C’était près du canal de l’Ourcq, à quelques encablures de la ligne de métro 5 à Paris, dans une demeure improbable pour ce coin de banlieue à Pantin. Il faisait poireauter ses interlocuteurs pendant une demi-heure pendant laquelle son assistante nous abreuvait de boissons pause-douleurs.
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Il voulait apparaître sous son meilleur jour et demandait un peu de temps. Le temps, il en jouait comme un musicien, un compositeur, exigeant de ses invités l’attention que réclame un artiste, un auteur, un compositeur, un poète… un homme. La suite n’était alors que plaisir.
C’était Higelin. Un grand-frère qu’on n’avait pas imaginé, alsacien d’origine, bavard tout en étant avare dans le verbe, un ours chez qui il fallait chercher, derrière la provocation et la gouaille exubérante jusqu’à l’overdose parfois, la vérité et la confidence. Punaise… Higelin, ça foutait la trouille. Comme Bashung.
Higelin savait donner tout, transcender l’ordinaire
Quand Higelin parlait, c’était la même musique que dans ses disques : fort, excessif, tout dans les cordes, la vérité, le blues. Le rencontrer, vraiment, c’était ressortir cassé, mais plus intelligent. Higelin n’avait rien mais il savait donner tout, transcender l’ordinaire et l’anecdotique en un moment particulier. Il n’avait dans son petit bagage qu’un héritage autofabriqué à coups de chansons, de Ferré, de Trenet et d’intuition.
https://www.youtube.com/watch?v=Ygjt5PT0ylc
Des enfants aussi, qui avaient su comprendre le père et s’extraire de son ombre pour exister, dignement dans l’orthodoxie libertaire. De lui, ils ont hérité l’indépendance, la liberté frondeuse, la poésie, le sens de l’aventure, le goût de l’inédit.
Parce qu’Higelin, c’était tout ça : un esprit d’ailleurs, un courage, un ventre, une gorge poussée jusque dans les retranchements de la première guerre mondiale musicale, un cerveau et une humeur qui se baladaient chez Trenet et se révoltaient sur les barricades. Il aurait dû faire des bébés bien avant, mais Brigitte Fontaine n’avait pas voulu, alors il a fait des chansons chez Barouh. Et puis l’album Champagne !
Higelin tenait le sceptre de Brel
Dans les années 1970 quand, comme un Arsène Lupin, il avait forcé le coffre-fort du mariage entre la langue de Hugo et le rock. C’était au château d’Hérouville, où il avait élu domicile musical avec sa compagne chinoise de l’époque et où il avait croisé le chemin d’Iggy Pop et de David Bowie.
C’est ici que le nouveau Jacques avait enterré le Grand Jacques. Higelin tenait le sceptre de Brel… Enfin. C’est celui-ci qui vient de tirer sa révérence. Celui qui, en fin de parcours, a mis les bouts épuisé par trop d’activisme, de vie, avait senti le bout de la route et empressé son emploi du temps pour enregistrer encore quelques épitaphes, jusqu’en 2016.
Voilà la cigogne Higelin libérée des contraintes, laissant sur terre les derniers dinosaures du rock français des seventies (Bernard Lavilliers et Hubert-Felix Thiéfaine), pendant qu’il rejoint Bashung et Gainsbourg sur le petit croissant de lune céleste. Il était tombé du ciel, il vient de partir sans se retourner.
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