des terriens. Comme j’avais l’envie de travailler avec un chœur d’enfants, ces enregistrements ont trouvé leur place. C’était comme un petit rappel à l’ordre en matière d’écologie…
Tu ressens quoi quand le rideau s’ouvre après quatre mois de montage ?
Beaucoup de stress. Pour la première fois, je suis au milieu de la scène lorsque le rideau s’ouvre, le nez littéralement dedans par manque d’espace. En une demie-seconde, je me suis retrouvé avec 5 ou 6 000 personnes devant moi. C’est ce qui rend un tel projet excitant mais aussi frustrant : la certitude qu’il ne sera joué qu’un seul soir. Ça faisait plus d’un an que je n’avais pas fait de scène et j’étais rassuré que le public soit là, qu’il soit touché… J’ai décidé il y a très longtemps de ne jamais cacher mon excitation ou mon entrain lors des concerts. Il y a bien sûr des moments où je dois jouer un personnage, mais je préfère me laisser porter. Moi qui a tendance à être un pleureur, j’ai réussi à ne pas chialer pendant ce concert, j’en suis assez fier. Je ne voulais pas kidnapper les gens avec mes émotions, laisser la place aux invités. J’étais plutôt content, heureux.
Comment l’actrice Elle Fanning se retrouve-t-elle sur scène ?
Je la connais depuis longtemps, je l’ai dirigée en tant que réalisateur. On est devenus amis et parfois, je l’entendais chanter, bien en plus. Comme on manquait de présence féminine, j’ai lancé le pari fou de la faire chanter. C’était pour tester son courage et elle a relevé le défi sans soucis, c’était la première fois qu’elle montait sur scène, qu’elle travaillait en public. On était comme deux gamins. J’aimerais beaucoup la pousser dans cette direction, elle a un charme fou et elle chante très bien.
Comment s’est passée la rencontre avec Grizzly Bear ?
Leur chanteur Ed Droste est un ami, avec qui j’adore faire de la musique. Nous étions en studio en train de bricoler quand je lui ai proposé de venir à Montreux, il a accepté immédiatement et on a adapté très vite deux de mes chansons. Sa voix est très aiguë, elle marche bien avec la mienne. On s’est ensuite tous retrouvés en Suisse une semaine avant le concert pour tout caler musicalement, entre l’orchestre et les répétitions individuelles. Tout s’est accéléré sur les trois derniers jours.
La collaboration la plus impressionnante est peut-être celle avec l’Américain Ryan Lott, de Son Lux.
On est très proches avec Ryan, on parle exactement le même langage musical, ça a été la collaboration la plus fluide. On partage la même passion pour l’image et on est l’un et l’autre des nerds. Du coup, quand on parle musique, on utilise un champs lexical très visuel. Souvent, quand j’utilise ces images et métaphores en studio, on ne me comprend pas. Avec Ryan, on se calcule immédiatement. J’aimerais que l’inédit que nous avons joué ce soir-là, Central Park, le demeure. Il a été assemblé pour ce concert précis, pour le festival de Montreux, à partir d’un poème très aigre-doux de l’Américain Frederick Seidel… Dans notre monde de dématérialisation de la musique, j’aime garder quelques titres uniquement pour le live, le privilégier devant tout. J’ai des titres comme Go ou Volcano qui n’existent que sur scène.
Le moment où arrivent finalement les vieux complices des Shoes, c’est un moment rassurant ?
Oui. On joue une de leurs chansons avec laquelle j’ai une histoire, Wastin’ Time, dont j’avais fait le clip. A l’origine, elle était chantée par l’Anglais Esser. J’aime le côté très joyeux, sans cynisme de cette chanson. Avec la chorale d’enfants, ça s’est transformé en célébration, je me suis même autorisé à danser comme un cake (rires)…
Dans quel état es-tu après le concert ?
Je suis très occupé. Ma mère est là, mon père aussi et comme ils ne se retrouvent que très rarement sous le même toit, il m’a fallu gérer les deux. Je me sentais soulagé et en même temps, déçu que ça soit déjà fini. Il y avait beaucoup d’émotions : ça s’est passé le lendemain de l’attaque terroriste à Nice, il y avait une chape de plomb avant et après le concert. Le concert était dédié aux victimes.
Pourquoi le diffuser sur YouTube ?
Parce que je ne suis pas fan des DVD live. Je ne vois pas pourquoi le public repayerait pour revoir un concert. Il nous a fallu presque un an pour le mixer et le monter, je n’avais pas envie de répondre à un diktat d’instantanéité : pendant un an, les spectateurs ont pu s’approprier ce concert, vivre avec, je ne voulais pas trahir ceux qui ont fait l’effort de venir, de payer leur billet.
Tu comptes revenir à la musique un jour ?
Je travaille beaucoup sur de l’image. Je suis encore et toujours en train d’essayer d’écrire un projet de long-métrage. Mais même si j’essaye de me concentrer sur ma carrière de réalisateur, je passe un peu de temps en studio. Je suis dans une période d’un an, deux ans, trois ans de recherche. Après une expérience aussi étonnante que celle que j’ai vécue, pour laquelle je n’étais pas prêt, j’ai besoin de temps pour avoir à nouveau des choses à dire. Après le premier album The Golden Age (2013), j’ai passé quatre ans en tournée. Et puis j’ai été très déstabilisé par mon retour en France, les attentats, j’ai besoin de comprendre comment faire des choses utiles, sans tomber dans la mièvrerie. C’est ma période de recherche de sens.
{"type":"Banniere-Basse"}