Dix ans après Everything Is New, l’Anglais Jack Peñate revient avec After You, un troisième album intense, teinté de groove et de ferveur gospel.
À son arrivée dans les bureaux parisiens de son label, Jack Peñate semble être monté sur ressorts. Il enlace tout le monde, lâche des vannes, joue quelques notes sur le piano installé à l’entrée, et raconte la façon dont Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse, vu la veille, l’a complètement chamboulé.
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Clairement, l’Anglais, au visage toujours juvénile, semblable à celui d’un chanteur à la tête d’un boys band débarqué des nineties, déborde d’énergie. Quelques jours plus tôt, il a même retravaillé intégralement son troisième album, After You.
Une relecture acoustique qui, dit-il, devrait sortir en début d’année prochaine. En attendant, c’est bien la version originale dont il souhaite parler, bien conscient d’avoir beaucoup de choses à dire pour justifier cette absence de dix longues années – un silence uniquement entrecoupé par l’anecdotique single No One Lied en 2012 et la mixtape A Thousand Faces, publiée l’année dernière.
https://www.youtube.com/watch?v=4mCHHOQT2tU&list=RD4mCHHOQT2tU&start_radio=1&t=0
“Honnêtement, je n’ai jamais eu peur que l’album ne se fasse pas, explique-t-il sur un ton soudainement plus mesuré, moins extatique. Ces dix dernières années, j’ai même écrit constamment, je n’ai jamais eu de panne d’inspiration. J’attendais simplement de trouver une véritable histoire à raconter, je ne voulais pas que le disque soit une compilation de singles comme Matinée (2007) ou simplement le témoignage d’un son plus cohérent et unifié comme Everything Is New (2009). Aussi, je voulais rencontrer des gens capables de m’aiguiller et de m’offrir de nouvelles perspectives.”
Une évolution de son esthétique musicale
Dans la foulée, Jack Peñate nous dit que le travail entamé aux côtés de David Byrne sur American Utopia (2018) l’a bien évidemment aidé à avoir confiance en certaines de ses idées. Mais c’est bien Arthur Russell qui semble avoir joué un rôle déterminant dans la conception d’After You, là où les deux précédents disques étaient davantage influencés par la musique de Jeff Buckley et Andrew Bird.
“J’aimerais être capable de créer un son qui redéfinit autant les choses, d’envisager la musique avec autant de liberté”
“La façon dont Arthur Russell travaille ses morceaux a été une véritable révélation. J’aimerais être capable de créer un son qui redéfinit autant les choses, d’envisager la musique avec autant de liberté.” Si Jack Peñate, il est vrai, est loin d’être ce musicien mutant qu’incarnait le New-Yorkais au sein des années 1980, il n’en reste pas moins fascinant de constater avec quelle maîtrise et quelle intelligence il a su faire évoluer son esthétique musicale au fur et à mesure des années.
Un peu comme s’il avait fini par admettre qu’il ne serait jamais l’équivalent d’Adele ou Jessie Ware (comprendre : des pop-stars qu’il a partiellement contribué à révéler), et qu’il commençait à l’assumer pleinement.
Au point de s’autoriser tout un tas d’arrangements, des sessions d’enregistrement effectuées aux quatre coins du monde (notamment dans le sud-est de Londres et au Electric Lady de New York) et des inclinaisons gospel qui apportent à sa musique une grâce nouvelle. “J’écoute beaucoup de gospel, et ça a toujours été le cas. Sur le précédent, j’avais fais appel à des chanteuses pour assurer les chœurs. Aujourd’hui, j’ai suffisamment confiance en moi pour effectuer cela moi-même.”
Pour plaisanter, on lui suggère alors que l’époque se prête à ce genre de tentatives, que son disque fait finalement écho à Jesus Is King, et son visage s’illumine : “Oui, il faut croire que la période est propice au gospel, mais After You ne peut rivaliser avec un album de Kanye West, le mec est tellement fort musicalement. C’est l’une des plus grandes pop-stars de notre époque.”
Jack Peñate, lui, ne se verrait pas endosser un tel costume. Trop grand, trop lourd, pas assez rattaché à la vie quotidienne. Après quelques secondes de réflexion, il se dit même incapable de définir son nouvel album comme une œuvre pop. “Ce terme est devenu beaucoup trop flou de nos jours. D’un point de vue purement historique, oui, je suis un artiste pop. Mais Migos ne l’est-il pas davantage que moi aujourd’hui ? La trap n’est-elle pas la nouvelle pop ?”
Orchestrations soignées et mélodies limpides
Habité par ces questions, Jack Peñate s’est donc autorisé à avancer ici en toute liberté, à faire se chevaucher les styles sans jamais perdre en immédiateté. Sur After You, tout semble avoir été pensé de manière naturelle, sans faux raccords opportunistes.
Parfois, sur Round and Round ou Murder, par exemple, le Londonien s’entoure d’orchestrations soignées et séduit grâce à des mélodies limpides, qui invitent presque l’auditeur à se lâcher sur la piste de danse. Parfois, comme sur le mélancolique Loaded Gun en particulier, il préfère simplement accompagner sa voix gracile de quelques notes de piano, et c’est merveilleux comme ça aussi.
“C’est un disque qui traite en souterrain de plusieurs thèmes, comme la perte de l’innocence, la rédemption et cet espoir qui finit toujours par surgir”
“After You n’est pas un album concept, mais c’est un disque qui traite en souterrain de plusieurs thèmes, comme la perte de l’innocence, la rédemption et cet espoir qui finit toujours par surgir.” C’est aussi un disque que Jack Peñate a souhaité enregistrer auprès de ses proches, qu’ils soient identifiés au sein du paysage musical (Alex Epton ou Paul Epworth, producteur pour Lana Del Rey et U2) ou simplement membres de sa famille.
Ainsi de ce Gemini, placé au cœur de l’album et accompagné par un poème de son grand-père autour de la gentrification à Londres. C’est beau, délicat, ça ancre le propos dans une contemporanéité, et ça rappelle au passage que c’est lorsqu’il délaisse les mélodies enjouées et revient à un style beaucoup plus dépouillé que l’Anglais porte le mieux son costume d’artiste pop. Qu’il le veuille ou non.
After You (XL Recordings/Wagram)
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