A l’occasion de cette Journée internationale des droits des femmes, nous avons réuni Sônge, Pi Ja Ma et Corine, trois musiciennes françaises programmées aux “Femmes s’en mêlent”, ainsi que le programmateur de ce festival 100% féminin, qui s’avère être un homme : Stéphane Amiel. Entretien croisé.
Ces trois artistes qui naviguent sur le vaste territoire de la pop française (mais anglophile) sont auteures de premiers ep : Radio Girl pour Pi Ja Ma, sorti en 2016. Sônge pour Sônge lâché le 20 janvier, et Fille de ta région pour Corine balancé fin 2016. Toutes les photographies sont de Renaud Monfourny.
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Le fait d’être des femmes vous habite-t-il au quotidien ?
Pi Ja Ma : Je me rends de plus en plus compte que quand on est une fille on n’est pas un garçon. J’ai l’impression d’avoir été aveuglée jusqu’à mes 20 ans. Surtout qu’en ce moment, il se passe plein de choses sur les questions de féminisme. On partage des expériences sur les réseaux sociaux, on découvre des phénomènes. Je me suis rendu compte qu’être une jeune fille c’était plus compliqué qu’être un garçon. Il faut parfois supporter des blagues reloues, il faut montrer qu’on n’est pas juste là pour faire joli, qu’on a des choses à dire. C’est un combat quotidien pour ne pas tomber dans ces cases qu’on a soigneusement creusées pour nous. Certaines filles s’y mettent sans s’en rendre compte parce que c’est ce qu’on attend d’elles. Je l’ai fait aussi plus jeune. En venant à cette interview, sur le chemin, un mec m’a abordé en me disant « hey salut bébé ! » Or je ne m’appelle pas bébé.
Tu as répondu quoi ?
Pi Ja Ma : A Avignon d’où je viens, j’avais l’habitude de répondre par l’insulte. Mais ici ça ne passe pas, alors je baisse les yeux. C’est une forme d’humiliation. Parfois, quand j’ai le courage, je demande à la personne pourquoi elle fait ça.
Le milieu musical est-il particulièrement sexiste ?
Sônge : J’ai l’impression qu’il faut faire attention, aussi, à ne pas stigmatiser un milieu, au risque d’exacerber une réalité. Je ne me sens pas fille en premier lieu. Je fais de la musique mais pas spécialement en tant que femme. Bien sûr que le sexisme est présent et que je me sens concernée, mais je n’aime pas la victimisation des femmes en mode « Oh, les pauvres, il faut les aider ! » Nous ne sommes pas plus faibles que les hommes.
Corine : J’écris tous les textes et mélodies du projet Corine, que je bosse avec deux garçons. C’est un vrai pied de nez à tout ce qu’on peut vivre dans l’industrie musicale. Le clip de Pourquoi pourquoi met en scène une féminité très affirmée, outrancière mais de façon humoristique, décalée, un peu comme ce que fait Philippe Katerine. C’est aussi un hommage au cinéma de la Nouvelle Vague, à Bardot, voire à Marilyn Monroe, des femmes qui ont été très admirées et très critiquées parce qu’on les supposait stupides. J’ai aussi pensé à Jane Fonda, Bonnie Tyler, des femmes sexy et fortes. Le nom de Corine est une référence aux années 80. C’était le surnom de la cocaïne à cette époque, et un prénom très utilisé. C’était drôle.
Pi Ja Ma : J’ai filmé tout le clip de Radio Girl à l’aide du Photobooth de mon ordinateur. Je me suis éclatée à faire exactement ce que je voulais. Comme je ne fais que chanter dans le groupe et me produire sur scène, c’est important pour moi de développer cette partie visuelle. S’il n’y avait pas eu ces dessins, ces clips dans la musique, je n’en aurais pas fait, je pense. Mon moment préféré du concert c’est peut-être quand je dessine sur les vinyles pour les dédicacer ! J’aimerais à terme construire un spectacle visuel. Pour un concert à Londres, j’avais dessiné dans le train 100 dessins originaux différents que j’ai distribués à la fin du show. C’était cool.
Avez-vous eu peur à un moment de vous retrouver prisonnières d’une image de chanteuse sexy ?
Pi Ja Ma : J’ai choisi ce nom de scène car le pyjama est l’anti-tenue de soirée. C’est une façon de prendre le contre-pied de ce cliché de chanteuse sexy et glamour. Je voulais être moi, naturelle. J’aime bien montrer aux filles qu’on n’est pas obligées d’être super bien apprêtées pour faire de la musique, pour monter sur scène. Il y a plein de femmes qui me suivent pour ça, qui m’expliquent que ça leur fait du bien de voir autre chose que des clichés stéréotypés concernant les femmes dans la musique. Et moi j’aime bien cette idée d’entraide, de former une communauté sur les réseaux sociaux.
Corine : Moi ça serait l’inverse ! Je m’habille avec des combi moulantes et des plateformes sur scène. C’est une féminité assumée. Après, c’est moi qui ai développé toute cette image et personne d’autre. Je suis en contrôle total. Ce n’est pas le réalisateur qui m’a demandé de me mettre en bikini pour le clip de Pourquoi pourquoi !
Sônge : Je me pose beaucoup de questions sur la féminité, sur ce que c’est. Peut-être que ça veut seulement dire s’assumer soi-même, talons ou non ! Avoir confiance en soi.
Comment as-tu commencé la musique Pi Ja Ma ?
Pi Ja Ma : A la base, il n’y avait rien de musical dans mon environnement. Je chantais pour mon plaisir. Un été, je n’ai pas trouvé de job et j’ai décidé de chanter dans la rue pendant le festival d’Avignon. Au début j’étais morte de trouille. Finalement, ça a plu aux gens et j’ai gagné de l’argent. Du coup, des copines m’ont inscrite à La Nouvelle Star pour rigoler. J’y suis allée, j’ai été sélectionnée et j’ai fini troisième ! C’était en 2014. J’avais 16 ans. C’est dans cette émission où j’ai eu pas mal de problèmes avec les clichés entourant la féminité. Les gens me maquillaient, m’habillaient, sans que j’aie mon mot à dire. Ils m’avaient imposé une image que j’avais acceptée, c’est sûr, mais je n’avais que 16 ans ! Je n’arrivais pas à leur dire non. Ils me mettaient des robes alors que je n’en mettais jamais. Quand j’en suis sortie j’avais associé musique et télé et je ne voulais donc plus en faire. Plus tard je me suis coupé les cheveux court et j’ai rencontré la personne avec qui j’ai créé Pi Ja Ma, un personnage à mon image, sans que personne ne me force à rien. La Nouvelle Star a été très traumatisante au niveau de mon image, de ma place de fille. C’est pour ça qu’aujourd’hui j’ai ce discours consistant à dire : « Ce n’est pas parce que tu n’as pas de rouge à lèvres que tu es moche ! »
L’émission était plus pesante pour les filles que pour les garçons ?
Pi Ja Ma : Oui, je crois. Quand les garçons sortaient de scène, on leur filait des cartes de visite de maisons de disque, on disait « ta prestation était super !« . Moi on me disait « t’étais trop jolie ! Allez, va te changer maintenant« . Je recevais des photos de bites, des numéros de téléphone. Ce genre d’émissions aime bien catégoriser les gens. Moi, j’étais la chanteuse de salle de bains. Du coup, ils m’avaient filmée en train de chanter avec ma brosse à dents alors que je ne fais pas du tout ça…
Sônge : Moi, il y a tout le temps des gens qui me demandent « mais qui compose tes chansons ? »
Corine : Moi j’ai aussi « A part ça, tu fais quoi dans la vie ? » Je suis sûre qu’on ne le demande pas à un garçon artiste. C’est mon métier en fait ! J’écris, je compose, je me produis ! Un jour, j’enregistrais une reprise en studio et je disais « j’avale » au sein d’une phrase qui n’était pas du tout sexuelle. Sauf que l’ingé son m’a demandé de répéter ce tout petit segment plusieurs fois. Il était mort de rire derrière la vitre. Franchement je trouvais ça nul. Au début t’apprends, t’es timide, tu dis rien. Mais maintenant je suis tranquille avec ce genre de choses. Je réagis si j’ai envie de réagir. Je réponds avec humour. Pour moi, c’est la meilleure des armes. Si tu réponds à quelqu’un de sexiste avec de l’humour, sans agressivité, ça le déstabilise.
Sônge et Corine, vous avez cité toutes les deux Björk comme artiste femme ayant marqué votre vie, pourquoi ?
Corine : Pour moi, c’est une des premières artistes à avoir débarqué avec un visuel très fort. Une maîtrise incroyable de ce qu’elle a envie de montrer, de donner, un truc anti-star système aussi. C’est la musique, l’art qui parle et qui prime ! Mais plus jeune, enfant, celle qui a éveillé en moi l’envie de me déguiser, de surjouer la femme, d’être créative, c’est Madonna ! Je me souviens de faire des chorés sur la terrasse de mes parents devant ses clips. Je la trouvais magnifique avec son bandana dans les cheveux.
Sônge : J’ai découvert Björk tardivement mais j’ai immédiatement adoré sa maîtrise, sa fougue, sa folie.
Paris vous inspire-t-il ?
Pi Ja Ma : Paris me stresse plus qu’autre chose. Je m’ennuyais à Avignon donc quand je suis arrivée j’ai trouvé qu’il y avait plein de choses à faire ! Mais finalement je trouve que tout est un peu faux. Quand je suis dans un parc au soleil j’ai l’impression que les gens font semblant de s’amuser, que tout est joué. Dans le Sud, tu peux ne rien faire, t’asseoir sur un banc et regarder les vieux passer. A Paris je me remets toujours en question, j’ai toujours l’impression qu’il faut faire 10 000 choses.
Corine : Moi c’est l’opposé, j’adore Paris ! Ça m’inspire beaucoup ! C’est une ville pleine de paradoxes, parfois étouffante mais avec une belle énergie. On me demande de venir jouer dans des endroits underground avec Jacques, Polo&Pan, que je ne soupçonnais pas. Des ambiances de fête incroyables. Il y a encore ça ! J’ai l’impression que dans tout moment de crise, plein d’artistes et de gens ont envie de faire des choses de façon différente, alternative, en sortant de la hype parisienne, même si elle existera toujours.
Stéphane, vous a-t-on déjà reproché d’être un programmateur masculin à la tête d’un festival consacré aux artistes femmes ?
Stéphane Amiel : Au début, on me traitait d’usurpateur, on me demandait de quoi je me mêlais, ce que je foutais là. Je me recevais des blagues du type « C’est un club de rencontres ? Tu fais ça pour draguer des filles ? » Ce que j’aime c’est qu’étant un homme, ça me raconte autre chose. Et je crois que les artistes, même des groupes très engagés, comme Le Tigre ou Lesbians on Ecstasy, le comprennent. Je défends une célébration de la créativité féminine dans la musique. Je montre des projets qui me semblent importants. Le festival montre que les femmes sont plurielles et peut donner envie aux jeunes générations de se mettre à la musique à leur tour !
Pi Ja Ma : J’ai l’impression que les hommes se permettent de prendre la parole sur des sujets qui ne les concernent pas forcément. Ce qui n’est pas toujours mauvais. Des copains me demandent parfois à quel moment la drague relève du harcèlement. Donc j’explique et ils comprennent et je trouve ça important parce que ce n’est pas une guerre. C’est une façon pour tous les êtres humains d’être bien. Il faudrait des cours, sûrement artistiques, dans les écoles où l’on explique aux enfants qu’ils peuvent être qui ils souhaitent. Car pour l’instant, il y a encore ce truc de bleu/rose, de chevalier/princesse.
Pourquoi consacrer un festival aux artistes féminines ?
Stéphane Amiel : Les Femmes s’en mêlent embrassent un panorama très divers d’artistes féminines, avec des styles, des attitudes variées, puisque j’aime autant la folk que le hip-hop que l’expérimental. Quand je regarde Corine, Sônge et Pi Ja Ma, je vois trois univers émergents très différents ! C’est un festival non dogmatique. Je ne dis pas ce que l’on doit dire ou penser. Je montre juste la diversité des femmes et des artistes.
Ce projet vous parait-il toujours pertinent vingt ans après sa création ?
Stéphane Amiel : J’ai voulu arrêter plein de fois le festival. Mais en discutant avec certaines des artistes programmées, j’ai compris que c’était important de continuer. L’égalité est de moins en moins gagnée, la société régresse à mon avis. On traverse une période compliquée, difficile, marquée par un repli sur soi qui pousse à taper en priorité sur les « minorités » et qui engendre donc une régression des droits. Des acquis peuvent être remis en cause à tout instant. On l’a vu avec la Manif pour Tous notamment. J’ai envie que Les Femmes s’en mêlent libèrent la parole, que les artistes sachent qu’elles peuvent y défendre leur musique comme leurs idées. Etre militantes ou non, déconneuses ou non, politiquement incorrectes ou non.
Corine : Ce que j’aime dans ce festival, c’est qu’il n’est pas spécialement engagé genre poing levé. Il promeut l’idée de travailler tous ensemble et d’être dans un équilibre. Pour ma part je suis très touchée, honorée de partager cette scène avec d’autres artistes femmes. C’est compliqué de partager des co-plateaux, des featurings entre femmes. Ça arrive peu.
Pi Ja Ma : Ce festival évite les clichés. On ne nous a pas collé une affiche rose avec des fleurs ! On ne nous demande pas d’être des chanteuses sexy ! C’est là où j’ai su que ça me plaisait.
Sônge : C’est l’occasion de se connecter entre nous, entre filles qui encouragent des filles, voire de monter des projets communs. Ce festival démontre aussi qu’il n’y a pas de métiers d’hommes ou de femmes. Je fais des instru mais je ne suis pas un homme !
Le festival Les Femmes s’en mêlent se déroulera du 23 mars au 8 avril à Paris et dans plusieurs villes de France avec Jessy Lanza, Austra, Cannery Terror, Laurel, Little Simz, Nova Twins… Plus d’infos sur leur site.
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