Alors que toutes les portes lui étaient grandes ouvertes, le rappeur parisien Jarod Le Caméléon a fait le choix de partir en indépendant en 2012. Une décision payante, et un nouvel album, « Caméléon », comme le point d’orgue de sa seconde carrière.
Le nouvel album de Jarod, Caméléon, a bien failli ne jamais sortir. En fait, Jarod aurait très bien pu ne jamais être rappeur. En 2012, après quelques temps et quelques projets (dont un street album) au sein du crew Wati-B, le Parisien arrête la musique, au moment où ses potes de Sexion d’Assaut explosent :
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« J’ai arrêté quatre mois. J’ai coupé les ponts avec presque tout le monde, je me suis isolé, je ne voyais que ma mère. Je n’écrivais plus, je n’écoutais plus de musique… Spirituellement, je me suis rapproché de Dieu, et j’ai fait une introspection. Mais l’appel de la musique m’a rattrapé : quand c’est en toi, c’est en toi. »
Des portes et des barreaux fermés
Depuis cette mise au vert express qui lui permet de faire le ménage dans sa vie, il avance en indépendant. Dans Caméléon, il tire un trait sur beaucoup de choses (« J’ai voulu mourir avant de vouloir vivre »). Les embrouilles avec ses anciens collaborateurs, un certain rap qui tourne en rond… Et cette mentalité parfois pourrie du milieu qui lui a fermé un paquet de portes lors de son retour dans le jeu.
« Je croyais qu’en revenant, ça allait être comme à l’époque Wati-B. Mais rien n’était comme avant. Je ne connaissais pas ce milieu, et j’ai compris que beaucoup de choses se basaient sur ton nom, sur ce qu’il vaut. Et le nom Jarod ne valait plus rien du tout à partir du moment où je n’étais plus avec Wati-B. Heureusement, j’avais tout de même un public qui ne m’a pas lâché. »
Petit retour en arrière. Lorsque Jarod commence à rapper sérieusement, il traîne dans La Terre du Milieu, a.k.a. La 9e Zone, cette partie très street du IXe arrondissement de Paris. Il a son groupe, L’Institut. Pendant six ans, il fait son bonhomme de chemins dans le sillage de la Sexion d’Assaut, alors presque inconnus. Puis, alors qu’il passe un an à l’ombre, le premier album de ses potes explose, en 2010.
« Quand j’étais en prison, je demandais aux gars de la Sexion de me faire rentrer des CD, j’essayais de faire tourner le truc. Tout le monde me disait : ‘Ca pue la merde, c’est nul.’ Moi j’étais convaincu que c’était les meilleurs, mais ils étaient dans un style totalement différent de ce qui se faisait à ce moment là, du rap racailleux. Eux, c’était plutôt du flow, de la mélodie, de la technique… Les gens n’étaient pas prêts à ça. Et dès qu’ils sont passés à la télé, les mecs de la prison ont commencé à dire : ‘Hey, en fait, c’est pas mal, hein !’«
Un nom qui reprend de la valeur
Quand il sort, il est attendu. Petite star du quartier, avec pas mal de business au compteur, toutes les portes sont grandes ouvertes pour percer dans la musique. Mais lui veut produire, et ça, chez Wati-B, c’est complexe. Voir mort. Alors oui, il arrête la musique.
« J’étais pas préparé au succès. Dans la prison, c’est 7h du mat, bonjour, ouvre la porte, marche, va, promenade une demie heure, rentre, ferme la porte à 19h. T’es personne en fait. Et tu sors, boum, t’es quelqu’un. Je pense que psychologiquement, pour n’importe quel être humain, c’est ouf. »
Après une mixtape et un album en 2014, en indé, Jarod voit son nom reprendre de la valeur progressivement. Jusqu’à aujourd’hui. Lui qui voulait être aux commandes est servi, et la liberté qu’il en tire lui permet de sortir un album riche, décloisonné, cherchant à abattre les chapelles qui se font de plus en plus fortes dans le rap français (pour preuve, le titre Building).
« Le rap est un milieu complexé. Et moi, je suis le rappeur le plus décomplexé qui soit (rires). Rien à foutre, je peux parler de tout, pas de tabou. Peut-être que j’ai des titres qui vont choquer les auditeurs de rap dur, mais je m’en fous. »
« Suceur de quoi ? »
En novembre dernier, il poste sur ses réseaux une lettre à Booba, où il dit toute l’importance et l’influence que le Duc a pu avoir sur sa vie et sa musique. Le texte tourne, plaît, mais pas que :
« On m’a dit : ‘Oh, mec, qu’est-ce que t’as fait ? T’es un suceur !’ Suceur de quoi ? J’ai dis je kiffais un rappeur et ça vous dérange ? Alors que vous le kiffez tous ? »
Jarod est saoulé de ce genre de prises de tête, de ces codes inhérents mais parfois pesants.
« Je crois qu’on est beaucoup sur cette terre à être des caméléons. On est dans une société où on a besoin de te définir. T’as mis une casquette et des Nike, t’es un rappeur. Tu mets un costard, t’es dans les banques. T’es un rappeur ? Ok, tu vas consommer ça, ça et ça. On te fait un package. L’humain n’est pas comme ça, en fait. Quand je parle de caméléon, je crois qu’on est beaucoup à pouvoir danser dans une soirée électro, puis dans une soirée hip-hop, parler différemment, adopter d’autres langage… Surtout à Paris, on se côtoie tous, et on y arrive. Lui il est comme ça ? Ok, respecte le comme ça, lui casse pas les couilles. Mais tu sais, aujourd’hui, on est dans une époque des réseaux : like, pas like, commentaire, connard, t’as pas le droit de faire ce que tu fais… Si, il a le droit, la preuve, il le fait. »
Et visiblement, Jarod fait ce qu’il veut.
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