Il y a moins d’un an, personne n’avait entendu parler de Jay-Jay Johanson, francophile suédois à la mélancolie très bergmanienne. Mais depuis son premier album, Whiskey, il a trouvé en France l’asile poétique, une terre d’accueil chaleureuse pour sa musique cultivée : un fin tissage de jazz lascif et de hip-hop en hibernation, coloré d’une voix parmi les plus intrigantes de l’époque.
Alors que le grand blond avec ses idées noires est pour la première fois en tournée française, il fait visiter son intérieur : fissuré et beaucoup moins propret qu’on pourrait le croire.
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En avril dernier, nous étions déjà partis à Stockholm à la rencontre d’un grand individu blond comme les blés, dont le premier album à peine sorti promettait de devenir l’un des sujets brûlants de l’année. Avec Whiskey, Jay-Jay Johanson ébranlait soudainement nos convictions quant à la musique suédoise gentille, mais un brin inconsistante , nous forçant à regarder d’un peu plus près en haut à droite sur la carte de l’Europe occidentale. Depuis Neil Hannon et son inépuisé Liberation, aucune voix n’avait tant chamboulé le coeur des filles, rendu verts de jalousie les garçons et mis tout ce joli monde à genoux. Sur place, nous découvrions Jay-Jay Johanson tel qu’on avait précisément imaginé qu’il était : un jeune homme de 28 ans posé et cultivé, ancien designer bourgeoisement installé dans un appartement lumineux et cossu, promenant gracieusement sa silhouette d’allumette suédoise sur fond stylé de bois blanc et de jazz Blue Note. Le chanteur de charme version Ikea harmonie des lignes, discrétion des teintes ne présentait à l’oeil nu aucun défaut de fabrication. Sa musique offrait abondance de luxe à portée de tous, démocratisait à l’attention d’un public rock les dorures parfois lointaines et intimidantes de Chet Baker ou Johnny Hartman. Whiskey n’avait pourtant rien de ce jazz Canada Dry, façon Dizzy-listening pour ascenseur moderne-plouc, mais s’en allait au contraire flâner en zone libre du côté de chez Portishead, professant un rapprochement assez opportun des époques et des raffinements. Quelque chose comme le trip-bop allait naître sous la férule de ce Suédois au gosier bouleversant et remporter en six petits mois en France un succès dont on n’est qu’aux prémices.
On revient donc à Stockholm pour prendre des nouvelles de Jay-Jay Johanson, quelques semaines avant son probable triomphe sur les scènes françaises. Cette fois, le tableau par trop idyllique décrit plus haut est légèrement fendillé dans les coins. Jay-Jay Johanson est toujours blond, mais il est surtout fauché comme les blés. Il n’a pas encore touché la moindre couronne du produit des ventes de Whiskey et sa situation personnelle n’est guère plus reluisante : éconduit par sa fiancée, l’auteur prémonitoire de The Girl I love is gone a dû lâcher son bel appartement faute d’être en mesure d’en assumer seul la charge. Désolé de ne pouvoir nous faire découvrir les joyaux de sa discothèque, il insiste pour nous conduire jusqu’à son magasin de disques favori, une minuscule échoppe tenue par un sexagénaire : « Mon père collectionne les disques de jazz depuis les années 50, mais lorsque je l’ai amené ici, il a failli s’évanouir. Il y avait là tous les disques qu’il recherchait depuis quarante ans, c’était un véritable trésor. Il en est ressorti complètement ruiné. » Parmi les quelques milliers de vinyles essentiellement du jazz et des bandes originales de films , Jay-Jay Johanson paraît comme enivré par l’odeur du carton fort et par de possibles nouvelles découvertes. Comme par réflexe, il empoigne d’une seule de ses longues mains la vingtaine d’albums de Chet Baker : « Je sais que ça ne sert à rien, je les ai déjà tous. Mais comme ma discothèque est pour le moment dans un garde-meuble, ils me manquent vraiment. » Au rayon des BO, il exhibe fièrement l’original d’Un Homme et une femme « un de mes disques préférés » et se lance dans la quête infructueuse de la musique de Je t’aime moi non plus.
Plus tard, dans le studio où il enregistre les demos du prochain album, Jay-Jay accepte de lever avec cérémonie un coin du voile sur les nouvelles chansons. On entendra ainsi le sublime Even in the darkest hour, où la trompette blanche de maître Chet émet son souffle sec en direction des Moulins de mon coeur de Michel Legrand. On redécouvrira le voluptueux Milan Madrid Chicago Paris, déjà entendu sur scène, ou les splendeurs d’I guess I’m just a fool première moitié guitare bossa et flûte, seconde moitié quasiment disco et de Sudden death. Pour faire patienter jusqu’à la sortie de l’album prévue en mars, il entame à partir de la semaine prochaine sa première véritable tournée française. Prévenez les filles, Jay-Jay Johanson est de retour en ville.
Les gens d’ici commencent à savoir ce qui se passe pour moi en France. Il y en a même qui viennent m’aborder dans la rue pour me féliciter, ce qui n’est pas une attitude très courante en Suède où on déteste par-dessus tout le star-system. Quelques journaux spécialisés ont commencé à parler de moi en des termes plus élogieux qu’auparavant, lorsque je n’existais qu’en Suède. Je suis désormais celui qui a conquis la France, qui fait des concerts et vend des disques là-bas. Ils doivent me prendre pour une espèce de rock-star, ce qui est assez amusant lorsqu’on me connaît un peu. Je suis un garçon vraiment timide, sans histoire, qui n’a jamais aspiré au succès. Tout ce qui m’arrive aujourd’hui relève de quelque chose d’assez irrationnel. En fait, je n’ai jamais imaginé une seconde que mes chansons pouvaient plaire au-delà du cercle très restreint de mes amis, pour qui elles ont été écrites à l’origine. Moi-même, lorsque je composais les chansons de Whiskey, ou même celles du prochain album, j’avais tendance à les trouver vraiment étranges. J’étais loin d’imaginer que plusieurs milliers de personnes y auraient accès, auraient envie d’écouter ça chez elles : tout l’étalage de mes petites déprimes et histoires personnelles.
D’où provient, selon toi, le succès que tu rencontres en France ?
La grande majorité de mes influences, je les dois aux poètes, cinéastes ou compositeurs français. C’est finalement assez logique que le public français s’y reconnaisse un peu, parce qu’il maîtrise déjà les origines, les fondations. Ici, les gens me perçoivent de manière beaucoup plus floue. Je n’appartiens pas à cette jeune génération de musiciens suédois qui ne jurent que par la pop anglaise. D’ailleurs, je me suis toujours senti en porte à faux par rapport à la scène nationale. La plupart des groupes d’ici chantent en suédois et lorsqu’ils chantent en anglais, c’est pour imiter les groupes britanniques. Depuis que je suis gamin, la France a toujours été un sujet d’obsession pour moi. J’ai vécu en Angleterre, lorsque je travaillais comme designer pour le magazine ID il y a quelques années, mais la France continuait toujours à me faire fantasmer. Le fait que mon album soit sorti en premier chez vous prouve bien que mon intuition était la bonne.
Comment ta famille a-t-elle réagi à ta réussite ?
Pour le moment, je crois qu’ils ne réalisent pas vraiment. Tout ça reste encore très abstrait pour eux. Mes parents vivent dans un petit village à l’écart de tout et ils ne sont pas très au fait de l’actualité artistique et encore moins de celle du rock. Il m’arrive de leur faire parvenir des coupures de presse où l’on parle de moi et ils sont sans doute assez fiers de voir ma photo dans le journal, mais ça s’arrête là. Pour mon père, le rock reste un hobby pour adolescents et je crois savoir que son souhait le plus cher serait de me voir tout laisser tomber pour retourner à mon premier métier de graphiste. Lui a commencé à travailler dans l’imprimerie à l’âge de 16 ans et il y a passé toute sa vie, alors il admet mal qu’on en soit encore à faire de la musique à 28 ans. De toute façon, pour mon père, un musicien doit forcément être noir et vivre dans les années 50, ce qui réduit considérablement les possibilités (rires)… Il fait partie de ce genre de puristes du jazz qui pensent tout à fait sérieusement que l’on devrait interdire aux Blancs d’approcher un instrument. Je crois très franchement qu’il a détesté mon album. Le traitement que je fais subir à mes chansons est insupportable pour ses oreilles. Comme beaucoup de gens de son âge, il a une haine féroce des guitares, des boîtes à rythmes et des scratchs. Il me dit tout le temps « Quand vas-tu enfin travailler avec de vrais musiciens, des musiciens de jazz ? » Ou encore, à propos des scratchs : « Veux-tu m’expliquer à quoi ça rime tes machins qui font waco-waco-waco ? » Mon père est quand même à l’origine de tout : c’est en travaillant à ses côtés à l’imprimerie que j’ai eu très tôt ce goût pour les typos qui m’a conduit à mon premier métier de designer et c’est encore grâce à lui que j’ai découvert le jazz, la base de toute la musique que je fais aujourd’hui.
As-tu reçu une éducation musicale classique ?
La seule fois où j’ai mis les pieds dans une école de musique, c’était pour qu’on m’enseigne l’unique chose que je ne pouvais pas apprendre par moi-même : la direction d’orchestre. J’y ai passé quelques mois durant mon adolescence afin d’en maîtriser les rudiments, pour plus tard, car j’étais certain que ça me servirait un jour ou l’autre de savoir orchestrer des cordes ou des cuivres. Autrement, j’ai appris à jouer seul d’un assez grand nombre d’instruments. J’ai commencé le piano à 7 ans, le saxophone à 10, puis j’ai appris à me servir d’une guitare, avant de m’attaquer à la basse et à la batterie. Je ne suis pas du tout un virtuose, je me débrouille juste assez pour faire ce que je fais.
Quand as-tu commencé à te rendre compte du potentiel de ta voix ?
Je n’ai jamais trouvé ma voix intéressante. J’ai toujours chanté, mais uniquement parce que personne d’autre parmi les amis avec qui je faisais de la musique ne voulait s’y coller. Encore aujourd’hui, malgré tous ces éloges que j’entends sur ma façon de chanter, je persiste à trouver ma voix… bizarre. Je n’ai aucune technique et je chante la plupart de mes chansons en une seule prise, sauf lorsque c’est trop horrible, alors j’accepte de recommencer une seconde fois, mais rarement plus. Ça me gêne sincèrement lorsqu’on me compare à tous ces chanteurs fabuleux comme Chet Baker, Frank Sinatra ou Scott Walker. En fait, je chante parce que j’écris des chansons et non l’inverse. Je suis le seul à posséder une idée assez précise des choses que j’écris, alors je ne peux pas faire autrement que de les chanter.
Avant ce premier album, quelles furent tes expériences musicales ?
J’ai commencé à jouer dans un groupe vers l’âge de 10 ans. C’était un groupe style punk, nous faisions des chansons stupides en suédois. Je me souviens que nous avions une chanson particulièrement idiote dont les paroles consistaient en une recette de pain de mie prise dans un bouquin de cuisine. Il y avait tout : les ingrédients, la température du four, le temps de cuisson. Nous étions ce qu’on appelle un groupe engagé (rires)… Plus tard, j’ai découvert le hip-hop et c’est devenu très important dans ma vie. J’étais un dingue de breakdance, au point d’avoir parcouru toute la Suède pour participer aux championnats nationaux qui avaient lieu en parallèle à ceux des DJ’s. Je me défendais plutôt pas mal d’ailleurs, j’étais sans doute aidé par ma grande taille et mon poids plume. Ensuite, au milieu des années 80, mon frère et moi avons fondé un duo techno-pop appelé Brothers et très influencé par Depeche Mode et tous ces groupes de l’époque. Nous étions tous les deux avec nos synthés et comme on se ressemblait, ça créait un effet assez amusant sur scène. Vers la fin des eighties, j’ai également joué dans un groupe pop indie très inspiré par les Stone Roses et toute cette vague de Manchester. Comme la plupart de mes concitoyens, j’ai donc longtemps été un suiveur, fasciné par toutes les modes anglaises. Mais, pendant toutes ces années, j’écrivais dans mon coin des chansons de jazz, depuis 85 environ.
Comment es-tu finalement venu au jazz ?
Mon père collectionnait tous ces vinyles depuis des années, particulièrement ceux des fifties, et j’ai forcément baigné dans cette atmosphère sans le vouloir depuis ma naissance. Longtemps, je m’y suis montré réfractaire parce que cette musique me paraissait vieillotte, poussiéreuse. Je préférais largement Kiss ou n’importe quel disque de rock pendant mon adolescence. Avec l’âge, le jazz m’est progressivement apparu comme une musique chargée d’intensité au même titre que le rock, avec quelque chose de plus fort émotionnellement. J’ai ainsi commencé à fouiller dans la discothèque de mon père et, par chance, je suis tombé sur les meilleures pièces, notamment sur ses disques de Chet Baker, que j’ai écoutés des journées entières. Après un tel choc, écrire à la façon des songwriters jazz s’est vite imposé à moi comme une issue possible dans ma recherche d’une vraie personnalité musicale. Au début des années 90, j’ai constitué une petite formation de jazz classique pour roder mes chansons, pour faire enfin la musique que j’aimais. Très vite, pourtant, la formation en quatuor s’est avérée une impasse. Je ne me voyais pas poursuivre dans cette voie très puriste, entouré de musiciens qui ne voulaient entendre parler de rien d’autre que de jazz. Moi, je songeais déjà à rajouter des breakbeats, à rendre le traitement du son un peu plus contemporain tout en gardant les bases d’écriture du jazz.
Quand s’est opérée la mutation ?
En avril 94. Je travaillais à l’époque comme maquettiste pour le magazine suédois Pop et on a reçu un matin la cassette du premier album de Portishead, Dummy. A la première écoute, j’ai eu la sensation étrange que ma vie basculait brutalement. C’était l’une des premières fois qu’un disque de rock provoquait un tel effet sur moi, j’étais littéralement parcouru de frissons. Seule la musique des Cocteau Twins m’avait mis jusqu’ici dans un tel état d’excitation. En Portishead, je reconnaissais tout ce que j’aimais : les vieux soundtracks de John Barry et Morricone, les arrangements étranges dont je rêvais depuis des années et une voix fantastique, située précisément entre Shirley Bassey et Liz Fraser, deux de mes idoles. J’ai su dès ce jour-là ce qu’il me restait à faire. C’est à cette époque que j’ai composé les premières chansons de Whiskey, notamment The Girl I love is gone, et tout me semblait subitement plus évident après la voie qu’avait ouverte Portishead. Grâce à eux, je n’avais même plus à me sentir complexé par la tristesse de mes chansons.
Ta façon d’écrire et de composer a-t-elle toujours été empreinte de cette mélancolie ?
Je suis quelqu’un de profondément mélancolique, tendance dépressif chronique. C’est un sentiment dont je ne retire aucune fierté mais il est là en permanence. Le seul aspect positif à tout ça est qu’il m’aide à composer. Lorsque je suis d’humeur joyeuse, impossible d’écrire une ligne ou une mélodie correctes. Ecrire est pour moi une espèce de thérapie, une façon de pactiser avec mes problèmes : »OK, vous me pourrissez la vie, mais donnez-moi au moins de bonnes chansons en échange. » Et puis, c’est cet état permanent de mélancolie qui m’a conduit au jazz, à Michel Legrand, à Nick Drake ou David Sylvian. C’est également ça qui m’a attiré vers Kieslowski ou Breaking the waves. Quiconque écoute mes chansons se doute bien que je suis plus sensible à Breaking the waves qu’à Men in black. Si ce n’était pas le cas, j’imagine que ça me rendrait encore plus dépressif (rires)…
As-tu parfois le sentiment de trop te dévoiler dans tes chansons ?
Le fait de chanter en anglais est une sorte de filtre entre ce que je ressens profondément et la façon dont je m’exprime dans mes textes. Si je chantais en suédois, je ne pourrais pas raconter des choses aussi intimes. Il faut savoir que la majorité de mes textes proviennent de mes rêves, autrement dit de ce qu’il y a de plus personnel chez un être humain. J’ai une vie de dormeur bien remplie et je note tous mes rêves sur des carnets. C’est ce qui constitue la matière première de mes chansons. Par exemple, So tell the girls that I am back in town est une phrase que j’ai notée en pleine nuit au sortir d’un rêve étrange : j’étais en vacances à l’étranger, seul au bord d’un lac, et j’étais soudain pris d’une angoisse terrible. J’imaginais que tout le monde, chez moi, m’avait oublié, que plus personne parmi ma famille, mes amis et les filles de la ville ne se souvenait de mon existence.
L’envie de plaire aux filles a-t-elle toujours été compatible avec ta nature réservée
Paradoxalement, j’ai toujours été un timide plutôt populaire. Au lycée, c’est moi qui organisais les concerts ou qui faisais le DJ dans les soirées. Ce statut-là me rendait assez attirant, notamment auprès des filles. C’est ensuite que les choses se sont compliquées dans ce domaine. Je prends les relations amoureuses au sérieux depuis seulement cinq ans. Avec l’âge, tout ça m’apparaît très compliqué. Il y a toujours la question de l’engagement qui se pose et on ne peut pas traiter ce genre de choses à la légère. D’un autre côté, maintenant que je fais des concerts, que je rencontre des fans, il faut que j’apprenne à résister à la tentation de devenir volage, parce que ça ne me correspond pas du tout. Ces dernières années, j’avais réussi à construire une histoire solide avec une fille et ça vient pourtant de s’arrêter, précisément à cause de mon métier. Elle ne supportait pas de me voir partir en tournée, ni que je m’enferme en studio pendant des semaines. Tout ça me rend malade, quand je pense à tous les efforts que j’ai dû déployer au cours de ma vie pour me rendre intéressant aux yeux des filles. Avec la musique, pourtant, je pensais avoir trouvé, mais voilà que ça ne marche pas non plus. Lorsque je faisais des compétitions de breakdance, c’était aussi dans le but d’attirer l’attention sur moi. J’ai toujours ressenti ce besoin de me dépenser physiquement, peut-être pour tromper ma profonde déprime de provincial solitaire. J’ai joué au football pendant des années, mais c’est au tennis que je me débrouillais le mieux. J’ai même atteint un niveau semi-professionnel avant de tout laisser tomber à 17 ans, parce que la discipline y était trop stricte. J’ai également fait du saut à l’élastique, souvent dans des situations assez périlleuses. J’y voyais sans doute une sorte de rébellion sociale. Ce dépassement physique me manque beaucoup aujourd’hui.
Comment es-tu devenu designer ?
J’ai toujours été attiré par la mode, le design. Je me suis très tôt intéressé à l’architecture, aux vêtements, aux couvertures de magazines et aux pochettes de disques. Comme je suis issu d’un milieu très modeste, toutes ces choses sont restées très virtuelles pour moi jusqu’au jour où j’ai émigré à Stockholm pour faire une école d’arts graphiques. Et puis Stockholm m’est vite apparu comme un endroit finalement très refermé sur lui-même, comme ankylosé, alors je suis parti pour Londres où j’ai eu la chance de travailler pour des magazines prestigieux, ce qui m’a permis de me faire une petite réputation dans le milieu du design. En Suède, on n’aime pas lorsque les gens ont trop d’activités, c’est tout de suite un peu suspect. J’ai fait des expos de peinture, de photo, j’ai lu des poèmes, fait du design, et maintenant je fais des disques. Dans un petit pays de 9 millions d’habitants, où il est facile de se faire remarquer, on préfère lorsque les artistes choisissent un domaine et s’y tiennent, mais je n’ai jamais pu m’y résoudre.
As-tu déjà songé à quitter à nouveau Stockholm ?
J’y songe tous les jours, mais j’hésite encore sur la destination. Paris serait un endroit idéal mais j’ai peur de m’y disperser. Lorsque je viens à Paris, je rencontre tellement de gens dont j’ai entendu parler depuis des années que je me laisse vite griser. J’ai besoin d’un peu plus de calme autour de moi pour écrire. Après la sortie de Whiskey, je me suis arrêté d’écrire pendant de longs mois pour faire de la promo, des concerts, et lorsque je suis revenu ici, j’ai commencé à gamberger. J’ai pensé que je n’arriverais plus jamais à faire une bonne chanson, je me sentais complètement vide. Il m’a fallu longtemps pour me réadapter à une vie plus normale. Aujourd’hui, il m’arrive même de songer à partir m’installer dans la campagne suédoise, ou sur l’une de nos îles austères où les hivers sont parmi les plus rigoureux au monde, pour trouver une autre forme d’inspiration, comme lorsque Brian Eno est parti s’installer en Sibérie. Et puis, à d’autres moments, l’hiver me pèse tant que j’ai envie de partir pour un endroit climatiquement plus humain, comme la Côte d’Azur ou le Brésil. J’aimerais me rapprocher des vibrations de la bossa-nova, l’une des influences que l’on trouvera sur le prochain album.
Quelles seront les principales différences entre celui-ci et Whiskey ?
Disons que je maîtrise mieux mon sujet, que je suis plus à l’aise avec ma voix et que le résultat sera sans doute plus abouti et homogène. Nous avons également travaillé pour la première fois avec un batteur et un trompettiste. Il y aura également plus de cordes mais l’heure n’est pas encore venue de tout changer. Peut-être que les nouvelles chansons sont plus sombres, plus intenses que celles du premier. Avant, j’étais une sorte de dépressif nostalgique, alors qu’aujourd’hui je me sens plus comme un dépressif contemporain, plus actuel. Il faut dire que le départ brutal de ma copine n’a rien arrangé. J’ai composé une bonne dizaine de chansons depuis, qui ne figureront sans doute pas sur l’album, dont je ne sais pas encore quoi faire. De toute manière, si le second album ne marche pas, je n’insisterai pas et je retournerai au graphisme, à une vie plus rangée. Si je ne parviens pas à devenir un chanteur connu, alors je me concentrerai sur un seul but : devenir un fiancé acceptable.
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