Jane Birkin est au théâtre, et c’est bien comme ça.
l’intonation est là, comme on l’attendait, léger accent, pas de doute, c’est bien Jane Birkin, là, à quelques mètres sur ce minuscule plateau d’un théâtre bonbonnière. Une Birkin en tout point en accord avec celle de nos écrans et de nos chaînes hi-fi, une femme agaçante pour les uns, craquante pour les autres. Le rôle sur mesure qu’elle s’est concocté en écrivant sa pièce la présente comme une passionnée parfaitement insupportable, et il est clair qu’une bonne partie de la gent féminine ne manquera pas d’y retrouver quelques accents familiers.
Oh ! pardon, tu dormais… commence à 2 h du matin, une heure raisonnable où il semble de bon ton d’aborder les débats de fond, de vérifier que le temps ne tue pas l’amour, si possible une nuit où l’objet de son désir digère péniblement ses deux Tranxène. L’enthousiasme des réponses et leur pertinence philosophique étant à la hauteur de l’ambiance, Jane passe au harcèlement de sentiments. Voilà une femme qui veut tout, l’amour toujours passionné et le désir absolu et unique. Bref, une emmerdeuse qui prend le risque, à terme, de la solitude forcée. On l’aime. Devant ses fausses pudeurs, sa mauvaise foi évidente, ses phrases mal calculées qui font mal sans vraiment y penser. Elle seule peut se permettre un déhanchement ostensible pour un simple lavage de dents et en gommer toute la vulgarité pour n’en restituer que le sex-appeal. Jane est là, et c’est ce qu’on est venu voir. A l’instar de Gérard Depardieu, elle fait partie de ces incontournables de la vie artistique qui, de temps en temps, se risquent sur le seul endroit qui les met à bout, celui où il est impossible de refaire la prise : la scène. Jane Birkin n’a pas de voix, il y a quelques années encore elle jouait comme une adolescente mal dégrossie, elle n’a aucun des paramètres de la beauté millimétrée, elle écrit une pièce sur un sujet cent fois rebattu. Pourtant, quelque chose d’ambigu nous fait tomber dans son piège.
Ce texte écrit à la mort de Gainsbourg et à celle de son père oblige à entendre une petite musique privée. Jane Birkin, personnage public, s’expose et pose en creux les raisons mêmes de la présence du public. L’intérêt du spectateur est suspect. Voyeur de l’actrice « en vrai » jouant un bout de son intimité, non-lecteur frustré de Gala, participant à l’une de ces opérations commerciales pour lesquelles le théâtre privé et le showbiz savent maquiller le marketing en art, toutes les explications sont bonnes pour justifier peu glorieusement notre présence, et cependant, même cumulées, elles ne rendent pas totalement compte d’un plaisir bien réel. On sait qu’elle ne rentrera jamais dans les livres d’histoire de la scène par la grande porte, et il faut bien dire qu’il est difficile d’adhérer au basculement franchement dramatique de sa pièce à travers des scènes de la vie conjugale avec tentatives de suicide, infarctus, etc. Mais Jane Birkin n’a aucune prétention, et dans un milieu où les complexes de supériorité sont légion, elle est une figure ordinaire, un monstre de simplicité. On la regarde comme on voit les passants, assis à une terrasse de café, c’est rien, mais on aime ça.
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