« Nuit », le deuxième album de Jazzy Bazz, est un grand disque. Et pas seulement de rap français. Rencontre avec un artiste qui a la « dalle ».
Dans le freestyle balancé pour teaser l’album, tu dis que tu te sens « comme celui qui sort du trou ». Qu’est-ce que tu entends par là ?
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Jazzy Bazz – Avant P-Town, j’écrivais moins et le fait de sortir mon premier album m’a clairement remis dans le bain. Du coup, le fait de faire le parallèle avec le mec qui sort de prison et qui, logiquement, est blindé de bonnes résolutions, c’est une façon pour moi de dire que j’ai la dalle et que je suis prêt à faire en sorte que Nuit franchisse un palier, aussi bien artistiquement que commercialement (P-Town s’était vendu à 15 000 exemplaires, ndr).
Tu as mis un peu plus de deux ans pour sortir ce disque, ce qui est une sorte de luxe à l’heure actuelle. Tu aimerais enregistrer plus vite et plus souvent ?
Le truc, c’est qu’Internet pousse les gens à consommer la musique rapidement, ce qui incite les artistes à maintenir une visibilité constante. D’ailleurs, on dit souvent que si on ne revient pas vite, les gens vont nous oublier. Mais tout le monde ne souffre pas d’Alzheimer, beaucoup continuent de t’attendre et respectent en quelque sorte ton rythme de production. Bien sûr, j’aimerais réduire au maximum le temps entre chaque album, et j’y travaille pour ne pas perdre en qualité non plus, mais je suis déjà bien content de pouvoir faire des disques. Avant P-Town, ça me semblait impensable. C’est Jeunes entrepreneurs, l’album que l’on a fait avec les potes de L’Entourage, qui m’a vraiment reboosté.
P-Town, justement, a été un vrai succès et on sent une vraie attente autour de Nuit. Tu as conscience de ne plus être un outsider désormais ?
Non, je reste en deuxième division et je n’ai pas d’autre ambition que de jouer la montée. La Ligue des Champions, c’est encore trop tôt pour moi, même si j’ai des objectifs très clairs du point de vue de ma carrière, comme remplir un jour l’Olympia. C’est un rêve de gosse, j’en avais même fait une phase étant plus jeune : « Mon blaze en lettre capitale 28 boulevards des Capucines ». Ce n’était rien d’autre que de l’egotrip, ça me paraissait inconcevable, mais je sens que ce rêve peut désormais se concrétiser. Et j’ai bien l’intention de franchir le palier qui me permettra d’y arriver.
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Ton dernier album s’appelle Nuit. Qu’est-ce qui te plaît tant dans cet univers ?
Il fallait que ce soit un nom simple, qui résume tout. Ça n’a pas été évident à trouver, je me suis d’ailleurs tellement cassé la tête que j’ai même déjà le nom du troisième album (rires). Et puis Nuit est arrivé ! C’était parfait, dans le sens où il me permettait d’habiller mon disque, de lui donner une certaine épaisseur avec l’introduction Crépuscule, l’interlude Minuit et l’ultime Cinq heures du matin. C’était parfait également parce que la nuit évoque quelque chose à tout le monde : certains l’aiment, d’autres la détestent, certains en ont peur, d’autres en profitent pour faire la fête, etc. Ça faisait sens. D’autant que l’album a été entièrement réalisé la nuit, aussi bien l’écriture que le mixage. Je me posais en studio vers 3 heures du matin et j’en ressortais vers 11 heures.
Dans El Presidente, tu dis que tu décris « l’ambiance de la rue avec une rude écriture ». Pourtant, je ne définirais pas ta plume comme rude. Elle me paraît plutôt poétique, voire mélancolique.
L’idée, c’était de dire que je parle de la rue avec une écriture de bâtard (rires). Avec du style et des rimes complexes, en gros. Mais c’est marrant que tu me parles de cette rime parce que je l’aime vraiment. Elle vient conclure une succession de rimes internes dont je suis particulièrement fier.
C’est vrai qu’on retrouve tout ce jeu sur les assonances, les allitérations ou les rimes multi-syllabiques. Tu ne te vois pas écrire autrement ?
Verlaine disait : « La poésie, c’est de la musique avant toute chose ». Je suis assez d’accord : pour moi, l’écriture, c’est chercher la meilleure façon de faire sonner les mots. C’est comme ça que j’amuse. Si le texte n’est pas riche de tous ces petits détails, c’est que ce n’est pas réussi. Pour moi, c’est ce qui fait que ça sonne bien. Je pense d’ailleurs que c’est pour ça que les gens ont bien aimé L’Entourage, parce qu’ils ont senti qu’on s’amusait.
Ça t’arrive d’être influencé par des nouveaux schémas de rimes ? D’écouter un truc et de te dire que tu aurais dû le faire avant ?
Il y a des rappeurs comme Caballero, Infinit’ ou Nekfeu qui envoient systématiquement des textes millimétrés avec de la rime riche, des rimes internes et tout un tas de punchlines. Pareil avec Alpha Wann : sur son premier album, il ne fait que du sale l’enfoiré (rires) ! Donc oui, forcément, ces mecs me foutent une claquent à fois et ça me motive à travailler mon écriture. Le rap, c’est aussi ça : savoir qui rime le mieux et se surpasser constamment pour ne proposer que du lourd.
Et Leticia dans tout ça : est-ce que tu vois ce titre comme une sorte de suite à Trompes de fallope ?
Oui, parce que je n’aborde pas souvent le thème des relations amoureuses et que je le fais une fois de plus en chantonnant. En revanche, j’ai essayé de mettre la mélodie plus avant sur Leticia. D’ailleurs, tout est parti du refrain. Je voulais que mon texte s’adresse à une meuf et que ça parle d’un mec coincé dans une friend zone. Une fois que le prénom est venu à moi, le reste a suivi. Ça donne un refrain très identifiable, ce qui est assez rare chez moi.
Par le passé, tu nous disais vouloir « faire des sons radios qui défoncent ». Lequel à ce potentiel-là sur Nuit ?
Leticia, justement ! Il est assez efficace, sans se trahir et tout en étant complexe. J’ai essayé d’être fidèle à ce que j’ai pu apprendre en écoutant Brassens, mon modèle. Plus que n’importe qui, il a toujours eu des textes extrêmement subtils et la volonté d’être populaire. Moi-même, étant gamin, je comprenais le thème de ses chansons. Ce n’est qu’un peu plus grand que j’ai capté la richesse de sa plume et les nombreux thèmes sous-jacents qu’elle contient. Ça m’a fait comprendre que la complexité doit amener à la simplicité.
Tu as récemment participé aux 20 ans d’Opéra Puccino. Oxmo a pu t’inspirer un morceau comme Parfum, réalisé à la guitare acoustique ?
En écriture, c’est un des artistes qui m’a le plus influencé, notamment sur la façon de faire de tes albums une sorte de journal intime. Il faut pouvoir parler de monsieur-tout-le-monde et pas seulement t’adresser au microcosme rap. Parfum, c’est exactement ça : c’est un titre qui dit tout, sans pudeur. J’ai moi-même beaucoup de mal à l’écouter, j’ai l’impression d’être à poil à chaque fois. En revanche, la mélodie à la guitare est un total hasard. Pour tout dire, j’ai d’abord posé sur l’instru de Mon texte, le savon d’Akhenaton avant d’aller au studio le lendemain avec l’idée en tête de lui offrir une instru bossa nova. Ça ne fonctionnait pas trop, mais plusieurs mois plus tard, au moment d’envoyer l’album au mastering, on a eu l’idée de cette guitare et on a gardé le passage de Sabrina Bellaouel pour en faire un interlude.
À l’inverse de P-Town, on retrouve les membres de L’Entourage sur Nuit. Tu as l’impression de pouvoir à nouveau te rapprocher d’eux ?
C’est surtout que je voulais qu’on se fasse moins chier que sur P-Town, qui était très centré sur moi-même. Et pour ça, je savais que ça passait par la variation des instrus et des flows, mais aussi par l’apport d’autres artistes, d’autres voix et donc d’autres approches. Un peu à la façon des cainris qui s’entourent de quarante mecs pour un seul morceau. Ils ont compris qu’il fallait ouvrir le propos, comme Travis $cott qui invite Stevie Wonder à jouer de l’harmonica sur un de ses titres. Là, c’est pareil : je voulais m’entourer et faire preuve de créativité. Pour P-Town, j’avais réalisé quinze morceaux, et tous ont été conservés. Là, j’en avais une trentaine, mais il n’en reste qu’une petite dizaine.
Ce qui est marrant, c’est qu’on sent vachement la patte de Nekfeu sur Éternité. Ça pourrait presque être un morceau à lui…
C’est vrai, ce son a une couleur différente. Je la trouve très proche de celle de L’Entourage. Sans doute parce qu’Éternité a été produit par Kezo, alors que les autres titres sont de Monomite et Loubenski. Sans doute aussi parce qu’on l’a enregistré au studio de Don Dada avec Diabi, qui bosse avec Nekfeu sur la réalisation de ses albums. Sans doute enfin parce que Nekfeu en assure le refrain et a choisi lui-même l’instru. On était au studio, on hésitait entre deux-trois sons et il a flashé sur celui-ci. Je t’avoue que je ne le sentais pas vraiment, mais j’ai pris ça comme un défi, un moyen de sortir de ma zone de confort.
La reformation de L’Entourage l’été dernier lors du Dour Festival a donné des idées ?
Dour, ce n’était qu’une reformation aux yeux du reste du monde. En vérité, on ne s’est jamais éloigné et on a même jamais arrêté de faire des sessions entre nous. On reste très connecté et, quand je sais ce qu’on prépare, je me dis que le meilleur reste à venir.
Propos recueillis par Maxime Delcourt
Jazzy Bazz, en concert le 14 décembre à la Gaîté Lyrique, à Paris (III)
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