Vétéran au passé prestigieux, Jacno pourrait vivre tranquille du petit commerce de la nostalgie : c’est pourtant toujours loin devant qu’a regardé cet électron(icien) libre révélé par ses Stinky Toys, premier groupe punk de France, puis pionnier techno. Il a également regardé devant et sur les côtés, travaillant aussi bien avec Higelin, Daho ou même Eric Rohmer qui, d’après lui, faisait du Daft Punk avant l’heure.
J’ai une DS 23 comme Chirac, mais comme je veux tout le temps la conduire je me retrouve toujours dans la position du chauffeur. » La métaphore de Jacno fera office de résumé de son parcours : un type toujours assis à l’avant des grandes carrioles, pilotant avec un temps d’avance les grandes manoeuvres de la pop française, anticipant les virages de la mode pour en inventer les signalétiques.
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Un hérétique, en révolte permanente contre le conformisme, en avance sur le gros de la troupe par nécessité existentielle, visionnaire par nonchalance. Certaines coïncidences ne s’inventent pas : les premiers faits d’armes de Jacno dans la musique concorderont avec les vagissements électriques des révoltés de l’épingle à nourrice. Il donnera les trois coups du punk à la française bien avant tout le reste de la colonie, dès 76 avec ses mythiques Stinky Toys, le seul groupe français à avoir fait la une d’un hebdomadaire de rock anglais (le Melody Maker) en quarante ans, jusqu’à ce que, enfin, Mr Oizo ou Air le détrônent l’an dernier. Dans la foulée, il éborgnera les minauderies disco d’un coup de Rectangle un immortel premier disque solo purement instrumental qui laissera entrevoir, dès le début des années 80, la possibilité de règne pour une musique sans paroles. Puis il déposera avec la complice de toujours, Elli Medeiros, le brevet du duo pop à la française.
Producteur Pygmalion des bourgeons de la pop française (Daho, Lio…) ou raviveur de flammes en voie d’extinction (Daniel Darc, Higelin…), Jacno grillera la fin de la décennie au service des autres, négligeant une discographie personnelle riche de quatre disques en vingt ans à peine dans laquelle le dadaïsme et la vivacité destructrice de la repartie disputent les premiers rôles à un minimalisme savamment décalé.
A l’aube de la quarantaine et du siècle, Jacno croit toujours en son étoile et veut voir dans son dernier album, La Part des anges, une nouvelle rampe de lancement. Peu porté sur les zooms arrière, il mesure l’étendue des dégâts du rock français devant une bouteille de bordeaux et un sachet de fraises Tagada « une arme bien plus efficace que les bombes pour faire la guerre » , et s’impose comme l’un des derniers Mohicans de la chanson. Il partage avec Jean-Pierre Mocky le titre de meilleur ennemi des cons.
Jacno Lorsqu’on a commencé avec les Stinky Toys, j’ai découvert que je n’avais pas droit à la Sécurité sociale. En réalité, je faisais tout simplement partie avec Cohn-Bendit et quelques autres des huit Français qui ont été interdits de scolarité et d’autres droits civiques. Tout ça à cause d’une connerie : quand j’avais 14 ans, j’étais le meneur du petit groupe avec lequel on avait séquestré le proviseur de notre lycée, le lycée Rodin. Un établissement parfaitement navrant, en béton, où étaient regroupés tous les rebuts de l’éducation ; lorsque tu te retrouvais là-bas, c’est que tu ne pouvais plus t’inscrire nulle part en France. Le directeur s’appelait Monsieur Fillioud. S’il est toujours vivant, cette histoire doit encore le faire marrer aujourd’hui. C’était un gros con à qui on voulait foutre la trouille. Sur le papier, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat : il a tout simplement passé une journée dans son bureau comme il l’aurait fait normalement sauf que ce jour-là, c’était un peu plus fun que d’habitude. Mais bon, c’était le proviseur, l’autorité, par définition un truc que tu ne bafoues pas au risque d’être considéré comme un hors-la-loi et c’est ce qui s’est passé. Les flics, qui n’ont absolument pas le droit de rentrer dans une école, sont intervenus pour débloquer la situation. Mes parents étaient vraiment emmerdés sur le coup ; quand ça s’est tassé, c’est devenu un petit sujet de fierté familiale après coup.
D’où venait cette envie de mettre le bordel ? De tes origines familiales ? De ta timidité ?
Un cocktail de tout ça. Ma timidité maladive a dû jouer un rôle, mes antécédents familiaux sûrement. Mes vieux n’avaient pas une thune, ils vivaient dans une HLM merdeuse. Mes grands-parents, eux, avaient des châteaux, des propriétés, un patrimoine qui a fondu avec mon grand-père. Il ne reconnaissait pas la République et ne voulait pas entendre parler du fisc, des impôts… Il recevait les huissiers avec le fusil, jusqu’au jour où on lui a signifié que son château n’était plus à lui. Ce jour-là, il s’est exécuté non sans leur faire remarquer qu’ils lui volaient son château et il leur a passé les clés en leur disant « De toute façon, vous ne saurez pas vous en servir », comme si c’était une bagnole de course… J’ai été victime d’une éducation un peu catho, et quand j’avais 10 ans, un des curés de mon école en a voulu à mon cul. C’était le père Husson, le professeur de religion et de discipline… Il avait l’habitude de te convoquer dans sa piaule pour te filer une rouste quand tu faisais des conneries. Le jour où il m’a convoqué, je m’attendais à en prendre une sévère. Lorsque je suis rentré, il a fermé à clé, m’a demandé de m’asseoir, il se met en position relax, il me passe la main sur la cuisse en me disant « Tu sais, je suis très gentil… » Moi, je ne savais pas, je n’étais pas au courant de ces choses-là mais je me sentais tout bizarre. Je n’avais pas eu de baffe et il était sympa, ce n’était donc pas normal. Je ne faisais pas le malin, je me suis mis à hurler que je voulais sortir et tout s’est tassé. Du coup, j’ai été collé deux samedis de suite mais j’ai sauvé l’essentiel.
C’est au lycée que tu as commencé à jouer du rock ?
J’avais monté un groupe catastrophique, où j’étais batteur. Nous étions très mauvais, on a dû jouer dans une ou deux grandes surfaces, à Sarcelles. Ça devait être en 73… avant mon quinzième anniversaire en tout cas. A partir de cet âge-là, on s’est mis à faire des maquettes avec Elli chez Delamarre, un arnaqueur qui nous avait permis d’enregistrer une demo pourrie dans son studio 4-pistes moyennant une petite signature au bas d’un papier. Sans le savoir, on venait de lui livrer clés en main les droits d’édition sur nos chansons. Par chance, il n’a eu les droits que sur une partie du premier album des Stinky Toys, ceux d’Amoureux solitaire lui sont passés sous le nez. Sinon, il aurait touché la somme équivalant à 4 millions de disques vendus lorsqu’on a fait la version avec Lio quelques années plus tard. Ça m’aurait fait chier de voir un mec pété de thunes uniquement parce qu’il a prêté un 4-pistes à une bande de petits cons.
Les Stinky Toys ont été le premier groupe punk français répertorié. Régnait-il une joyeuse ambiance de potaches ne sachant absolument pas jouer des instruments, comme le veut la légende du punk ?
Oui et non. Elli et moi avions déposé toutes les idées, les bases, mais les autres musiciens, Hervé Zenouda, Bruno Carone et Albin Deriat, étaient des copains mais surtout des gens indispensables, qui savaient jouer mieux que moi. Pendant tout le début des Stinky Toys, j’ai appris la guitare en jouant sur le dos du public. Sur le premier disque, je ne savais jouer que des accords majeurs, des trucs qui datent d’Hérode ou de Chuck Berry, je n’ai commencé à faire des accords mineurs que sur le deuxième. De ce point de vue, je peux dire qu’il y a eu une réelle évolution entre les deux albums. Les Stinky Toys sont un excellent souvenir, tout le monde s’est bien marré pendant quatre ans ; nous, le public, les gens qui tournaient autour. Musicalement, c’était surtout du brutal.
Existait-il un esprit de famille dans la scène punk française de l’époque ?
Je suis assez mal placé pour le dire, vu que la vague des Starshooter, Marquis De Sade, Marie Et Les Garçons est arrivée un an après nous. Nous étions déjà barrés en Angleterre, on n’a jamais eu un contact avec ces gens-là, on était un peu déconnectés de la scène française, on voyait surtout des Anglais et des Américains. Dans son ensemble, il faut dire que la scène punk était un ramassis de petits cons dont on faisait fièrement partie. En réalité, tout ce petit monde se détestait cordialement. Seul Clash sortait du lot.
Comment Malcolm McLaren a-t-il décidé de vous prendre en tournée avec les Sex Pistols ?
Un type lui a fait écouter nos maquettes pourries enregistrées chez le fameux Delamarre et il a trouvé ça très bien pour les premières parties de son boys’ band, les Sex Pistols, au festival punk du 100 Club de Londres, puis en tournée. Il était complètement dans son trip d’escroc et devait penser « Si ça marche, c’est pour moi ; s’ils se plantent, qu’ils crèvent. » On n’était qu’un jouet pour lui. De toute façon, nous n’avions aucun contrat discographique à l’époque. On est devenus une espèce de groupe sans existence sur le plan des enregistrements, un groupe électron libre parti en Angleterre comme ça, sans être dupes de ce qui pouvait nous arriver mais il ne faut pas bouder les opportunités.
Il faut croire que ça a bien fonctionné puisque vous avez fait la couverture du Melody Maker assez rapidement, sans avoir enregistré le moindre disque.
C’était dans l’air du temps, les canards faisaient la tournée des clubs pourris, les journalistes étaient à fond dans ce mouvement et sautaient sur tout ce qui bougeait. Maintenant, il ne faut rien exagérer : on a fait la une du Melody Maker mais tout le monde oublie de dire que tous les papiers nous vomissaient dans le cou, disaient qu’ils n’avaient jamais entendu un truc aussi naze, déversaient tous les trucs racistes sur les Français. On a eu une promo fabuleuse, toutes les maisons de disques voulaient nous voir parce qu’on avait des unes mais ne lisaient absolument pas les articles, c’était complètement hallucinant. En fin de compte, tous ces gens étaient exactement comme dans mes histoires de bahut : des cons qui ne voyaient rien, qui ne savaient pas qu’on allait leur foutre le bordel. Parmi toutes les maisons de disques qui nous ont contactés, EMI a voulu frimer un peu en nous invitant à une super-fête où on a été ravis d’aller pour se faire péter la ruche, et finalement on a mis la zone tellement il y avait de cons. Après cet épisode, on a été mis sur la liste noire des gens à ne pas inviter ni signer dans toutes les maisons de disques. Ce qui ne nous a pas empêchés d’être signés par ceux-là même qui avaient édité cette circulaire.
Quel souvenir gardes-tu de Johnny Rotten et des Sex Pistols ?
Un souvenir bien loin de la légende et de l’image officielle qu’ont eues les Pistols. Devant, à la télé ou sur scène, il faisait son malin mais côté cour, Jeannot le Pourri était pathétique. Il voyait tous ses copains se marrer et lui était obligé de rester dans le placard qui lui servait de loge, sans chaise, sans pouvoir aller boire un coup parce que McLaren lui interdisait d’en sortir. Il s’exécutait comme un marmot. J’ai peu suivi ce qu’il a fait après, je ne le tiens pas pour un véritable artiste. C’est un clown de première, il n’a jamais écrit un texte qui scotche. Comme quelques autres grands débiles, il a dû lui arriver une ou deux fois de faire quelque chose de sublime, fort. Mais ça reste des moments isolés, des entorses dans son parcours. Il est un peu une version musicale et évidemment moins lettrée de Jean-Paul Sartre : ils sont de cette famille de clowns qui font des choses ultra-chiantes, qui n’intéressent personne mais qui ont ce talent fabuleux de savoir faire parler d’eux.
La séparation des Stinky Toys a-t-elle été une décision douloureuse ?
La fin des Stinky Toys a été clairement établie le jour où j’ai compris que j’arrivais à quelque chose dans mes compositions personnelles. La séparation du groupe ne m’a posé aucun problème ni aux autres d’ailleurs. De toute façon, j’avais le contrôle total des commandes. Je pense avoir toujours su quand il faut prendre le bon virage, changer d’époque, anticiper un changement. Par contre, très peu de gens ont voulu me croire alors. J’avais Rectangle dans les mains et aucune maison de disques institutionnelle n’en voulait, on me demandait tout le temps où étaient le refrain, la chanson, les paroles. Pour eux, c’était invendable. Il n’y a que Castro et Carracos, les deux visionnaires du label Celluloid, qui ont pris le risque. Ils signaient tout ce qui partait de travers : Material, le groupe de Bill Laswell, Alan Vega… Ils devaient avoir un fond éthique gauchiste révolutionnaire, un antitraditionalisme qui a mis beaucoup d’oxygène dans ce métier. Philippe Constantin, avec qui je m’entendais très bien, Marc Zermati, dans son purisme rock qui impose le respect, ou Kenny Gates, de Play It Again Sam, sont également de cette classe. Ce sont des créatifs, des gens qu’il faut remercier pour l’ensemble de leur oeuvre. En ce qui me concerne, l’histoire a prouvé qu’ils avaient vu juste : Rectangle est devenu numéro un des ventes en Europe ; ensuite, ça a été un peu la bousculade, tout le monde est venu me chercher. Il y avait un décalage énorme entre l’état d’esprit expérimental et jouissif dans lequel j’avais fait ce morceau et le barouf commercial qui s’est mis en branle dessus.
Tu écoutais Pierre Henry ou les compositeurs de musique concrète à cette époque
Pierre Henry était un putain d’intello dont les préoccupations étaient à mille lieues des miennes. Je suis fan de Mozart, après j’ai dégénéré avec le Velvet Underground, le premier concert de gens normaux que j’aie vu. Mais je pense que Mozart avait tout compris au principe de la musique. Je conseille à tout le monde d’écouter K 136, la pièce qui regroupe toutes les musiques tziganes qu’il a volées. Là, Mozart brise le mythe et recrée le lien entre la musique populaire et le classique. Ensuite, je retiendrais Miles Davis, dont j’ai mesuré l’impact il y a dix ans. C’est un génie, comme Coltrane ou Archie Shepp, le seul mec qui ait détourné le jazz de ses rails. Devant un disque de Miles Davis, on découvre la véritable anarchie, le dépassement de la notion de limite, la destruction des a priori, l’explosion des grilles.
Penses-tu avoir eu une influence sur Air, Daft Punk et le mouvement électronique français actuel ?
Et comment ! Dans leur cas, je suis plutôt flatté. Air ou Daft Punk font ça très bien, avec classe, mais il fut un temps où je me suis fait plagier par Dorothée, et là, c’est moins glorieux, on ne fait plus le malin. Je n’ai jamais vu Air sur scène, mais leur intelligence sur disque me satisfait pleinement, j’ai plaisir à entendre dans des morceaux aussi talentueux des trucs dont je sais qu’ils ont été pillés dans mes disques. Ça prouve aussi qu’en 80 et des poussières, ma démarche avait quinze ans d’avance : j’étais un précurseur, un des premiers en France à avoir coupé les fils d’autocensure, de self-control musical pour partir dans sa voie, apprendre à accomplir les choses sur un plan très personnel sans se sentir obligé d’appartenir à un groupuscule d’idées ou de pratiques à la con, à bosser sur ses affaires pour pousser une idée expérimentale jusqu’à son terme du moment. Celluloid va bientôt ressortir Rectangle et Faux témoin, on s’apercevra avec ces rééditions de certaines choses.
Après ce triomphe, pendant quatre ans, tu as préféré recommencer une aventure musicale avec Elli plutôt que de mener tes travaux personnels.
Notre histoire avec Elli a été assez bordélique. On s’est retrouvés au moment où je finissais Rectangle. On a eu une envie commune de refaire des chansons ensemble, mais travailler avec quelqu’un avec qui tu partages ta vie est un enfer. Ça se passe mal, surtout lorsque tu évolues dans le créatif. Elli & Jacno était un duo mais avant tout un groupe. Et par définition, un groupe ne peut pas fonctionner sur des principes démocratiques, un échange, une osmose. Il ne peut marcher qu’avec des apports, des contributions, des petits plus que tu as demandés, commandés. Et ça fout le bordel dans le reste de ta vie. Il faut être taré pour bosser avec la fille avec qui tu vis. J’imagine que ce qu’on a vécu est arrivé aux autres duos qui ont marché sur les mêmes plates-bandes : Rita Mitsouko, Kas Product ou Niagara. Au moins, avec Elli, nous avons réussi notre sortie avec Les Nuits de la pleine lune, un morceau un peu noir, bizarre, qui correspondait très bien à la trame de notre histoire : on n’en pouvait plus l’un de l’autre, et faire des disques ensemble était devenu insupportable. Elle savait à l’avance les commentaires que j’allais dire quand elle faisait les voix, donc je ne venais plus pendant les prises, je savais ce qui allait m’énerver.
On imagine assez mal Eric Rohmer écoutant du Jacno ou de la pop, pourtant il t’a confié la musique de son film, Les Nuits de la pleine lune.
Rohmer était fan de Rectangle, il trouvait que ça ressemblait à du menuet électrique. Je sais qu’il était très influencé à l’époque par Pascale Ogier l’actrice principale du film, malheureusement morte à cause des drogues. Comme Rohmer n’est pas un type qui doit écouter la radio, je pense qu’elle a dû lui faire écouter la chanson pendant la préparation du film et il m’a appelé. Je n’avais vu de ses films que Pauline à la plage, j’avais bien aimé cette atmosphère éthérée et lorsque je l’ai rencontré, son côté vieille France avec les cheveux en arrière, qui vouvoie tout le monde, m’a attiré, me rappelait des souvenirs. Tout de suite, on a parlé d’autres musiques, de Mozart, Chopin… C’était la première fois qu’il mettait de la musique dans ses films, j’étais très honoré en fait que le morceau soit le vrai finish du film même s’il est sous-mixé, parce que Rohmer voulait cacher ma musique sous les bruits de moto. En fait, il faisait du Daft Punk avant l’heure.
Après la fin d’Elli & Jacno, tu n’as sorti que trois albums en quinze ans, comme si tu considérais ta carrière personnelle comme moins importante que les chansons à écrire pour les autres.
Je vais m’occuper de moi dans les mois à venir. Je sortirai mon prochain album assez rapidement, mais avant je vais essayer de mettre le bordel avec celui-là, sur scène. Cela dit, j’ai compté récemment : il y a un disque avec mon nom tous les deux ans. C’est bizarre pour quelqu’un dont le grand-père lui a expliqué que le travail était un déshonneur… Les gens qui sont venus me chercher pour que je les produise étaient des fans. Etienne Daho était complètement fasciné par les Stinky Toys c’est lui qui nous a fait le laïus en introduction du livret des rééditions , il nous suivait partout et voulait à tout prix que je produise son album. Au départ, j’en avais un peu rien à foutre puis ça s’est fait, plutôt bien d’ailleurs. Lio, elle, était complètement fan de Rectangle, elle voulait le son, l’ensemble des structures de morceau dans la même veine. Sa maison de disques n’était absolument pas d’accord pour qu’elle travaille avec un taré dans mon genre. Bien sûr, après coup, ils étaient les plus heureux du monde. Ces gens ont une capacité incroyable à se réapproprier les choses qui se sont faites dans leur dos lorsque ça marche. Quand tu échoues, ils te laissent tout seul avec ta merde et se désengagent courageusement du naufrage.
Ton travail avec Daniel Darc a été complètement passé sous silence. C’est pourtant son album le plus réussi.
Je n’aime pas dire du mal des gens, mais Daniel Darc m’a bien escroqué. Je lui ai fait toutes les musiques, la réalisation, je me suis arrangé avec sa maison de disques pour que ce soit un album et pas juste un single, puis je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles. Ensuite, j’ai appris que le disque était sorti en faisant la promo de mon album T’es loin, t’es près sur Europe 1, où ils m’ont mis le disque sous le nez en me disant « Alors vous avez aussi travaillé avec Daniel Darc ? » T’as du mal à cacher ton malaise, surtout lorsque tu t’aperçois que ton nom n’est pas sur la pochette. Du bel esprit, quoi. J’ai fait là une belle erreur de jugement humain.
Dans ta biographie, on parle de ta rencontre avec Higelin comme d’une découverte d’un grand frère spirituel. Ne te sens-tu pas plus proche de Polnareff ou de Bashung ?
J’aime beaucoup Higelin. Il se fait décalquer dans les médias pour sa grande gueule et son côté caractériel, mais je suis très fier du disque qu’on a fait ensemble il y a dix ans, Tombé du ciel, qui tient encore très bien la route. De là à en parler comme d’un grand frère, je suis d’accord, il y a une limite. Sur Polnareff, je ne peux pas être d’accord, je ne le connais pas mais je n’ai pas d’affinités avec sa musique, je le vois un peu comme un chanteur de variétés seventies. Concernant Bashung, il n’y a aucun doute. C’est le genre d’oiseau pas fréquent, un alchimiste. J’aimerais travailler avec lui, le jour où les longueurs d’ondes seront synchrones comme avec Miossec, que j’ai rencontré il y a quelques semaines. Miossec est un type pas banal et ce serait bien le diable qu’on ne fasse pas quelque chose, à moins qu’on se lance dans un concours de timides.
Tu as repris Le Sud de Nino Ferrer sur ton dernier album : t’es-tu découvert une filiation tardive avec lui ?
Dire ça maintenant, c’est un peu limite. Sa mort m’a causé un choc que je ne soupçonnais pas. En fait, je l’ai réalisé en allant au studio alors que déjà je m’étais tapé quatre flashes info où on racontait que Nino Ferrer s’était foutu en l’air. Naturellement, j’ai repris un morceau du vieux que j’aurais adoré écrire, Le Sud, dans une phase d’émotion, de trouble, un moment dans lequel tu ne sais pas trop, où tu fais le truc comme il vient, avec le blues. Les mots de cette chanson sont magnifiques : en pleine période du Kosovo, on ferait bien de les réécouter. J’aimais bien ses histoires d’arche de Noé vue sous l’angle des animaux qui n’ont pas pu entrer dans l’arche. Il avait une manière d’inverser la problématique sur les légendes parlées débiles, une réflexion sur l’anecdotique qui lui donnaient un double langage, cynique, très dérangeant.
Jacno . La Part des anges (Mélodie/Musidisc).
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