Pour sa parenthèse solo (dés)enchantée mais fascinante, le chanteur et bassiste de The XX réinvente la pop queer dans ce qu’elle a de plus sensuel et cathartique. Rencontre.
“Ça fait si longtemps !” En effet, on ne s’est pas vu·es depuis la promo du troisième album de The XX, I See You, en 2017… Mais sa voix de crooner n’a pas changé. Sous sa veste en jean, un T-shirt vintage du film Scream : Oliver Sim aime l’amour autant que l’horreur. Guère étonnant donc que Yann Gonzalez réalise le court métrage Hideous, d’une beauté surannée et vénéneuse, autour de trois morceaux tirés de Hideous Bastard, le premier album solo d’Oliver attendu à la rentrée.
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En ce matin printanier, celui-ci est bronzé. “L.A. !”, explique-t-il avec un sourire de séducteur – plus tard, il nous glisse y être allé pour un garçon, et on n’en révélera pas davantage ici. Avant de rentrer au bercail londonien, il est passé par Paris pour notre séance photo et cet entretien qui le réjouit : “Jusqu’ici, seules les équipes de mon label et mes amis l’ont écouté… Ça y est, c’est réel !” Mais pour Oliver Sim, la réalité n’est jamais tout à fait telle qu’elle devrait être.
“Romy et Jamie sont mes âmes sœurs”
Les couleurs deviennent kaléidoscopiques, la pop, manifeste d’hybridité. Dans le film de Yann Gonzalez, il incarne tour à tour un fantôme, un monstre et un chanteur à succès. Et dans l’album les émotions sont décuplées, entre coming out séropositif et sensualités sans suite, faisant de Hideous Bastard l’une des plus belles choses qu’on ait écoutées depuis longtemps.
Après quinze ans dévoués à ton groupe The XX, cet album solo te semblait sans doute indispensable ?
The XX est mon groupe préféré du monde entier. Mais j’ai toujours voulu faire mon propre album, surtout depuis que Jamie a fait le sien : il lui ressemblait tellement ! Et il avait beaucoup apporté à la structure sonore de I See You. J’avais envie de ressentir ça, moi aussi, et de revenir avec de nouvelles idées.
Tu restes très proche de Romy Madley Croft et Jamie Smith ?
Ce sont mes âmes sœurs. Je connais Romy depuis l’enfance ; Jamie depuis mes 15 ans. Ce dont je suis le plus fier dans ma vie, c’est d’appartenir à un groupe depuis si longtemps. Notre relation est très intense, on ne se sépare que pour aller aux toilettes ! Après notre dernière tournée, qui a duré deux ans, on avait décidé de prendre un peu de distance les uns avec les autres… On a tenu seulement trois semaines !
Être à la fois amis et collègues, c’est compliqué mais, paradoxalement, notre amitié cimente notre groupe. D’ailleurs, quand j’ai commencé à écrire des morceaux seul, des morceaux très personnels, Jamie en a écouté deux ou trois et m’a encouragé à les enregistrer. On a travaillé en Australie, où il était parti vivre quelques mois, puis à Londres, dans une bulle qui évoque toutes les musiques que j’aime.
“Pour exister en dehors de The XX, il faut tout tenter !”
Le paysage sonore est d’ailleurs protéiforme dans Hideous Bastard, entre house minimale, synthpop et psyché garage, etc. Avec ce groove viscéral auquel tu tiens en tant que bassiste…
Si je joue un peu de guitare sur l’album, la basse reste mon instrument de prédilection, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus mélodique… J’ai dû travailler ma voix comme un instrument, justement, pour apporter plus de rondeur sonore, d’harmonies. En guise de modèles, les Beach Boys, dont les chœurs étaient à la fois très masculins et très tendres. Vu que j’adore les films d’horreur, j’en ai aussi importé les nappes synthétiques. Quand on doit exister en dehors d’un groupe comme The XX, dont l’ADN est si fort, il faut tout tenter !
Et se livrer totalement… Dès l’ouverture de Hideous, tu révèles que tu es séropositif depuis tes 17 ans. Cela faisait longtemps que tu y pensais ?
Il y a deux ans, je n’aurais pas pu t’en parler comme je le fais aujourd’hui. Quand je l’ai jouée à ma mère, elle m’a donné un de ses meilleurs conseils : “Avant de balancer ça au monde entier, parles-en d’abord autour de toi.” À 17 ans, quand on m’a annoncé que j’étais séropositif, je l’avais confié à quelques proches, puis je n’avais plus souhaité aborder le sujet.
Si Romy et Jamie s’étaient montrés très disponibles et chaleureux, je n’ai pas osé, ou voulu, profiter de leur écoute… Ma mère avait raison : évoquer le virus avec mon entourage a conjuré la honte qui me rongeait jusqu’au fond des tripes. Le secret n’a plus été si lourd à porter. J’étais prêt à assumer totalement Hideous.
“Sans le filtre de l’alcool, tout me terrorisait”
Comment as-tu réagi en apprenant ta séropositivité ?
J’étais terrifié. La seule célébrité concernée par le sujet que je connaissais, c’était Freddie Mercury, et il en était mort ! Si j’avais été diagnostiqué aujourd’hui, ce serait complètement différent. Billy Porter, Jonathan Van Ness ou encore Mykki Blanco évoquent librement leur séropositivité. Laquelle est moins angoissante, grâce à des nouveaux traitements qui ne cessent de progresser. On vit avec. Mais à 17 ans, j’ai été très choqué, d’autant plus que je m’affirmais à peine dans mon homosexualité.
A posteriori, on comprend mieux ta lutte contre l’alcoolisme, que tu avais racontée dans une interview en 2016…
Boire me permettait de ne pas ressentir la peur, la vulnérabilité et l’insécurité. Y renoncer a été le début d’une prise de conscience franchement éprouvante : sans le filtre de l’alcool, tout me terrorisait. Au final, j’ai réussi à trouver la beauté là où elle n’est pas, à placer ce qui me semblait laid en moi au cœur de la lumière, afin de m’en libérer.
Le petit garçon du film de Yann Gonzalez, fasciné par le chanteur gay qu’il voit sur l’écran et qui lui ouvre de nouveaux horizons, c’est toi ?
Oui ! Petit, j’étais dingue de télévision. Elle a été mon premier accès à la pop culture, aux relations amoureuses, aux horreurs du monde… Et également à la culture queer, aux drag-queens et au voguing. Je me souviens d’Eurotrash : Jean Paul Gaultier y était incroyable et c’était ultra-sexualisé, même si c’était surtout très drôle. La porte du salon devait être bien fermée pour ne pas se faire griller par les parents.
Il y avait aussi cet animateur de talk-show, Graham Norton, ouvertement gay. Un jour, je devais avoir 10 ans, mon adorable belle-mère et moi regardions son émission. Soudain, elle se tourne vers moi et me dit : “Tu sais que Graham Norton a une relation avec un homme ? Et tu sais que c’est OK ?” Elle avait compris bien avant moi que j’étais gay, mais je lui ai rétorqué, quasi caché sous la table : “Je ne vois pas de quoi tu parles !”
Jimmy Somerville intervient à plusieurs reprises sur l’album, en particulier sur Hideous. Figurait-il dans les personnalités qui t’ont influencé plus jeune ?
Smalltown Boy est sorti peu avant ma naissance et Jimmy m’a toujours impressionné : sa voix porte, dans tous les sens du terme. Je le revois intervenir sur des plateaux télévisés à propos du manque de moyens apportés aux malades du sida. Au début du confinement, je l’ai contacté pour lui dire que j’étais fan, et nous avons noué un lien. Ces dernières années, j’ai régulièrement échangé avec des icônes gays comme Elton John, Anohni et John Grant, lui aussi séropositif…
Je me suis retrouvé avec plusieurs mères supplémentaires ! Pour revenir à Jimmy, lui seul pouvait incarner l’ange qui me réconforte dans Hideous. Ce n’est pas une personne simple car il est du signe des Gémeaux… comme moi ! Recto, nous sommes l’âme joyeuse des plus belles fêtes. Verso, nous plongeons la tête la première dans l’obscurité.
En tant que fan de films d’horreur, collaborer avec Yann Gonzalez devait être une évidence ?
C’était même un rêve. Lui aussi, je lui ai écrit au début du confinement pour lui déclarer mon admiration. Il m’a répondu qu’il adorait ma musique. Quand je lui ai envoyé la demo de Fruit, il m’a proposé de travailler sur ces nouveaux titres… Pour Hideous, Yann m’a fait faire des choses qui me semblaient impossibles : jouer la mélancolie ou la colère, me transformer en monstre et embrasser de beaux garçons – ça, je l’avoue, c’était très facile !
“Le registre horrifique me permet de rire de mes angoisses”
Dans le film, tu es habillé par la maison Dior, dont tu es proche depuis une dizaine d’années. La mode et la musique, ça t’a toujours parlé ?
Toujours. Mes artistes préférés ont créé leur propre univers et sont sensibles à la mode : David Bowie, Grace Jones, Björk, David Byrne. Enfant, je regardais en boucle Stop Making Sense des Talking Heads. La petite tête et les larges épaules de David Byrne m’apparaissaient comme une parodie de la masculinité et ont influencé mon look dans Hideous : sous la grande veste, un top telle une seconde peau, très féminin…
Ma complicité avec Dior doit beaucoup à Kim Jones, avec qui je suis ami depuis l’adolescence. C’est un collectionneur, sa maison ressemble à un musée ! Cet éclectisme culturel se ressent dans ses créations, entre présent, passé et futur. À l’image de ma musique, je l’espère…
Tu as aimé jouer un monstre ?
J’ai adoré ! J’ai peur de tout, sauf des monstres. Quand je regarde Carrie, ce n’est pas elle ou ses pouvoirs qui me font flipper, mais sa mère ! Le registre horrifique me permet de rire de mes angoisses. Montré tel quel, le réel me semble parfois malhonnête. Hideous Bastard est vulnérable et sincère, mais je veux surtout raconter une histoire. Avec de la fantaisie, de la couleur, de l’humour… et des ténèbres.
EP Fruit (Young/XL Recordings/Wagram). Sorti depuis le 6 mai. Album Hideous Bastard (XL Recordings/Wagram). Sortie le 9 septembre.
Merci à Beggars et Dior Homme par Kim Jones.
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