Sur un premier album où se croisent la dance et les guitares, l’electro et le surf, les Happy Mondays et les Beach Boys, le duo australien Jagwar Ma découvre la recette du bonheur : il suffit de tout mélanger et de secouer fort. Rencontre, critique et écoute.
On a vu des yeux briller d’envie, des sourires irradier le plaisir. On a entendu, cinquante fois, le nom de Jagwar Ma, prononcé par des amis aux goûts sûrs les ayant vus sur scène – en première partie de Foals notamment –, soufflé par une rumeur plus solide que la brise passagère de la hype, ou même par Noel Gallagher, pourtant avare en compliments. On a fini par découvrir les deux de Sydney via leur premier album, Howlin. Une écoute au casque. Fort. Puis un peu plus fort. Puis très très fort, ahuri, épaté, ébaudi.
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Dès les premières mesures, on était pris d’un accès tout à fait imprévu d’hédonisme solitaire, le corps se mettait à vriller en hula hoops cinoques : on n’avait rien entendu d’aussi sexy, malin, efficace, moite, direct, indirect, excitant, cool, pop, contrasté, faussement putassier mais furieusement intelligent depuis des lustres. C’était sans doute trop malin, on ne comprenait pas tout. De Sydney, les garçons ? Ils auraient tout autant pu être californiens. Ou mancuniens. Ou new-yorkais. Ou de Detroit, ou de Rennes, ou de la planète Mars.
“Je ne sais pas si on a vraiment été influencés par notre environnement direct, par l’Australie, confirme Jono Ma, multi-instrumentiste. Au contraire : la musique est souvent un moyen de s’échapper de l’endroit où tu vis. Quand on fait de la musique dans une chambre avec quelqu’un, cette musique est plus liée à la musique que tu as découverte et écoutée tout au long de ta vie qu’aux plages où tu peux passer tes week-ends.”
L’équation Jagwar Ma est à la fois très simple et diablement compliquée : il y a tout, absolument tout, sur Howlin. Les médias accusent parfois le duo de se contenter de singer la scène Madchester ou baggy (Happy Mondays, The Stone Roses, The Charlatans…). L’ascendance est certes plus qu’évidente. Évidente mais loin, très loin d’être unique. L’album des Australiens va beaucoup plus loin puisqu’il va puiser partout, dans chaque recoin de la planète, à chaque époque. Un condensé formidable de cinquante ans de musique, sur cinq continents. “Notre musique ne se résume pas du tout à Madchester. Nos influences sont bien plus larges et variées que ça, elles n’ont pas vraiment de limites. Elles sont ce qu’on aime et ce qu’on a aimé, c’est tout. Je dirais qu’il y a trois types d’atmosphère sur Howlin : les morceaux très électroniques, purement dance ; des chansons plus organiques, influencées par la northern soul, et des titres plus sensibles, plus cinématiques.”
L’autre secret du plaisir vient de la manière, naturelle, dont s’effectue ce grand mix : le mélange, Jagwar Ma le fait à sa façon, sans forcer, sans artifice. Le filtre de la distance, sans doute, celui qui a permis à la lointaine Australie de multiplier ces dernières années les groupes intéressants : Midnight Juggernauts, Empire Of The Sun, Tame Impala…. Et le père d’entre tous, The Avalanches, dont la technique de collages infinis est revendiquée par Jagwar Ma. “La distance avec les Etats-Unis ou l’Europe crée forcément une altérité. Il y a quelques gros festivals dans lesquels on peut voir les groupes connus, mais pour ce qui est des groupes plus petits, indépendants, il est plus rare de les voir chez nous. C’est aussi plus compliqué pour nous de voyager. Et j’imagine que, par la force des choses, ça pousse les groupes d’ici à faire les choses à leur manière, avec des influences un peu moins directes. On peut évidemment tout voir sur YouTube, tout entendre sur internet, mais peut-être faisons-nous quand même les choses avec une plus grande part de fantasme.”
Et sur Howlin, les fantasmes ont de la gueule. Ou plutôt des gueules. En dansant frénétiquement mais en découvrant, à chaque écoute, derrière les principaux attributs de tubes que l’on promet sans grand risque aux platines, d’innombrables idées de production, chausse-trapes et faux-semblants, on plonge ainsi dans un kaléidoscope pantagruélique où les humeurs, univers, époques et sons se croisent en tous sens et à tout instant, sans pourtant sombrer dans un gloubi-boulga indigeste. What Love, introduction gigantesque qui rend déjà gaga, la mélodie imparable de l’énorme Uncertainty, les primesautières et pop That Loneliness ou Come Save Me, la tribale Exercise, la house obsédante de Four : on apercevra fugacement les visages de Primal Scream, des Happy Mondays, des Stone Roses, certes. Mais aussi ceux des Beach Boys, du génial électronicien Matthew Dear, des psychédéliques Tame Impala, des Beatles, des sorciers Yacht, de Panda Bear. On y croise des dizaines de visages, et un très durable sourire s’accroche au nôtre. Avec Howlin, Jagwar Ma a trouvé la recette du bonheur.
Concert le 9 septembre à Paris (Flèche d’Or)
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