Armes à feu, mises en scène et goût du crime, l’univers meurtrier de Jacques Monory s’installe pour l’été au Musée des Sables d’Olonne. Et dévoile au public que le peintre sombre et violent des années 70 n’a rien perdu de ses noires obsessions.
La rue bitumée et chaude d’une grande ville. Des voitures stationnent, une femme de dos en débardeur noir ne semble pas voir l’homme qui tombe à terre, peut-être touché par une balle. Nous sommes en face du troublant Noir n° 9. Sur le mur opposé, la cible humaine du Métacrime n° 8, sur le point de dégainer, se prend une pluie de balles, collées en réel sur un tableau entièrement peint en bleu, froid, électrique, inquiétant. « Quand je veux me reposer, je peins un revolver, ça m’apaise. » L’univers du crime de Jacques Monory pourrait se résumer à cette phrase sibylline, mais ce serait évacuer la complexité du personnage qui bâtit depuis plus de quarante ans une comédie humaine sous forme de très grands tableaux, peints d’après photo avec une technique proche de l’hyperréalisme. Des tableaux bleus, un mélange de distanciation et de clin d’oeil cinématographique où l’essentiel se résume à la vie, à la mort, doublé d’un peu de polar et de beaucoup de cinéma. Une vision tragique de l’existence, et un cynisme à toute épreuve, dissimulé par une fraîcheur surprenante.
Chapeau enfoncé, lunettes fumées, blouson de cuir et baskets blanches, la dégaine de Jacques Monory hésite entre un Gainsbarre des arts et un tueur à gages patenté. Enigmatique mais bavard,racé mais d’un naturel imparable. Evoquer Monory relève de la gageure : d’abord parce que ses toiles violentes et son heure de gloire dans les années 70 lui ont donné une stature à la fois sombre et éclatante, balayée aux oubliettes par des années 90 fâchées avec la peinture ; enfin parce que la fascination et l’affect liés au personnage prennent parfois le dessus sur une oeuvre qui reste pourtant diablement d’actualité. L’idée même de cette rétrospective qui commence aux Sables d’Olonne pour se poursuivre à Chartres et Dole le fait un peu grincer des dents : « Je n’aime pas les rétrospectives, je trouve ça sinistre, c’est plutôt une indication sur le temps. » D’autant que sa plus grande coquetterie consiste à jouer avec sa date de naissance… On prendra donc pour postulat qu’il est né en 1934 à Paris et qu’il a, dans sa jeunesse, fait les arts appliqués et travaillé dans l’édition photographique. « J’ai vécu dans une atmosphère de photo. La peinture que je faisais à l’époque était psychanalytiquement intéressante… mais abominable. »
Monory fait donc une peinture qui le séduit depuis 55, date de sa première exposition personnelle bien qu’il ait régulièrement brûlé sa production jusqu’en 67. Il s’embarque dans l’aventure de la figuration narrative, mouvement qui remit en selle la peinture figurative, la teintant de préoccupations sociales et quotidiennes pour aboutir à une vision élargie et contemporaine du monde. Ses acolytes se nomment Errò, Klasen, Stämpfli, Rancillac, tous révélés par l’exposition des « Mythologies quotidiennes » en 64 à Paris. Monory s’en distingue par sa peinture ténébreuse et personnelle où il inclut sa propre vie, son entourage, à l’aide de photos qu’il prend lui-même. Son univers est celui du meurtre, qui donne son titre à sa série la plus célèbre : « C’est la première fois que je faisais une série, des morceaux d’histoire, comme un film. »
Le cinéma, voilà la grande obsession de Monory, qui s’y colle d’ailleurs dès 68 en réalisant Ex, consacré au bonheur et au malheur dans le vol. « J’ai été influencé par le cinéma américain, Orson Welles et certains films des années 50, films noirs, séries B. Gun crazy de Joseph Lewis m’a beaucoup troublé, La Jetée de Chris Marker, les premiers Wenders, Godard aussi, mais il est trop intellectuel pour mes affaires. Ce qui domine chez moi n’est pas l’intellectualisme, je ne suis pas un artiste conceptuel. C’est plutôt l’émotion qui me pousse. J’y mets un peu de réflexion pour que ça ne soit pas trop dégueulasse, mais c’est tout. » Gros plans et travellings peuplent ses toiles monochromes, surpeuplées ou d’un vide abyssal. Son univers trouble se nourrit tout autant du polar, un penchant prononcé qui le poussera à écrire Diamondback et Eldorado, publiés chez Christian Bourgois.
Explosions et projectiles, déferlante humaine, guerre et fin du monde : l’art de Monory est indissociable de la violence et surtout de la mort. « L’idée de la mort dans mes tableaux a une puissance de vie. Ce n’est pas la mort sinistre et épouvantable d’une pauvre concierge ignorante seule dans sa loge sans lumière avec un vieux chat sur les genoux. Je fais de la mort un théâtre pour qu’elle soit buvable. » Son théâtre accueille aussi le grotesque rêve hollywoodien de la série Technicolor, les Opéras glacés où il met en scène des situations humaines limites : corps enchaînés, cadavres, personnages hurlant dans des décors grandioses et glacials. Ailleurs, Le Catalogue mondial des images incurables installe l’idée plus cruelle de conditions humaines sinistres et immuables où l’on trouve pêle-mêle mariages foireux, sentiment d’angoisse, vieux hôtels sordides, Ku Klux Klan et autres travers affligeants qui lui font penser, désabusé, que le cerveau humain évolue peu.
Alors, parfois, Monory se lasse et décide de faire des toiles abstraites, mais ne peut s’empêcher de tirer dessus, comme s’il voulait consteller l’oeuvre de l’idée de destruction (« Je tire au revolver depuis toujours, c’est une passion, une obsession, je dois être un assassin frustré »), et parfois aussi l’envie d’arrêter l’envahit : « Je me mens à moi-même mais je le crois vraiment sur le moment. Dans mon dernier tableau, j’ai mis toute ma vie, ma grand-mère, mes parents, mes amis, ma femme, je voulais tout arrêter. J’ai collé une vraie mitraillette. »
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