Française nomade, la jeune Jain tend des perches dans tous les styles avec « Zanaka », un disque qui joue à saute-mouton sur plusieurs continents. Critique et rencontre.
Nombreuses sont celles qui, ces dernières années, se sont imposées sur la scène internationale en faisant voler en éclats les barrières entre les genres : on pense à St. Vincent, Ebony Bones ou, plus récemment, à Ibeyi ou Meg Remy de U.S. Girls. Jain est de cette trempe-là. A priori, une hybridation entre Lily Allen et Gorillaz, Salif Keita et les Specials.
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Dans le fond, l’affaire va beaucoup plus loin : Jain (prononcez “Jane”) a fait de l’infiniment libre et du DIY une philosophie de vie. Six bras déployés sur la pochette de Zanaka, son premier album : à 23 ans, cette jeune Française s’impose assez aisément en Shiva d’une pop décomplexée et transgenre, sans effets de manche ni esbroufe.
Fille d’expats, la Toulousaine d’origine s’est forgé une culture musicale au gré des affectations de ses parents.
“J’avais déjà commencé la batterie au conservatoire de Pau, explique-t-elle. A 9 ans, quand je suis arrivée à Dubaï, je me suis mise aux percussions arabes. Trois ans plus tard, j’ai déménagé au Congo : ça a été une claque. J’ai géré ma crise d’ado en même temps que je découvrais l’afro-beat, Oumou Sangaré, Fela Kuti. Ma mère est métisse malgache, elle écoutait beaucoup de musique africaine, dont Miriam Makeba. C’est à cette époque qu’un beatmaker congolais m’a donné des logiciels pour fabriquer mes propres titres.”
Jeanne – dans le civil – aura mis six ans à peaufiner son album. C’est peut-être ce qui, ici, fait la différence, tant l’aboutissement de ce répertoire laisse agréablement perplexe. Dès ses débuts, de bonnes fées se seront penchées sur son berceau, sans pour autant coller leurs grosses pattes pleines de boue sur sa partition originelle. Dans le rôle du parrain en chef, le Yodelice Maxim Nucci a la bonne idée, lorsqu’il la rencontre par le biais de MySpace aux alentours de 2008, de ne pas la formater à son image.
Entre comptines et funk tribal
De son côté, Jain, très habile au jeu du bonneteau musical, excelle lorsqu’il s’agit d’assembler au millimètre près hip-hop, electro ou reggae-dub, le tout fixé au fil d’or d’une langue de Shakespeare qui elle aussi a vu des kilomètres :
“Je me suis longtemps posé la question de l’anglais littéraire, pour finalement conserver ce ‘broken english’ que je considère comme une patte. Par mimétisme, j’ai aussi pris l’accent des gens que j’écoutais – en fin de compte, je trouve ça drôle. En Afrique, la musique est partout : les taxis jouent à fond de la rumba congolaise ; à Abu Dhabi, on entend Fairouz ou des chants arabes dans le bus. (…) J’avais envie de réunir sur un même album l’Amérique, l’Afrique et l’Europe.”
Come, single sautillant cousu sur toutes les lèvres depuis l’été, aura donné un bon aperçu de ses dons d’alchimiste, de mixologiste et de bricole-girl. Dans son sillage, des titres comme Heads Up, Hope ou Makeba (hommage à l’interprète de Pata Pata, donc) confirment le talent de Jain à mêler comptines et funk tribale, espièglerie, transe et rythmiques guerrières.
Autant dire qu’on est davantage proche du syncrétisme nomade d’un Damon Albarn (avec qui elle partage une passion pour le Nigérian psychédélique William Onyeabor) que de Zaz et de son esthétique punk à chien franco-française. Détail qui a son importance : zanaka signifie “enfant”, en malgache. De l’art, donc, de s’amuser comme une folle en même temps que l’on devient l’une des plus excitantes découvertes du moment.
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