Beth Ditto fait semblant de bougonner : dans une chambre d’un manoir anglais, on vient d’écouter trois des chansons en chantier du prochain album de Gossip. Pourtant, même si elle a écouté aux portes, elle n’a encore rien entendu de ses propres chansons. Elle ne sait donc pas comment sonnent vraiment ces morceaux à l’enregistrement […]
Beth Ditto fait semblant de bougonner : dans une chambre d’un manoir anglais, on vient d’écouter trois des chansons en chantier du prochain album de Gossip. Pourtant, même si elle a écouté aux portes, elle n’a encore rien entendu de ses propres chansons. Elle ne sait donc pas comment sonnent vraiment ces morceaux à l’enregistrement éparpillé entre la campagne anglaise et sa bonne ville d’adoption de Portland, Oregon : ils sont encore à l’état de puzzle. Pour leur assemblage patient, tout en strates et dynamiques exacerbées, le producteur anglais Brian Higgins (usine à tubes derrière Sugababes ou Kylie Minogue) s’est isolé dans une pièce avec vue sur le parc, où il triture, organise, élimine.
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L’ambiance est aux joyeuses expérimentations, avec une Beth prête à tout. Comme de vous arracher l’appareil photo des mains, pour vous offrir, en quelques dizaines de minutes hilarantes, une longue série d’autoportraits où elle passe par toutes les poses, du langoureux à l’inquiétant : allongée dans un vaste canapé club en cuir, affaissée sur une table de salon, étalée sur le vénérable plancher. Beth Ditto photographie comme elle parle : joyeusement, en mitraillette. Elle peste quand, du plafond, dégringole les basses que son producteur écoute à plein volume : « Vivement que je puisse entendre. »
Dans les ruelles chic du petit village du Kent, entre salons de thé et antiquaires cossus, l’Américaine ne passe pas inaperçue. Sur son album non plus : dans les quelques titres assez avancés pour être entendus, elle chante comme jamais, d’une voix maîtresse, autoritaire, à la pop totalement assumée. Et de ce chant qui ne se limite plus au registre du cri, de l’exaspération, elle dit que c’est sa voix naturelle qui est revenue au galop.
« C’est une voix que j’ai toujours eue mais que j’ai cachée depuis des années : ma jolie voix de fillette, qui chantait à la messe, et que j’ai remisée au fond de moi, reniée même en découvrant le punk-rock. Là, oui, je chante ! Adolescente, j’étais un peu paumée, je m’habillais de façon très butch, les cheveux rasés… Je pensais qu’il fallait se présenter ainsi pour être reconnue comme une authentique féministe. Idem pour la musique : je pensais qu’il fallait maltraiter ma voix pour être acceptée dans ce mouvement punk ou riot grrrrls. Aujourd’hui, je suis en paix avec tout ça, j’ai passé l’âge de faire semblant, j’ai abandonné ces postures, ces mensonges de mes 20 ans. »
Beth Ditto le répète inlassablement : la jeune femme que nous avons en face de nous n’est plus celle que l’on connaissait. Elle a passé le cap des 30 ans et visiblement, ça a tout changé pour elle. Higgins confirme : « En trois mois à ses côtés, j’ai vu son écriture se métamorphoser. » La pop, donc, revendiquée, décomplexée, n’est pourtant pas chez cette amazone une forme de démission, d’adieu aux armes : à la fois plus posée et plus rageuse, plus risquée et plus classique, sa voix s’aventure dans les marécages d’une cyber-soul où Ditto fait merveille, notamment sur les possibles tubes Casualties of War ou Picture Perfect World. Des chansons ancrées dans une tradition mais tournées vers le futur : enregistrées par une femme venue d’ailleurs, mais grâce à des micros rachetés – véridique – au label Motown.
Plus on lui parle de cette musique que l’on vient d’entendre, plus elle jubile, frétille sur un fauteuil de lord anglais. Elle avoue n’écrire qu’à l’instinct, sans mesurer l’impact ou la portée de sa musique, même sur les chansons les plus politiques de Gossip, qu’elle a écrites « en faisant la vaisselle ou en prenant une douche ». Elle remercie du coup les journalistes.
« Ce sont eux qui me racontent souvent, en analysant mes textes, ce que je voulais dire sans même le savoir ! »
On la laisse dans la cuisine du manoir, vaste comme une salle de concerts. En dévorant un wrap végétarien, elle nous demande de transmettre ses amitiés à Jean-Charles de Castelbajac à Paris. « J’ai toujours adoré le style, la mode… Petite, avec ma grand-mère, je passais ma vie à faire de la couture, du crochet, de la broderie, du point de croix… Les créateurs sont vraiment dingues, en marge du monde : ils me rappellent l’époque où je ne traînais qu’avec des punks. »
JD Beauvallet
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