À l’occasion de notre rencontre exclusive avec Lana Del Rey, actuellement en couv des “Inrocks”, JD Beauvallet, rédacteur en chef historique des pages musiques du magazine, revient sur les coulisses de ses interviews avec la chanteuse.
“Aux Inrockuptibles, vous avez répondu présents dès mes débuts, vous avez toujours écouté et analysé mes disques, sans jamais être moralistes”, confie Lana Del Rey dans les pages du magazine dont elle fait la Une ce mois-ci, à l’occasion de la sortie de son dernier album, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd. Ces mots, c’est au journaliste Jean-Daniel Beauvallet qu’elle les dit. Rédacteur en chef des pages musique des Inrocks jusqu’en 2018, JD continue de passer une tête de temps à autre à la rédaction, le temps d’une interview avec Damon Albarn, ou d’un entretien fleuve avec la chanteuse américaine, qu’il suit depuis les premiers marmonnements mutins de Video Games, la chanson qui la révéla en 2011.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Jean-Daniel et Lana auront ainsi traversé les années 2010 à se côtoyer de visu, par téléphone ou par visio-conférence, toujours dans le cadre d’entretiens de plus en plus en longs dans lesquels, à mesure que se nouaient des liens de confiance indéfectibles, la parole de la chanteuse devenue superstar se libérait. JD Beauvallet revient sur les coulisses de ses entrevues avec la chanteuse.
>> Lana Del Rey, Liberté, spiritualité, authenticité
Quelle est la chose qui t’a interpelé en premier quand tu as rencontré Lana Del Rey ?
JD Beauvallet — La première chose qui est marquante avec elle, c’est son aura, ce qu’elle dégage. Quand je l’ai rencontrée, j’ai tout de suite vu qu’il y avait une personnalité hors du commun, elle apparaissait complètement irréelle. Je la comparais toujours aux femmes dans le film Mars Attacks! de Tim Burton, qui ondulent sans vraiment marcher. Dès la première fois, j’ai su qu’elle était une star avant même qu’elle en soit une. Ses premières chansons dégageaient quelque chose de tellement fort, tellement magnétique et tellement évident que c’était gagné d’avance.
A quoi as-tu pensé quand tu as entendu ses chansons pour la première fois ?
Je trouvais ça formidable qu’il y ait quelqu’un qui fasse le pont entre, ce que font aujourd’hui Billie Eilish ou encore Taylor Swift, une musique plus commerciale, plus accessible et une musique plus sombre, indépendante et puissante. Chez Lana, ce qui était frappant, c’était sa noirceur. Je me souviens en avoir parlé aux Inrocks et certains trouvaient son univers trop lugubre et sinistre.
C’est vrai, elle est encore incomprise par certaines personnes. Elle ne semble pas avoir le même rapport à la célébrité que d’autres artistes de son envergure.
Non parce qu’elle garde toujours son franc-parler, sa liberté d’agir. Je pense que quelqu’un dans sa position, qui parle de spiritisme, sait que ce n’est pas la meilleure démarche commerciale à suivre. Mais elle s’en fout, parce qu’elle écoute ses passions, ses pulsions.
“Je me souviens même d’avoir touché son bras pour m’assurer qu’elle n’était pas un hologramme, un ectoplasme.”
>> Lana Del Rey : naissance d’une icône
Peux-tu nous parler de ta première interview avec elle ?
Ça remonte à loin cette histoire, mais je m’en souviens très bien. C’était au début des années 2000, je traînais beaucoup dans une maison de disques à Londres. Il y avait un jeune mec en stage, Ed Millett, avec qui on se retrouvait toujours dans l’entrée du bâtiment pour parler de musique. On en parlait pendant des heures et des heures. C’était un vrai passionné. Puis il a quitté ce petit boulot et il est devenu manager d’un groupe que j’aimais beaucoup, les Guillemots. Je les ai d’ailleurs invités à Paris pour jouer au festival des Inrocks en 2006. Et un jour, Ed m’a parlé d’une jeune artiste américaine qu’il suivait et qu’il voulait que je rencontre pendant un concert privé dans un café. Et c’était Lana Del Rey.
Je me suis donc retrouvé dans un tout petit café sur le bord de la Tamise. C’était sans doute un des meilleurs concerts de Lana que j’ai pu voir. C’était complètement intimiste, nous devions être une vingtaine. Elle a joué trois ou quatre chansons. Après le concert, il me l’a présentée, j’étais super intimidé, parce qu’encore une fois elle a cette aura tellement rayonnante, que ça la rend impressionnante. Je me souviens même d’avoir touché son bras pour m’assurer qu’elle n’était pas un hologramme, un ectoplasme. Puis on a discuté de musique, et depuis, on n’a jamais cessé de parler de musique. Et ça fait plus de douze ans que ça dure.
Quelle est votre relation maintenant ?
Elle se souvient de chaque interview, c’est quelqu’un de très fidèle. C’est drôle parce que dans la dernière interview, elle se souvenait de choses que l’on avait évoquées il y a des années. Alors que des interviews, elle a dû en donner des milliers. Je pense que d’une certaine façon, je l’avais rassurée à l’époque. Je l’avais rassurée sur son statut. Elle craignait d’être mal, de mal faire les choses ou de mal les vivre. Puis, elle était enchantée que je la rattache à des artistes comme Jeff Buckley et Cat Power. Au monde de la musique indépendante finalement. Je pense que j’étais sans doute un des premiers journalistes à la mettre dans le même panier que ces artistes-là.
C’est pour ça que tu es devenu une sorte de référent lorsqu’il faut l’interviewer ?
C’est un peu malgré moi. J’aurais bien aimé partager le plaisir de la rencontrer avec un ou une autre journaliste qui aurait sans doute fait des interviews passionnantes. Mais c’est elle qui demande que ce soit moi à chaque fois. Elle se sent en sécurité. Elle a une méfiance énorme envers les journalistes, elle ne veut pas qu’on lui mette les mots dans la bouche comme certains peuvent le faire. Elle désire que sa parole soit respectée. Elle est fidèle aux Inrocks. Elle est fidèle à tous ceux qui l’ont rassurée.
>> Lana Del Rey : “J’ai brûlé tous les ponts pour la musique”
Tu considères Lana Del Rey comme faisant partie de ces visages familiers qui définissent les Inrocks aujourd’hui ?
Oui, pour moi, elle se trouve aux côtés de Damon Albarn, Björk, PJ Harvey, Thom Yorke. Ils incarnent tous Les Inrocks. Ce sont des artistes complets, ils sont passionnés, rigoureux, talentueux et ne se font pas manipuler, ils restent eux-mêmes.
Comment est-elle en interview ?
Dès le premier entretien, elle a arrêté l’interview au bout d’un quart d’heure. Elle voulait que l’on discute de Jeff Buckley, elle n’en revenait pas que je l’ai connu. Pendant une demi-heure, on ne parlait que de Jeff Buckley… Je ne parle jamais de choses superficielles avec elle, on parle seulement de musique.
Comment l’as-tu vu évoluer au cours de toutes ces années ?
Elle se libère de plus en plus. Elle assume de plus en plus le fait d’être une tête brûlée, une cascadeuse. Pour moi, elle est comme Björk et comme Damon Albarn. Ce sont des gens qui se posent de vraies questions sur la musique, et sur leur musique.
>> Entretien avec Lana Del Rey : “Ma liberté musicale est palpitante”
Comment prépares-tu tes entretiens après dix ans d’interview ?
Je passe des jours à préparer et peaufiner mes questions, je suis très maniaque. Lana peut vite se braquer ou ne pas apprécier une question, qui selon elle ne l’intéresse pas. Elle peut se refermer comme une huître. Je fais donc très attention à ce que les questions soient les plus ouvertes possible, que je ne lui mette jamais les mots dans la bouche. J’ai toujours des questions complètement ouvertes, qui vont vers un but précis. Pour cette dernière interview, on a parlé de spiritisme. Si je n’avais pas bien préparé le terrain, ça n’aurait jamais fonctionné. D’ailleurs, elle était au naturel, en sweat et jogging, pas maquillée. Et ça c’est le genre de choses qui prouve qu’elle est prête à se révéler telle qu’elle est, et pas telle que les médias la voient.
“À chaque fois que je l’interview, elle ne peut pas s’empêcher de chanter a cappella.”
As-tu une anecdote sur une de vos rencontres ?
À chaque fois que je l’interview, elle ne peut pas s’empêcher de chanter a cappella. Elle teste ses chansons sans artifices et c’est magnifique. Sa voix peut être divinement tirée sur plusieurs octaves à la fois, c’est très troublant. On a l’impression d’avoir une chorale en face de soi alors que c’est juste Lana. Et ça, ce sont des moments de grâce absolue, qui peuvent durer 30 ou 40 minutes. C’est à ce moment-là que je me rends compte de mon privilège incroyable. Et ceux qui disent que c’est une artiste préfabriquée, ils n’auront jamais le privilège d’entendre ça. À chaque fois, j’en ai la chair de poule.
Ça t’anime toujours de l’interviewer ?
Oui, parce qu’elle a toujours de nouveaux jardins secrets, de nouveaux centres d’intérêt sur lesquels on peut discuter. Elle est passionnée par énormément de choses donc elle a toujours des choses à dire.
Et est-ce que toi, tu as percé le mystère, de qui est réellement Lana Del Rey ?
Non, le mystère reste entier et j’ai envie qu’il le reste. J’aime la voir en survêtement, me dire “allez, viens on va faire les courses” comme si on était copains d’école, et la voir sur scène très sophistiquée. Elle est un peu comme David Bowie, elle joue avec les masques. On ne sait jamais à qui on a vraiment affaire : Elizabeth Woolridge Grant de naissance ou Lana Del Rey d’invention, et ça, ça lui donne beaucoup de liberté. En même temps, elle est prête à parler de choses très personnelles tout en restant pudique. Par exemple, elle arrive à parler de ses addictions à l’alcool quand elle était adolescente, des problèmes de son frère… Mais ce n’est jamais dans la démonstration. C’est toujours avec élégance. Et encore une fois, ça prouve à quel point elle n’est pas une marionnette.
Propos recueillis par Marie Solvignon.
Lana Del Rey, confessions exclusives – Retrouver notre numéro 19 en kiosque et sur notre boutique en ligne
{"type":"Banniere-Basse"}