Signature du label Pain Surprises, Jacques est un personnage étrange. Avec son crâne rasé (mais juste au milieu), il collecte des sons sur internet et imagine des broderies sonores avec les bruits du quotidien. Il se produisait dimanche dernier au festival Cabourg Mon Amour : coincés par une tempête, on a pu parler musique, spiritualité et coupe de cheveux. Rencontre.
Comment as-tu commencé la musique ?
Je n’ai pas de formation, j’en parle dans ma conférence TED (disponible ci-dessous – ndlr). J’ai passé le bac à Strasbourg, et je n’ai pas voulu faire d’études. J’ai commencé à 14-15 ans à faire énormément de guitare avec mon premier groupe, les Rural Serial Killers. C’était du rock funky, un truc de lycée. Nous avons joué ensemble pendant huit ans. A l’époque, il y avait toute cette vague de bébé rockers et je trouvais ce mouvement parisien inadmissible. J’étais un des énervés, je voulais aller à Paris les affronter. Quand je suis arrivé, c’était trop tard, et je me suis aperçu qu’il n’y avait rien. C’était juste parce que j’ai été abonné à Rock & Folk.
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Comment as-tu fini par monter ton propre projet ?
Après avoir projeté mon rêve personnel sur les gens autour de moi, à un point tel qu’ils ne se rendaient même pas compte que l’idée ne venait pas d’eux, j’ai décidé de ne plus rien faire. Je me suis rendu compte que si je n’insufflais rien, il ne se passait pas grand chose. Une fois que je l’ai admis, j’ai eu envie de me lancer seul grâce aux machines. J’utilisais l’ordinateur pour faire des démos, et mes démos sont devenus mes morceaux principaux.
Tu t’es lancé seul il y a combien de temps ?
Il y a deux ans. J’ai commencé à me pencher sur le disque en décembre 2013. J’ai pas mal vécu à l’arrache : on avait ouvert un squat, le Point G à Ourcq, avec ma copine de l’époque et un ami. Je commençais déjà à faire de la musique. Après je suis parti à la Sira à Asnieres, où j’ai vécu pendant quatre mois. C’est là où j’ai commencé à me pencher sur mon disque. Je me suis ensuite installé au Wonder, un atelier d’artistes à St Ouen, et j’ai fini à Montreuil dans le studio de Pain Surprises.
Tu travailles avec une bibliothèque de sons ?
Quand tu écoutes une musique, il peut y avoir une sirène qui va passer et qui colle trop bien. Je voulais mettre les sons en avant, comme si j’étais le chef d’orchestre des bruits. Ce qui fait que j’ai un rapport aux objets différent maintenant, je suis en casting permanent (rires). Pour l’ep néanmoins, il y a beaucoup de sons que j’ai trouvé sur le net, parce que je n’avais pas le matériel pour enregistrer correctement.
Ça se trouve facilement sur internet ?
Oui, sur Freesound. J’essaie de trouver de beaux bruits, et c’est drôle, parce que je ne suis pas le seul. Plus on va avancer dans le temps, plus on va trouver des gens qui font le même genre de musique. En ce moment, il y a un type qui a un bruit de jaguar enregistré de près. Il ne veut pas me le donner, peut-être dans quelques mois…
Ils s’en servent pour quoi ?
Ils sont nombreux à faire du son. C’est une particularité de mon univers que j’ai mis en avant mais plus j’avance, plus je me rends compte que beaucoup font ça. C’est un peu comme la récup’ de sons, comme si nous étions dans un monde où on n’avait plus le luxe d’avoir des synthés. On fait du coup de la musique avec ce que l’on trouve.
Tu as été surpris par l’engouement autour de ton ep, Tout est magnifique ?
Tu mets un type avec une coiffure comme la mienne, un concept, et évidemment ça intrigue. Les groupes d’aujourd’hui sont des Pokémons, avec le même discours. Après, ils ont un sentiment d’appartenir à quelque chose. Moi de ce côté ça va, j’ai une famille et plein d’amour.
Jacques, est-ce un concept que tu as pensé ?
Le rapport entre spontanéité et réflexion est curieux. Oui et non. Je pense faire les choses spontanément, mais être assez intelligent pour m’en rendre compte. Je ne pensais pas que cette coiffure aiderait ma musique. Au début je n’avais même pas de disque, je me suis juste dit : « Nique ». Les gens veulent croire à une démarche artistique, et toi tu dois jouer le rôle à fond. Ma dualité existait déjà. Je ne sais pas exactement qui je suis et je trouve normal que les gens pensent que je joue un rôle.
Peux tu nous parler du clip du morceau Tout est magnifique ?
Je n’avais aucune idée du morceau que j’allais utiliser, ou ce que j’allais faire. Je suis juste parti en vacances avec ma famille, qui a parfois tenu la caméra. Tout est retombé sur ses pattes. C’est drôle comme les choses qui sont faites sans réfléchir semblent calculées et cohérentes vues du dehors.
Quels sont tes prochains projets ?
Je suis déjà sur un nouveau disque, et ce n’est pas évident. Avant, quand je composais, je ne pensais pas aux gens qui allaient l’écouter. Là il y a une attente, minuscule, mais elle existe. J’ai des idées, je me suis posé des questions de style. Ça m’a fait du bien de rencontrer Flavien Berger : il ne se pose pas la question du genre musical. Les gens ne viennent pas à mes concerts pour la musique, c’est plutôt un état d’esprit, un peu comme Salut C’est Cool.
Quel genre d’état d’esprit ?
Pour ma part, je suis dans une démarche de développement personnel consciente. J’aime la réconciliation des opposés : des choses que tu penses moches peuvent, ensemble, produire du beau. Tout a un potentiel magnifique, d’où le nom de l’ep. Je me souviens d’un bout de bois une fois, il était énorme, ou d’un saucisson qui avait des formes superbes.
Comment tu décrirais ta musique ?
Je pense faire de la musique qui, quand tu l’écoutes, te laisse le souvenir d’une harmonie entre l’acoustique et l’électronique, le vivant et le minéral. C’est le schéma de l’époque et c’est une chance d’y être. Au collège, je voulais être né avec les hippies, mais je pense être né au bon moment. Il n’y a pas un mouvement qui réunit tout le monde, mais tout le monde est conscient de la même chose et le changement se fait de partout, spontanément. Je trouve ça passionnant.
Jusqu’où vas-tu amener Jacques ?
Que ce soit la musique ou autre chose, je m’en fiche. J’ai la même relation avec tous les moyens d’expression. Je voudrais atteindre une équanimité avec les choses. Je préfère m’attacher au fond et à l’intention plutôt qu’à la forme. Je voudrais faire des vidéos, des livres, me balader de médium en médium. Pour la musique, je sais que je vais faire un disque, et puis je vais sortir des chansons que mes amis ont fait. Et puis des petits projets, la musique d’un court métrage, des prochaines dates un peu angoissantes…
Qu’est-ce qui te fait peur ?
Une fois j’ai eu des problèmes de matériel. J’ai investi depuis, mais je me dis que je devrais réfléchir à un plan B, du type réciter des poèmes. Mais à chaque fois que j’ai eu des galères, ça s’est toujours bien passé. Je ne suis pas toujours à l’aise au début de mes concerts, mais les gens sont gentils quand ils s’en aperçoivent, du coup tout se passe bien : je fais de l’humilité active.
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