Le son que j’aime est fait de bois, de voix et d’électricité.? Il y a dix ans, Grant McLennan pourchasse déjà la chanson qu’il a en tête, son idée fixe. La quête, pourtant aussi personnelle et chaste qu’une entrée dans les ordres, se fera paradoxalement à deux, en compagnie d’une grande tige aussi sèche que […]
Le son que j’aime est fait de bois, de voix et d’électricité.? Il y a dix ans, Grant McLennan pourchasse déjà la chanson qu’il a en tête, son idée fixe. La quête, pourtant aussi personnelle et chaste qu’une entrée dans les ordres, se fera paradoxalement à deux, en compagnie d’une grande tige aussi sèche que lui est rond : Robert Forster, le siamois avec lequel il a partagé le même cordon ombilical. Brisbane et l’Australie, la culture sous cloche de mythes lointains, Patti Smith, Lee Remick, Monkees, Peter Perrett, Phil Ochs, les périples de globe-trotters avec un passeport commun au nom de Go-Betweens. A profession’ était inscrit quelque chose comme regardeur, surtout pas artiste. Ils ne se préoccupaient pas de créer mais aimaient raconter, leurs chansons avaient compris que leur quotidien d’apparence banale était le plus riche humus à rêve. Il suffisait d’observer le petit pour voir grand, tout est dans le regard. Celui des Go-Betweens donnait de la majesté aux mouvements de tous les jours. Frileux ? Dans ce cas, c’était pour mieux se réchauffer dans leurs refrains. La longévité d’une telle union étant déjà miraculeuse, il n’y avait pas à se lamenter sur la fin du groupe lorsque les inséparables décidèrent, à l’amiable, de ne plus tout partager.
Le grand fut le premier à prouver qu’il avait survécu au bistouri avec Danger in the past, un disque indécis et méandrique. Pourtant heureux marié pantouflant dans la Forêt Noire, un Forster contorsionniste n’avait pu s’empêcher d’y glisser quelques messages, pas même codés, à l’ami de sa vie.
Six mois plus tard, le petit lui répond. Le titre manifeste ? Watershed, à la fois Chacun sa peau et Je recommence à zéro ? et quelques vers chaleureusement péremptoires ? How do you tell someone that it’s over ?? ? ne sont là que pour marquer le coup du retour, en aucun cas pour faire la révolution. La direction est strictement identique, la route plus droite encore, l’idée fixe en point de mire pour l’acharné. Mais comme il n’y a plus personne pour le relayer au volant, McLennan somnole sur les principes, se laisse aller, perd en rigueur. S’il sait mieux que jamais s’approprier l’espace pour faire se dérouler les chansons comme des pelotes ? Haven’t I been a fool, Easy come easy go ?, il les laisse trop souvent s’encroûter dans de vaniteux arrangements qui mériteraient l’expulsion pour faute de goût. Comme quoi personne n’est à l’abri du laisser-aller nouveau riche, notamment lorsque les copains ? un vrai groupe ? ne sont plus là pour signifier les petites faiblesses qui égarent. Seul, il lui faudrait ne toucher à rien, systématiquement oublier de décorer et de maquiller : après l’impressionnant Black Mule, on l’en sait toujours aussi capable. C’est à lui de faire des efforts, pas à nous.
Il se montre le plus souvent dans le jardin, mais Grant McLennan descend parfois à la cave. Avec Steve Kilbey de The Church, il raconte dans Jack Frost son parcours souterrain, une exploration de ses entrailles noirâtres. Sans soleil, sous la glaçure de la lumière artificielle, son teint vire au blême. Mélodies décharnées, pulsions morbides et haleine nauséeuse, le naïf béat s’est métamorphosé en Mister Hyde comme pour s’expurger en une plongée jusqu’au-boutiste. On devine l’ambition : recouvrir l’âme sous d’inhumaines machineries musicales, la laisser transpercer et par là même prouver sa supériorité. Fumeux et présomptueux. Sauf coup de chance ? Civil war lament, Number eleven ?, Jack Frost s’embourbe dans une bouillie techno qui ne laisse aucune chance à des bribes de chansons incapables de tenir leurs promesses. L’espace d’un disque, l’acharné devenu égaré perd carrément la boussole et délaisse la réalité pour se fourvoyer dans l’abstraction d’une poésie éthérée. Ici, trop de théorie distrait l’un des plus riches écrivaillons de chansons. S’absenter de ses disques devrait lui être interdit.
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