Discret autant qu’influent pionnier de la French Touch, Jackson And His Computer Band reprend le train fantôme sur un « Glow » sensuel et impressionnant, huit ans après son premier album. Rencontre, critique et écoute.
« Je ne fais pas des disques pour faire des disques ou pour bâtir un plan de carrière.” Merci de la précision, Jackson, on avait remarqué. En deux septennats – son premier ep, Sense Juice, date de 1999 –, ce grand garçon affable à la chevelure chimique n’a publié que deux albums, à huit ans de distance, quelques maxis et remixes ainsi qu’une musique de film pour Johnny Mad Dog. Un bilan comptable assez chétif pour celui que beaucoup considèrent comme l’un des principaux inspirateurs de l’electro transversale, cité par Daft Punk, Air, Justice ou Kavinsky comme le cousin de l’ombre le plus doué de leur génération dorée. Pas loser pour autant – il est hébergé par le label Warp, ce qui suffit à rendre sa situation enviable –, Jackson est juste hors cadre, hors compétition aussi, par rapport à ses congénères.
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A la barre de son Computer Band, autrement dit tout seul, il donne l’impression de faire de la musique comme on fend l’horizon, sans carte ni boussole, plaçant toujours plus loin les rives à atteindre et dérivant souvent au-delà des balises imposées par les clubs, hors des radars radiophoniques qui auraient pu faire de lui un jeune millionnaire heureux. “Je ne suis pas contre faire un hit, objecte-t-il, mais on n’échappe pas à ce qu’on est. Je me sens dépendant de mes obsessions, de mes instincts et de mes outils. Je me vois mal me lever un matin et me tenir à faire un morceau que l’on pourrait jouer dans un mariage. Je ne suis pas programmé comme ça.” Après Smash en 2005, un premier album remarquable mais plutôt endurant pour les nerfs, il publie donc Glow, qui correspond presque à une remise à zéro de ses logiciels intimes sans contenir pour autant de titres absorbables par tous les tympans. Plus charnel, sensuel et incarné que le précédent, il épouse toutefois à nouveau des tracés sinueux entre funk convulsif, musique de (mauvais) genre, electronica toxique, techno éruptive et psychédélisme sous camisole. “Ma musique est un grand bordel qui s’organise au fil du temps, dit-il pour expliquer sa lenteur. C’est une sorte d’infusion qui demande de la patience, pour moi comme pour l’auditeur.”
Jackson Fourgeaud est né en 1979, au moment des mutations les plus importantes pour le rock, qui laissait alors apparaître des failles émotionnelles encore inavouables quelques années plus tôt. Il n’a évidemment pas connu cette époque mais il en a capté à rebours ce goût de l’hybridation sauvage et des alliages interdits. Il avoue ne pas avoir suivi le cursus classique de ses camarades, qui sont venus à la musique électronique via New Order, ont remonté jusqu’à Kraftwerk et plongé ensuite dans la house en rêvant des euphories disco. “Moi, j’écoutais en même temps de la techno hardcore et Aretha Franklin ou Led Zep, je fantasmais sur les pochettes des groupes de rock comme s’il s’agissait d’incarnations mystiques. En même temps, je savais que je ne deviendrais jamais Tina Turner, je me suis donc jeté sur ce que j’avais à disposition, à savoir une boîte à rythmes, un synthé et une pédale de distorsion.” Jackson s’empare alors des sons au taille-haie, évite les gimmicks efficaces et les boucles accrocheuses en leur préférant un corps à corps tendu avec ses machines. Ses morceaux ne tiennent pas en place, varient à la vitesse de ses (nombreuses) fulgurances et procurent des sensations physiques parfois violentes.
Sans vraiment se poser dans un lieu précis, son nouvel album aux allures d’opus magnum renouvelle l’expérience du zapping effréné qui caractérisait Smash, à cette différence près qu’il évite cette fois le piège de l’ésotérisme gothique pour apparaître plus vulnérable, presque à découvert malgré la somme d’informations expurgées par l’ordinateur. Philippe Zdar, passé expert en matière de secourisme pour musiciens déboussolés (Phoenix), est venu là encore apporter son regard perçant, ses coups de ciseaux salvateurs et aussi une présence humaine quand Jackson commençait à tourner un peu trop dans sa cage de verre. “On devait travailler trois jours, on a finalement passé des mois ensemble. C’était rassurant d’avoir sa présence après des années d’apnée en solitaire.”
D’autres intervenants (Planningtorock, la chanteuse Mara Carlyle, CosmoBrown ou Anna Jean du groupe Domingo) viennent également rompre la solitude du démiurge, mais sur Glow les voix ont l’apparence de spectres qui s’entremêlent dans la nuit. Un titre toutefois, Memory, avec ses chants d’oiseaux de paradis et sa mélodie ébahie, laisse entrevoir la lumière l’espace de quelques instants. “J’ai cherché à rendre hommage à la pop des sixties, aux Beatles et aux Beach Boys, mais avec une approche un peu tordue. Comme un bug viendrait parasiter un beau paysage.” Le Computer Band et son maître ne sont pas encore prêts à se laisser domestiquer.
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